Silver économie une offre de formation en plein développement… pour des débouchés encore rares

Par - Le 15 décembre 2013.

L'anglicisme − évoquant les tempes argentées des seniors − est repris à son compte par le
gouvernement, qui a même élaboré un logo officiel pour évoquer l a “Silver économie". La
dépendance, appelée à concerner une proportion considérable de la population, va inévitablement
générer une activité économique en proportion, et la formation sera au rendez-vous. Pour le moment,
l'audience des cursus dédiés à la “gérontechnologie" est encore timide.

Depuis le 24 avril 2013 et
la déclaration conjointe
des ministres en charge du
Redressement productif et
des Personnes âgées, Arnaud
Montebourg et Michèle De launay, la
France est officiellement entrée dans
l'ère du développement de la “Silver
économie" [ 1 ]Filière regroupant toutes les entreprises agissant pour
et/ou avec les personnes âgées : services
personnalisés, technologies pour l'autonomie, etc.
, cette filière dédiée à l'accompagnement
des personnes âgées.
Il était temps de donner le départ
d'une structuration de ce secteur car,
aujourd'hui, les seniors de 60 ans et
plus sont déjà 15 millions − et seront
20 millions d'ici à 2030, soit près d'un
Français sur trois. Quant au poids démographique
des octogénaires, il devrait
quadrupler dans les quarante ans à venir,
passant de 1,4 million à 4,8 millions
d'ici 2050.

“C'est un véritable changement de société
qui s'annonce avec l'allongement de
la durée de la vie", résumait Michèle
Delaunay, alors qu'Arnaud Montebourg
pointait “l'opportunité en matière de
croissance et d'emplois" susceptible d'être
générée par le développement d'une
filière consacrée à “l'économie du vieillissement".

Or, en matière d'accompagnement
technologique et humain des
seniors, la France reste très en retard par
rapport au monde anglo-saxon ou à ses
partenaires européens.

Le retard français en matière
de “gérontechnologies"


Alors que l'Espagne ou l'Angleterre
comptent chacun près de deux millions
de foyers équipés de la “téléassistance"
(dispositif permettant de connecter un
transmetteur sur la ligne téléphonique
du domicile, pour permettre des appels
d'alerte et la mise en relation depuis un
émetteur radio portatif ), l'Hexagone
atteint péniblement les 450 000. Idem en
matière d'appareillage des sourds et malentendants,
puisque la Société française
des technologies pour l'autonomie et
la gérontechnologie (SFTag) estime à
20 % seulement le nombre de déficients
auditifs correctement appareillés.
“Question de culture et de rapport personnel
au vieillissement, peut-être", avance le
professeur François Piette, président
de la SFTag et chef de service du pôle
Allongement de la vie de l'hôpital
Charles-Foix (AP-HP) d'Ivry-sur-Seine.

“On se souvient du mini-scandale qu'avait
suscité la révélation de l'appareillage de
Jacques Chirac, voici quelques années,
alors que Bill Clinton, lui-même équipé et
plus jeune que l'ancien président français,
n'avait jamais fait spécialement mystère de
sa déficience auditive."

La France compte aujourd'hui près
de 800 000 malades d'Alzheimer à
accompagner, 1,15 million de personnes
dépendantes, un nombre croissant de
“papy-boomers" dont les habitudes de
consommation n'ont rien à voir avec
celles des générations précédentes. En
2015, les seniors assureront près de 54 %
des dépenses nationales (dont 64 % du
marché de la santé et 56 % de celui
des assurances). De quoi créer, selon
la ministre des Personnes âgées et de
l'Autonomie, s'appuyant sur une étude
de la Dares, entre 300 000 et 400 000
emplois dans les années à venir. À
condition, cependant, que l'offre de
formation à ces métiers, dont la plupart
n'existent pour l'instant pas, suive…

Des débouchés concrets
encore à trouver


“Le problème, avec cette vision de l'accompagnement
du vieillissement, c'est que la
plupart des acteurs se positionnent d'ores
et déjà dans une logique marchande, alors
qu'un modèle économique viable n'a pas
encore été trouvé", regrette Claude Jeandel,
professeur de gériatrie à l'Université de
Montpellier. “Pour l'instant, en matière
de formation professionnelle continue
adaptée à la Silver économie, l'heure est
plutôt au tâtonnement, puisque peu de
débouchés ont été identifiés dans ce secteur
dont le modèle est encore à structurer",
reconnaît François Piette. Toutefois,
davantage que de “nouveaux métiers"
dans la branche, ce que le président de
la SFTag imagine plus volontiers, c'est
une mise à jour des professions existantes
intégrant les évolutions technologiques à
leurs missions dans le but de permettre
une plus grande autonomie des seniors.
“C'est à l'époque où Jean-Louis Borloo
occupait le poste de ministre du Travail
dans le premier gouvernement Fillon qu'a
été évoquée l'assistance aux personnes âgées
comme source d'emplois. Mais le plan de
prise en charge des seniors doit tenir compte
du fragile équilibre qui existe entre l'accompagnement
humain et l'aide technologique.
Il ne faut jamais oublier qu'une personne
âgée peut manifester le désir de disposer
d'un maximum d'autonomie."
Une aspiration dont tiennent compte
la plupart des programmes européens
consacrés à la thématique du “vieillissement
en bonne santé", à l'image de
l'European innovation partnership on
active and healthy ageing (EIP-AHA)
qui dispose d'un groupe transversal
“formation" auquel siègent diverses
instances françaises, même si la
dominante de l'innovation reste portée
par les pays du Nord (Scandinavie,
Pays-Bas, Royaume-Uni, etc.).

Silver Vallée

Le lancement officiel de la filière Silver
économie en avril dernier a donné un
coup d'accélérateur à un certain nombre
de projets liés aux développement des
compétences des accompagnants du
troisième âge, même si des initiatives
avaient déjà vu le jour avant que le politique
ne donne son impulsion au mouvement.
En témoigne le développement de la
“Silver Vallée" d'Ivry-sur-Seine, portée
par le cluster Soliage (Solutions innovantes
pour l'autonomie et la gérontechnologie),
rassemblant professionnels de santé
(AP-HP, hôpital Charles-Foix), assureurs
(AG2R La Mondiale, Prémalliance), pôles
universitaires (Université Pierre-et-Marie-
Curie) et institutionnels (ville d'Ivry,
Chambre de commerce du Val-de-Marne,
Conseil général), destiné à constituer un
premier réseau dédié à la production de
biens et services concernant l'autonomie
des personnes âgées.

Si ce cluster se dotera, dès la rentrée 2014,
d'un bâtiment de 5 000 m2 au coeur d'Ivry
et promet la création de 5 000 emplois
dans les cinq ans, une partie de son action
est aujourd'hui consacrée à l'animation
de formations spécialement dévolues
aux innovateurs en matière d'assistance
technologique aux seniors. “L'objectif est
d'aider les porteurs de projets à élaborer leurs
business plans, mais aussi à savoir présenter
leurs innovations à de potentiels financeurs
pour leur permettre de les rendre viables",
explique Guillaume Lebreton, responsable
de communication au sein de la Silver
Vallée. Et les profils des stagiaires sont
variés, qu'il s'agisse d'étudiants sortis frais
émoulus de leur école de commerce misant
sur ce nouveau marché, ou d'ingénieurs
ayant conçu des dispositifs novateurs à
destination de l'aide aux seniors.

Cursus universitaires
expérimentaux...


Preuve que la thématique de l'accompagnement
du vieillissement ne relève
plus uniquement aujourd'hui du
champ strictement médical, c'est dans
les campus de sciences humaines que
se sont développés les quatre masters
proposés actuellement par l'Université
sur ce sujet (Paris, Grenoble, Montpellier,
Strasbourg). Des masters expérimentaux à
l'audience encore timide (en 2012, celui
de Grenoble comptait six étudiants ;
quatre l'année suivante), ce que Vincent
Rialle, enseignant à l'Université Joseph-
Fourier de Grenoble, justifie par leur
nouveauté sur un marché des diplômes
surchargé, mais aussi par l'absence,
pour l'instant, de débouchés identifiés
en termes de métiers. “Actuellement, la
moitié des étudiants engagés dans ces cycles
sont des professionnels – kinésithérapeutes,
ergothérapeutes, responsables de structures,
éducateurs, etc. – qui viennent se sensibiliser
aux problématiques de la dépendance au
titre de la formation continue", souligne le
responsable du diplôme. Mais si les inscrits
demeurent encore peu nombreux, les universitaires
comptent sur le développement
de dispositifs e-learning pour atteindre
une cible plus vaste.

… et à distance

Des cursus numériques, l'hôpital
Charles-Foix et le réseau FormaticSanté
en proposent déjà. Le premier grâce à Til
(Trans innov longévité), un dispositif
d'enseignement à distance accessible aux
étudiants de certains diplômes universitaires
“gérontechnologies" dispensés par
l'Université Pierre-et-Marie Curie ; le
second au travers d'“Hôpital numérique",
un programme destiné à populariser
l'usage des nouvelles technologies auprès
des personnels infirmiers et à les familiariser
avec les outils de cette gérontechnologie.
“Dans le cadre du développement professionnel
continu des personnels de santé, l'un
des objectifs de notre dispositif est de permettre
à l'ensemble des personnels infirmiers de
pouvoir obtenir la certification C2I [ 2 ]Certificat informatique et internet.",
espère Lizette Cazele, de FormaticSanté :

“Les médecins et pharmaciens y ont déjà
droit, alors pourquoi pas l'ensemble des
personnels de santé ?" Néanmoins, au sein
du corps infirmier, les réticences envers la
gérontechnologie demeure encore fortes.
Là encore, question de culture, pour une
profession habituée à l'approche relationnelle
avec les patients et qui se méfie de la
tentation du “tout technologique".
Innovation et éthique

En dépit de l'ambition affichée en avril
2013 par les deux ministres, les premiers
pas de la Silver économie restent donc
titubants. Vincent Rialle avoue d'ailleurs
“voir dans la situation actuelle des technologies
et des services innovants beaucoup d'incandescence
et un peu de dégénérescence…
Incandescence, par l'impressionnante vitalité
créatrice de notre pays dans ce domaine ;
dégénérescence, en ce que les objectifs et les
stratégies de développement et de pérennisation
de toutes ces initiatives se font plus ou
moins concurrence, ce qui donne globalement
une impression de suractivité impuissante".
Normal, pour François Piette, puisque l'innovation
en matière d'assistance aux seniors
demeure encore le fait de PME (voire de
TPE) ou d'expérimentations universitaires.
“Les grands groupes restent frileusement en
embuscade et attendent de voir les premiers
développements concrets avant de se lancer.
Mais gardons cependant en mémoire que la
gérontechnologie, tout comme la formation, ne
sont que des moyens d'améliorer le quotidien
des personnes âgées… La finalité, celle qui
compte réellement, demeure le service rendu
aux patients. L'innovation ne doit jamais faire
oublier l'éthique."

Notes   [ + ]

1. Filière regroupant toutes les entreprises agissant pour
et/ou avec les personnes âgées : services
personnalisés, technologies pour l'autonomie, etc.
2. Certificat informatique et internet.