Une pédagogie spécifique pour les “formateurs de l'alternance"

Par - Le 15 décembre 2013.

Former des jeunes en alternance ne s'improvise pas. Ne serait-ce que pour lutter contre le taux de
ruptures. L'Institut de professionnalisation des acteurs de l'alternance forme en deux ans les formateurs
à une pédagogie spécifique. Explications.

ai été enseignante de français
pendant longtemps dans un lycée.
Aujourd'hui je suis formatrice
dans un CFA, ce n'est pas la même
chose. Ici, la pédagogie tourne autour
du jeune, de ses besoins et en lien avec
ceux de l'entreprise qui l'accueille dans le
cadre de sa formation", témoignait une
formatrice de CFA, lors de la remise
officielle[ 1 ] Le 13 novembre dernier, au Conseil régional
d'île-de-France.
des diplômes “Formateur de
l'alternance" aux 48 lauréats 2013.
“Il est clair qu'on ne forme pas les apprentis
comme on forme les autres jeunes. Il faut
prendre en compte certaines spécificités",
rappelle Olivier Faron, administrateur
général du Conservatoire national des
arts et métiers (Cnam). L'organisme
public de formation assure le fonctionnement
du jury et délivre les diplômes
de cette formation qu'il a mise en place,
voici plus d'une vingtaine d'années avec
le concours de la Région Île-de-France.
Le dispositif original “consiste à former
les formateurs à la pédagogie spécifique de
l'alternance dans le cadre d'un parcours
individualisé et de formations individualisées,
si possible au début de l'exercice de
leur fonction en CFA".

Cette formation “répond à une obligation
conventionnelle qui concerne tout
formateur recruté, qu'il soit formateur
d'enseignement général (FEG) ou
formateur d'enseignement technique
(FET), dans un CFA francilien, qui a
une charge de travail au moins égale à un
mi-temps", précise Bertrand Derouineau,
directeur de l'Institut de professionnalisation
des acteurs de l'alternance (IP2A),
qui assure l'animation de ce dispositif
depuis 2004.

600 heures de formation

Organisé sur deux ans, le cycle de
formation comprend au maximum
600 heures de formation réparties en
quatre-vingt journées, moitié organisées
en ateliers et sessions, moitié par le CFA.
S'y ajoutent cinq jours obligatoires
d'“atelier de soutien d'expression écrite
et orale" pour les formateurs stagiaires
titulaires d'un diplôme de niveau V
(CAP-BEP).

Les diplômés obtiennent le titre de
“Formateur de l'alternance" de niveau III,
inscrit au Répertoire national des certifications
professionnelles (RNCP) depuis
mars 2011. Depuis le démarrage du cycle,
plus de 2 000 formateurs ont été formés,
dont 750 par l'IP2A. La formation est
prise en charge par la Région qui consacre
un budget de plus d'1,6 million d'euros
par an, auxquels s'ajoutent 300 000 euros
destinés à l'indemnisation des CFA
pour le temps passé par les formateurs
en formation. La Région rembourse aux
CFA une partie des frais salariaux et de
restauration des formateurs en formation
à hauteur d'un forfait de 50 euros par
journée de formation suivie.

De nouvelles orientations

Mais les acteurs de la formation ont
décidé de “donner de nouvelles orientations
au dispositif. L'une concerne le renforcement
de la relation avec l'entreprise
pour prendre en compte les besoins des
formateurs sur le plan pédagogique, de la
relation avec le CFA, les apprentis et les entreprises.

L'autre vise à consolider l'individualisation
du parcours et des formations",
indique le directeur de l'IP2A. En effet,
explique-t-il, “l'individualisation permet
de préconiser à chaque formateur tout ou
partie des 38 modules qui couvrent le référentiel
« formateur de l'alternance » du
titre, mais surtout, d'analyser son besoin
spécifique en compétences". Le parcours
modulaire, qui peut s'étaler sur une ou
plusieurs années, comporte 315 heures
de formation maximum (modules selon
le parcours préconisé) sous forme de
séances collectives, de suivis individuels
ou à distance. La formation intègre
également l'activité salariée du formateur
stagiaire au sein de son établissement. En
effet, l'employeur lui accorde 300 heures,
sur son temps de service, afin qu'il puisse
“mettre en pratique les apprentissages, le
projet pédagogique, une relation avec l'entreprise
et un accompagnement accru des
apprentis en entreprise".

“Réinvestissement permanent"

L'évolution de la formation exige
une “articulation permanente de la
formation avec les activités imminentes des
formateurs au CFA". Il s'agit de renforcer
l'accompagnement au CFA en vue de
faciliter et de mesurer le “réinvestissement
permanent de la formation en situation de
travail par les formateurs". Une telle articulation
débute par le positionnement
qui permet au CFA et au formateur
de décrire ses besoins imminents et à
plus long terme. Elle se poursuit par
l'anticipation, pour chaque formateur,
de ses besoins imminents au CFA pour
chaque module. Ainsi donc, “le processus
de formation est centré sur des résolutions
de problèmes imminents d'abord individuelles,
qui s'intègrent progressivement
dans un projet pédagogique plus large
dans le cadre des échanges collectifs.

L'objectif du projet pédagogique ainsi
que les moyens pour sa mise en oeuvre
doivent être négociés dès le début du
parcours avec la hiérarchie du CFA",
explique le responsable du cycle de
formation.

Un autre point de nouveauté
concerne l'hétérogénéité des groupes
en formation. En effet, “l'individualisation
des parcours et des formations
permet aussi d'exploiter enfin pleinement
l'hétérogénéité des formateurs, au profit
de tous, quels que soient leurs origines
professionnelles, leurs niveaux de
formation, leurs secteurs professionnels,
le type d'enseignement qu'ils dispensent
(enseignement général ou pratique). La
formation peut ainsi favoriser l'approche
de la pluridisciplinarité, des relations
entre enseignement technique et enseignement
général, tout en permettant à
chacun de se spécialiser selon son contexte
et ses caractéristiques propres".

“Promouvoir les démarches
proactives"


“Le modèle d'alternance que nous développons
en Île-de-France encourage les
formateurs des CFA à anticiper individuellement
les activités imminentes des
apprentis en entreprise. Cela permet
d'impliquer davantage les apprentis
et leurs entreprises, de renforcer l'efficacité
et la durabilité des compétences
des jeunes et d'améliorer leurs chances
d'obtention du diplôme", soutient
Emmanuel Maurel, vice-président de
la Région en charge de la formation
professionnelle, de l'apprentissage, de
l'alternance et de l'emploi.
Le dispositif vise donc à “accompagner
le formateur dans sa relation avec
l'apprenti, favoriser l'adéquation entre
la formation et les réalités changeantes
de l'entreprise, promouvoir les démarches
proactives de l'apprenti, et développer la
collaboration entre les CFA et les entreprises",
précise Olivier Faron.

Dispositif “Qualité de
l'alternance"


Il s'agit de “créer un véritable lien entre
le CFA et l'entreprise, en renforçant les
échanges entre le formateur référant (en
CFA) et le maître d'apprentissage (en
entreprise). Cela permet de donner au
jeune le plaisir d'apprendre", ajoute
Patricia Ramajerison, diplômée 2013,
formatrice en anglais au CFA des
commerces de l'alimentation (Cifca).

Selon cette ancienne enseignante de
français en Angleterre, un tel rapprochement
permet d'“éviter les ruptures
de contrat en cours d'apprentissage". Une
préoccupation qui explique la mise en
place, dès 2009, du dispositif “Qualité
de l'alternance". Il vise, avant tout,
à “amener le CFA à mieux articuler les
formations et le travail réel du jeune en
entreprise", notamment en “raccourcissant
le délai entre le moment où le jeune
reçoit une formation au CFA et le moment
où il l'applique en entreprise", explique
Bertrand Derouineau.

Le renforcement de la professionnalisation
des formateurs et l'accompagnement
dans l'évolution de leurs
pratiques pédagogiques paraissent
donc indispensables. Selon Emmanuel
Maurel, le dispositif francilien “est stratégique
pour la réussite de l'apprentissage.
Former les formateurs à la pédagogie
de l'alternance, c'est sécuriser le parcours
des apprentis et favoriser leur insertion
professionnelle". Et “répondre à la volonté
de la Région de développer une alternance
plus efficace dans les CFA", complète
Dominique Ledogar, chef du service
accompagnement à la direction de l'apprentissage
et de l'emploi, qui pilote le
dispositif “Qualité de l'alternance".

Notes   [ + ]

1. Le 13 novembre dernier, au Conseil régional
d'île-de-France.