Monique

Bénaily

Pour passer d'une “logique formative" à une “logique d'apprentissage".

Monique Bénaily, responsable adjointe de la formation du groupe BNP Paribas, ancienne présidente du Garf[[Groupement
des acteurs et des responsables de la formation.

www.garf.asso.fr ]], vient de publier (avec Sandra Enlart, professeur à l'Université de Genève et directrice des études d'Entreprise & Personnel), La fonction formation en péril - De la nécessité d'un modèle en rupture[[Éditions Liaisons.]].

Par - Le 29 octobre 2008.

Inffo Flash - “La fonction formation en péril", pourquoi un titre aussi pessimiste ?

Monique Bénaily - Ce titre fort dans son expression est le reflet de l'analyse que nous faisons de la situation actuelle de la formation dans les entreprises, mais c'est aussi une manière d'inviter les acteurs de la formation à entrer dans ce débat et – nous l'espérons – à s'engager sur des voies nouvelles qui permettront de relever les défis auxquels les individus et les entreprises sont d'ores et déjà confrontés dans la société de la connaissance.

J'ajouterai que si notre regard sur la fonction formation en entreprise n'est en effet pas optimiste, notre livre a aussi pour ambition de proposer un nouveau modèle de la formation professionnelle qui permette à chacun d'apprendre dans son environnement de travail.

Là encore, la formule, lapidaire dans son expression, recouvre une modification en profondeur de la définition même de la formation professionnelle, de ses missions, de son positionnement, des compétences requises par les acteurs de la formation.

IF - Pourtant, la réforme issue de l'Ani de 2003 et de la loi de 2004 n'a-t-elle pas replacé le responsable formation au centre de la stratégie de développement du “capital humain" de l'entreprise ?

M. B. - Nous avons en effet souligné dans notre livre que la réforme de la formation professionnelle avait défini un cadre très stimulant pour les entreprises et pour les professionnels de la formation. Néanmoins, la mise en œuvre de cette réforme représentait aussi des défis non négligeables. J'en retiendrai deux principaux : élaborer une politique de professionnalisation soutenant les besoins du marché interne de l'entreprise et du marché de l'emploi ; et revoir l'offre de formation et de services en introduisant de l'individualisation, en reconnaissant l'expérience, en articulant GPEC et formation.

Malheureusement, bon nombre d'enquêtes le montrent, les responsables de la formation ont surtout vécu la réforme comme une très lourde contrainte administrative et comme un risque financier majeur. Ce sont ces deux dimensions administrative et financière qui ont pris le devant de la scène et qui, malheureusement, n'ont pas permis aux responsables de la formation de s'engager réellement, pour une bonne partie d'entre eux, dans une “remise à plat" de leur politique de formation.

IF - Si les entreprises investissent de plus en plus dans la formation, n'est-ce pas grâce au travail des responsables formation ?

M. B. - Je ne pense pas qu'il faille réduire l'analyse de la situation de la formation professionnelle en entreprise à celle du rôle des responsables de la formation. En effet, de notre point de vue, c'est bien d'un système dont il s'agit, et c'est la fonction formation en interaction avec ses clients internes, ses prescripteurs et ses partenaires que nous avons souhaité “ausculter".

C'est pourquoi nous avons pointé, dans un premier temps, ce qui semble nuire aujourd'hui à ce système et, dans un second temps, ce qui peut expliquer ces dérives et ces défaillances.
Par ailleurs, nous nous réjouissons de constater que les entreprises investissent de plus en plus dans la formation de leurs salariés, même s'il nous semble important d'y regarder de plus près et de vérifier si cet effort financier se retrouve, quelles que soient la taille de l'entreprise et la catégorie de salarié.

Toutefois, le propos de notre livre est d'insister sur le fait que l'acquisition et le renouvellement des compétences peuvent aussi se construire sur et dans la situation de travail. À cet égard, une étude Eurostat NewCronos[Eurostat est l'office des statistiques de l'UE. [epp.eurostat.ec.europa.eu

NewCronos est la base de données macroéconomiques et sociales d'Eurostat. Cette étude a été citée notamment par le Céreq, www.cereq.fr /cereq/b187.pdf
[/footnote] de mai 2002 montre que les cinq pays qui ont la plus forte proportion d'“entreprises formatrices" en Europe sont aussi ceux qui, non seulement proposent beaucoup d'actions de formation, mais encore offrent – à des pourcentages élevés – “des formes moins formalisées tels l'autoformation, la formation en situation de travail, des colloques ou séminaires ayant un objectif de formation, la rotation organisée sur des postes de travail ou encore des cercles d'apprentissage ou de qualité".

IF - Alors que s'ouvrent les négociations pour une nouvelle réforme, quelles pistes proposez-vous pour améliorer la formation ?

M. B. - Dans la postface du livre, nous traitons des questions relatives à la “réforme de la réforme". Pour illustration, nous donnons notre point de vue sur les questions de la suppression de l'obligation légale, de la “portabilité" du Dif, des comptes épargne formation, de l'évaluation de l'efficacité des actions de formation et de la qualité de l'offre.

Une des propositions qui nous est chère, car elle fait écho au propos central du livre, à savoir passer d'une “logique formative" à une “logique d'apprentissage", est de revoir la définition actuelle de l'action de formation.
Compte tenu des défis qui touchent notre société en termes sociaux et économiques, nous ne pouvons plus parler uniquement de “formation", au sens de la circulaire de novembre 2006, pour garantir le renouvellement et le développement des compétences dont les entreprises ont besoin. Cette circulaire doit être revue et intégrer la diversité des leviers mobilisés pour apprendre.

Tous les dispositifs d'apprentissage qui concourent au développement de compétences doivent en faire partie ; l'accompagnement sous toutes ses formes, qu'il remplisse une fonction de soutien, de suivi, d'échanges, de confrontation, de prise de recul, doit aussi être reconnu car il a un effet positif sur l'apprentissage.

Enfin, toutes les actions d'orientation, de guidage devraient être imputables, quelle que soit leur forme, à partir du moment où elles contribuent à remettre l'individu au cœur du système de formation.

IF - Vous appelez l'ensemble des acteurs de la formation à s'engager. Que souhaitez-vous concrètement ?

M. B. - Nous proposons de faire évoluer le positionnement de la fonction formation d'une position de pouvoir et de logique de territoire organisationnel à une position “d'expert transversal". L'expert transversal intervient sur “tout ce qui est autour" de l'apprentissage, tout ce qui peut le faciliter, le rendre accessible, le rendre efficace. Il se centre tout autant sur ceux qui apprennent que sur ceux qui l'entourent.

Les questions nouvelles sont alors : comment construire des environnements qui favorisent des attitudes d'apprentissage permanentes et différenciées ? Comment mettre les collaborateurs des entreprises en mesure de pouvoir apprendre, de savoir qu'ils apprennent et de rechercher cet apprentissage dans des situations souvent non étiquetées “de formation" ? Comment penser l'offre de formation en imaginant une grande variété de comportements d'apprentissage ?

Nous proposons aussi de revoir le type de fonctionnement qui doit caractériser la formation et les relations que la fonction formation entretient avec son environnement. Il nous semble judicieux d'orienter la formation en direction de l'extérieur autour de trois fonctions : l'innovation pédagogique, l'expérimentation et l'essaimage. Trois fonctions qui doivent permettre à la formation :

  • d'échapper à l'“enkystement" de ses pratiques et à vivre au diapason des sociétés, des cultures, en captant les fameux “signaux faibles" ;
  • de ne pas intégrer la “nouveauté", mais de l'interroger par rapport à une organisation et des comportements individuels ;
  •  de créer une offre de formation véritablement individualisée afin de prendre en compte la diversité des manières d'apprendre ;
  •  d'utiliser l'expérimentation non pas comme un préalable à la généralisation, mais comme une opportunité d'apprendre et de capitaliser les expériences et connaissances acquises.

De manière plus globale, la formation devrait se concevoir comme une fonction d'initialisation et d'accompagnement dans l'appropriation de démarches d'apprentissage et ne pas s'installer dans une posture de gestionnaire d'un capital dont elle serait propriétaire.
Enfin, concernant les relations que la formation doit avoir avec son environnement, nous suggérons de faire de la formation une fonction d'interface, faisant le lien entre des mondes, des lieux, des conceptions et des cultures différents. Cette fonction d'interface s'exprimera à la fois à destination des managers, des apprenants, des prestataires et des chercheurs.

Cela suppose des modes de collaboration qui restent largement à inventer, mais qui devront permettre une propagation et une diversification des dispositifs d'apprentissage et des modes d'accompagnement, une “fertilisation" de l'innovation pédagogique, une sécurisation scientifique de l'évolution des pratiques.

Propos recueillis par Knock Billy