Pierre

Ferracci

L'analyse de Pierre Ferracci sur les travaux du groupe multipartite

Le président du groupe de travail multipartite livre son analyse sur les travaux, leur climat, les avancées significatives et les points restés en suspens. Il affirme sa conviction que des clarifications dans la répartition des tâches au sein de la puissance publique seront réalisées et conclut par ses propres préconisations de réforme du système de formation.

Par - Le 29 juillet 2008.

Inffo Flash - Êtes-vous satisfait du déroulement des travaux ? Le climat convivial que vous aviez évoqué lors des premières réunions s'est-il maintenu ?

Pierre Ferracci - Même si le sujet était difficile, les travaux du groupe se sont déroulés dans un excellent climat. Comme je l'ai souligné, lors de la réunion de clôture, ce groupe de travail présentait un caractère original et novateur, amorçant des formes nouvelles de dialogue social, tant par sa composition en réunissant l'État, les Régions et les partenaires sociaux, que dans sa fonction même : préparer une négociation, une discussion et des décisions de façon cohérente, dans un cadre préconcerté.

Tous les acteurs reconnaissent que les questions les plus délicates ont pu être abordées sans tabou ni exclusive, avec la volonté, me semble-t-il largement partagée, de faire bouger les lignes.
Une des difficultés que nous avons surmontées, avec parfois quelques passages délicats, était de ne pas se transformer en espace de négociation, sans pour autant renoncer à aborder les questions qui feront justement l'objet de la négociation entre les partenaires sociaux à l'automne prochain. Ce n'était pas évident, car quasiment aucune question n'échappe au champ de la négociation et les partenaires sociaux étaient, à juste titre, vigilants pour
ne pas entamer leurs marges de manœuvre. Sur ce point, je dois dire qu'ils ont fait preuve d'une remarquable homogénéité.

IF - Sur quels points estimez-vous que le groupe de travail a réalisé des avancées significatives ?

P. F. - Je soulignerai quatre points, de natures différentes, qui peuvent préparer des évolutions futures de notre système de formation.

La nécessité, d'abord, de faire plus et mieux pour ceux qui sont dans les situations les plus difficiles : jeunes sortis sans qualification ou sans qualification adéquate, demandeurs d'emploi et salariés fragilisés. Même si le consensus n'a pu s'établir sur les outils à mettre au service de ces populations, il s'est réalisé sur la nécessité d'y accorder des moyens supplémentaires.

Ensuite, il ressort des travaux du groupe que l'amélioration de l'efficacité de notre système de formation, dans l'entreprise et dans la sphère publique, offre suffisamment de potentiel et de marge de manœuvre pour que l'affectation de ressources supplémentaires aux personnes en difficulté ne se traduise pas par des sacrifices pour les personnes qui sont aujourd'hui mieux loties. C'est une donnée importante pour que les impulsions nécessaires soient données sans crainte de déstabiliser l'édifice. Si cette marge de manœuvre n'existait pas, la réforme serait beaucoup plus difficile, car il n'est jamais aisé de “déshabiller Pierre pour habiller Paul".

En troisième lieu, je soulignerai que la réflexion sur un droit à la formation différée pour les sortants précoces du système éducatif a permis de réfléchir à l'articulation entre formation initiale et formation continue, en précisant les responsabilités de l'une et de l'autre, en évitant les mises à l'index faciles de l'une ou de l'autre. Ce riche débat a permis de bien situer l'acte de formation, qui n'est pas une fin en soi, dans un processus plus large d'orientation et d'accompagnement des personnes ; la mise en place, annoncée par les ministres, d'un groupe de travail sur l'amélioration de l'orientation, en liaison avec l'Éducation nationale et l'Enseignement supérieur, est, de ce point de vue, une bonne chose. Dans la logique de parcours professionnel, la question de l'orientation tout au long de la vie est en effet une question-clé, dans un environnement économique en transformation rapide.

Enfin, et c'était un des objectifs que nous nous étions assignés, l'essentiel des problèmes a fait l'objet d'échanges, sans concession certes, et sans toujours trouver l'accord des différentes parties, mais avec l'indéniable avantage de montrer que les acteurs étaient déterminés à ne rien laisser dans l'ombre.

Ce groupe de travail n'était pas là pour trouver des solutions à tous les problèmes, mais pour faciliter la tâche des négociateurs et des décideurs ; dans cette optique, il était indispensable que les questions les plus difficiles ne soient pas occultées.

IF - Effectivement, le document de synthèse fait apparaître beaucoup de points encore en suspens. Avez-vous malgré tout le sentiment que la réflexion est “mûre" pour une réforme de la formation ?

P. F. - Oui, très franchement, je crois que les acteurs y sont prêts. Les travaux du Conseil d'orientation pour l'emploi et ceux du CNFPTLV, largement consensuels, ou le débat suscité par le rapport sénatorial, ont fait mûrir la réflexion. Le groupe multipartite l'a prolongée, en entrant dans des dimensions plus opérationnelles, forcément plus délicates.

Je me risquerai même à suggérer que les acteurs sont prêts à davantage bouger que ne le laissent entendre leurs prises de position actuelles. Mais, comme les partenaires sociaux réaffirment avec vigueur que soit respecté leur champ de négociation et n'entendent pas “mettre la charrue avant les bœufs", il est difficile pour eux d'afficher prématurément leur inclinaison pour telle ou telle solution.
De même, du côté de l'État et des Régions, au-delà des divergences, on a senti le souci de part et d'autre de tirer toutes les conséquences des lois de décentralisation promulguées ces dernières années et, en particulier, de s'interroger sur les modes de gouvernance de l'emploi et de la formation.

À ce sujet, la pire des choses serait de continuer de naviguer entre deux eaux, sans que les responsabilités respectives de l'État et des Régions soient clarifiées. Quoiqu'on pense des choix qui ont été faits en matière de décentralisation (soit dit en passant, on n'a pas franchement choisi la simplicité !), on prendrait le risque, faute de clarification, d'amplifier la confusion et l'inefficacité, de distendre le lien entre les politiques de formation et les politiques d'emploi.

Pour toutes ces raisons, la forme du compte-rendu de nos travaux est restée très ouverte pour laisser ensuite les acteurs concernés aux différents niveaux, dans le cadre de leurs négociations, de leurs échanges et de leurs réflexions, prendre les bonnes mesures.

IF - Deux questions semblent avoir été peu abordées par le groupe multipartite. Le financement du paritarisme et le compte formation individuel. Pour quelles raisons ?

P. F. - Sur le premier point, dans la lignée des travaux du COE, nous avons rappelé l'essentiel, à savoir que la question du financement du paritarisme doit faire l'objet d'un traitement approprié, dans le cadre d'une négociation spécifique. Cela dépasse largement le cadre de la formation professionnelle, bien entendu, mais l'oublier serait rendre les réformes envisagées plus compliquées.

Quant au compte épargne formation, il n'y a pas eu d'impasse sur le sujet : simplement, le groupe de travail, tout en évoquant très largement les besoins de développer et coordonner les outils d'aide à la construction du projet professionnel, n'a pas préconisé le dispositif du compte épargne formation, confirmant à son sujet l'absence de consensus qu'avait déjà relevée le COE. Il n'est pas apparu que cet outil permettait de relever les défis nouveaux qui s'imposent à la formation professionnelle et l'absence d'expérience concluante dans les pays cités en exemple en termes d'efficacité a sans doute contribué à détourner les membres du groupe de cette approche.

Cela étant, le groupe de travail a précisé que le droit à la formation différée doit être entendu comme la reconnaissance pour les sortants précoces du système éducatif d'une sorte de “crédit de formation" à faire valoir, dont l'expression, les modalités techniques et financières, la gouvernance, restent à établir. Il a également indiqué que ce droit n'était pas incompatible avec une problématique de l'accompagnement et du pilotage et qu'il n'était pas contradictoire avec une amélioration de la prise en compte de ces publics par le système de formation initiale.

IF - Est-ce que certains éléments vous conduisent à être optimiste pour la suite des travaux (négociation des partenaires sociaux et concertation État-Régions) ? Lesquels ?

P. F. - Quelques données objectives poussent, sinon à l'optimisme béat, à tout le moins à considérer que l'immobilisme n'est pas de mise.
Du côté des partenaires, il y a, au-delà du bilan positif établi à propos de l'accord national interprofessionnel de 2003, une conscience claire que la formation professionnelle doit mieux prendre en compte certains actifs qui sont dans une position difficile, dans l'entreprise ou en dehors de l'entreprise. L'article 15 de l'Ani de janvier 2008 en témoigne, même s'il reste, dans les négociations qui suivent, à lui donner un contenu précis et à examiner dans quelles conditions les moyens mobilisés par les entreprises vont compléter ceux de la puissance publique.

Il y a également une approche du rôle d'intermédiation des Opca, tourné vers le service aux entreprises, voire aux personnes, qui est susceptible de donner une vigueur nouvelle à un système un peu vieillissant.

Il y a, enfin, un regard lucide sur certains outils, les contrats d'alternance, le Cif, le Dif, le plan de formation, sur leur efficacité ou leur insuffisance, qui me semble en cohérence avec le souci des partenaires sociaux de partir des besoins, ceux des entreprises comme ceux des actifs. La perception d'un nécessaire renouvellement de l'offre de formation va également dans le même sens, en affirmant le primat de la demande sur l'offre ; la nécessité de mieux évaluer l'efficacité de cette offre, voire d'y conditionner une partie de la rémunération des prestataires lorsque la mesure des résultats est possible, a été soulignée.

Du côté de l'État et des Régions, la configuration politique actuelle ne facilite pas les choses. Mais, il y a une ardente obligation de rendre plus cohérente l'action du nouvel opérateur public, “France emploi", et celle des Régions, dans la formation professionnelle, notamment, en direction des demandeurs d'emploi et des jeunes les moins qualifiés. Le lien formation-emploi a en effet été au cœur des préoccupations de notre groupe. Vous me direz que cette indispensable coordination ne garantit pas forcément la convergence des acteurs concernés ; mais j'ai la conviction que, si la place et la légitimité de chaque acteur sont bien précisées et reconnues, si le souci de rompre avec une complexité qui brouillait les pistes et diluait les responsabilités est confirmé, on peut raisonnablement s'attendre, non pas à un “grand soir", mais à des clarifications dans la répartition des tâches au sein de la puissance publique.

IF - Comme en 2003, est-il possible de parvenir à un accord qui recueille la signature de tous les partenaires sociaux ? Ceux-ci craignent que l'État veuille récupérer
une partie des moyens de la formation professionnelle pour rééquilibrer les finances publiques.

P. F. - Ce serait sans doute manquer de lucidité que d'ignorer les contraintes qui pèsent sur les finances publiques et le regard qui peut en découler, du côté de l'État, sur les moyens mobilisés par la formation. Cela perturbe indéniablement le jeu des acteurs.
J'espère que là où l'État est en première ligne – l'Éducation nationale –, il ne sacrifiera pas l'investissement que représente la formation initiale, indispensable pour améliorer la compétitivité de l'économie et donner les bases d'une vraie employabilité aux futures générations.
J'espère aussi que les voies d'amélioration du système sur lesquelles nous avons travaillé permettront de ne pas renoncer aux actions de formation utiles pour l'ensemble des actifs, malgré ces contraintes budgétaires.

Quant aux chances de voir renouveler le “grand chelem" de l'Ani 2003 sur la formation professionnelle, avec la signature de tous les acteurs, mon optimisme est quelque peu tempéré par l'environnement global dans lequel se situera la future négociation. Les discussions sur la représentativité, le temps de travail, ont fait quelques dégâts, tant au sein du monde patronal que du côté des confédérations syndicales. Et comme les exigences du prochain accord sont plus élevées qu'il y a cinq ans, que la rigueur budgétaire peut également conduire à des crispations, l'unanimité est loin d'être acquise.

IF - Personnellement, à l'issue de ces travaux, quel regard portez-vous aujourd'hui sur le système de formation actuel ? Quelles préconisations souhaiteriez-vous faire ?

P. F. - Tout au long de cette période, aussi bien en animant le groupe de travail du COE pour préparer son avis qu'en conduisant les travaux du groupe multipartite, j'ai acquis la conviction qu'on ne pouvait pas réformer le système, en améliorer l'efficacité, sans lui reconnaître ses mérites sur les terrains qu'il occupe bien. Après tout, s'il y a bien un terrain sur lequel la négociation et le pilotage des partenaires sociaux se justifient, c'est celui de la formation professionnelle ; l'enjeu est à la fois celui de la sécurité et de l'employabilité pérenne des salariés et celui de la compétitivité durable des entreprises.

C'est pour cela que je crois également, outre la nécessaire clarification du rôle des acteurs, la simplification et la transparence accrues du système, qu'on n'améliorera pas l'efficacité de l'investissement formation pour l'entreprise, les actifs et la société sans une responsabilisation renforcée de tous les acteurs.
J'ai tenu ainsi, dans le groupe, même si ce n'était pas le sujet le plus consensuel, à faire débattre de l'obligation légale, qui structure le financement de la formation professionnelle depuis des décennies. Je comprends l'extrême prudence des organisations syndicales et leur crainte de voir se ralentir un effort de formation que la stratégie de Lisbonne incite à renforcer. Je comprends un peu moins la réaction d'une partie des représentants patronaux qui semblent considérer qu'il s'agit là de l'unique moyen de pousser les entreprises à investir dans la formation, en prenant le contre-pied de ce qui se fait dans tous les pays voisins ; cette réaction va jusqu'à remettre en cause le souci exprimé dans l'Ani de 2003 de réfléchir au dépassement de cette obligation légale.

Il me semble qu'il faut explorer une autre voie, avec beaucoup de précaution compte tenu des habitudes, et en laissant de côté les TPE et les PME qui présentent des caractéristiques spécifiques (même s'il convient de ne pas exagérer le bénéfice qu'elles tirent de la mutualisation des sommes collectées) : celle de la négociation du plan de formation par les partenaires sociaux, celle d'une politique plus incitative pour que les publics délaissés soient mieux pris en considération, avec une politique de subventionnement ciblée qui a fait ses preuves ailleurs ou un maintien des obligations légales justement pour les personnes que l'entreprise n'intègre pas spontanément dans sa logique de formation.

Si ce processus de responsabilisation, d'incitation et de négociation est maîtrisé, en laissant une juste place à l'expérimentation, je suis persuadé que non seulement l'effort de formation ne sera pas ralenti, mais que l'efficacité de cet investissement s'en trouvera améliorée.

Et je suis également convaincu que cette efficacité nouvelle permettra de concilier les ressources supplémentaires qu'il faut mobiliser pour les actifs en difficulté et le maintien des efforts de qualification pour tous les autres.

Le lieu pertinent où s'expriment les besoins de formation et le niveau des dépenses à y consacrer, c'est l'entreprise, ce qui n'est pas contradictoire avec les approches de GPEC de branche ou territoriales, notamment pour les PME. Une implication nouvelle des partenaires sociaux, à ce niveau-là, en dépassant les modalités un peu désuètes de l'information-consultation sur le plan de formation, est nécessaire. Libre au législateur, dans un pays où la politique contractuelle s'exprime avec difficulté, de placer les verrous nécessaires pour accompagner ce mouvement, sans déresponsabiliser les acteurs...

Propos recueillis par Patricia Gautier-Moulin