Mesures exceptionnelles en temps de crise (Fouzi Fethi, Centre Inffo)  

La crise sanitaire a généré une production pléthorique de textes pour ménager l'écosystème de la formation professionnelle. Décryptage avec Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo.

Par - Le 07 avril 2020.

Le Quotidien de la formation. Une multitude de textes ont été publiés depuis le 16 mars par le ministère du Travail pour faire face à la crise sanitaire. Qu'en retenez-vous ?

Fouzi Fethi. Assurer la continuité pédagogique à distance, à chaque fois que c'est possible. C'est le premier message qui a été diffusé auprès des centres de formation d'apprentis et des organismes de formation contraints de fermer leurs portes au public. La priorité a été d'éviter des ruptures de financement, quitte à assouplir les modalités de paiement ou les contrôles de service rendu de la part des financeurs. Une attention particulière a été portée aux CFA dont l'équilibre budgétaire dépend depuis le 1er janvier directement du nombre d'apprentis formés. Des questions d'ordre opérationnel ou juridique restent encore en suspens et trouveront certainement des réponses dans les mises à jour à venir, via les documents de communication du ministère du Travail.

L'autre point à retenir est le report par ordonnance de l'échéance Qualiopi. Ce qui va permettre aux prestataires de formation, déjà secoués par une réforme d'ampleur des financements, de reprendre leur souffle après cette crise. Ceux qui veulent continuer à être financés sur les fonds publics ou mutualisés auront un an supplémentaire pour être certifiés, soit jusqu'au 1er janvier 2022.

 QDF. La crise actuelle va-t-elle accélérer l'usage des formations à distance ?

Fouzi Fethi. Je ne sais pas, mais elle met en lumière une anomalie certaine : le paiement des prestations repose encore trop souvent sur le temps de présence du bénéficiaire et non sur les résultats attendus de la formation. La feuille d'émargement a été sacralisée au point que la majorité des certificats de réalisation sont produits à partir de ce document. Or, si on veut rendre compte de la grande variété des modalités de formation, les financeurs doivent absolument sortir de cette culture d'« heures-stagiaires » au profit d'une prise en charge au forfait axée sur les résultats de la formation. C'est le seul moyen de favoriser l'émergence d'un mode de preuve plus qualitatif de la réalisation de la prestation. Les indicateurs restent à inventer.

Les freins ne sont plus juridiques aujourd'hui, mais culturels. Il faut que les financeurs acceptent l'idée que sous le stagiaire ou l'apprenti coule l'apprenant. Se concentrer sur le temps de présence et non sur les résultats ne garantit pas la qualité des formations financées, leur valeur d'usage ou leur juste prix. Et l'exigence de Qualiopi en 2022 ne changera rien au problème. Cette certification ne fait qu'attester de la qualité du processus mis en œuvre par les prestataires. Elle ne préjuge en rien de la qualité des formations financées, ni de leur efficacité. La balle est dans le camp des financeurs. Et cette crise sanitaire, au regard de ce qu'elle a révélé, pourrait amorcer une réflexion sur le sujet.

QDF. Quel impact pourrait avoir cette crise sur la mise en œuvre de la réforme ?

Fouzi Fethi. Le secteur de la formation est en pleine transformation avec des équilibres budgétaires qui restent encore à trouver, particulièrement pour financer l'apprentissage et, dans une moindre mesure, le CPF. Il y a trois inconnues : la première concerne le comportement des entreprises et des individus en matière de formation : en temps de crise, et alors que le marché, libéralisé et individualisé, crée une dynamique partant de la demande et non de l'offre, l'appétence est-elle à la formation ? La deuxième concerne le bon déroulement de la collecte. Si la collecte de la contribution unique prévue pour le 28 février dernier a été réalisée normalement, des demandes de reports ou d'annulation de l'encaissement, d'échéancier de paiement ou même de report des collectes formation ont déjà été remontées par des Opco. La troisième inconnue, c'est l'impact de la baisse de la masse salariale liée à la crise pour financer l'année 2020. Les fonds mutualisés proviennent des contributions des entreprises, assises sur la masse salariale. Or celle-ci a tendance à se réduire.