La délicate appropriation de la réforme par les responsables formation (Université d'hiver de la formation professionnelle)

Par - Le 08 février 2019.

Simplification du système de l'apprentissage, réallocation des contributions versées par les employeurs, autonomie des salariés dans l'évolution de leurs compétences… La réforme réinterroge les employeurs sur leurs stratégies, leurs investissements et leurs pratiques en matière de formation.

Le temps est venu pour les entreprises de mettre en musique les dispositions de la loi « avenir professionnel ». Cette nouvelle partition leur offre des opportunités. Mais elle soulève aussi des questions voire des craintes. Plusieurs responsables de formation ont exposé leurs points de vue lors d'une table ronde organisée le 1er février dans le cadre du Club Entreprise de l'UHFP 2019.

Sur le plan financier, deux mesures bousculent les habitudes des employeurs. Une partie de leur contribution (1,532 milliards d'euros en 2019) est désormais allouée au plan d'investissement dans les compétences (Pic) qui cible les demandeurs d'emplois peu qualifiés. « Un investissement dont les entreprises pourront bénéficier à moyen terme », selon Cédric Puydebois. Pour le sous-directeur des politiques de formation et du contrôle à la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle), cette dotation en faveur du Pic va répondre aux besoins en main d'oeuvre qualifiée régulièrement exprimés par les entreprises. Un argument qu'elles acceptent. En revanche, les nouvelles règles d'affectation des contributions les inquiètent. Hors alternance, seules les entreprises de moins de 50 salariés ont désormais accès aux fonds mutualisés. Une position assumée par l'État. « C'est sur la strate des petites entreprises que se concentre le problème de sous-investissement », justifie Cédric Puydebois.

S'ajoutent à cela d'autres dispositions qui impliquent de nouveaux arbitrages financiers : compte personnel de formation (CPF) à la main des salariés, prise en charge des frais pédagogiques mais pas de la rémunération pour les formations suivies au titre CPF pendant le temps de travail, abandon de la période de professionnalisation...

Repenser les budgets formation

Dans ce contexte, « que reste-il pour la formation de nos salariés ? », s'interroge Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l'Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH). Au bout du compte, ces mesures mettent fin aux possibilités de recherche d'optimisation des contributions des entreprises au-delà de 50 salariés. D'où le risque de voir les budgets formation se réduire. « Ce n'était déjà pas une sinécure de défendre un plan de développement des compétences devant un financier, cela ne va pas s'améliorer », souligne Patricia Jarlot. La responsable formation du groupe Nicollin, spécialisé dans le traitement des déchets et le nettoyage industriel craint de ne plus être en mesure de former autant de collaborateurs que par le passé. Pour cette entreprise familiale qui compte beaucoup de salariés peu qualifiés, il y a risque de « casse sur l'ascenseur social » mis en place en interne car « il y a des limites à ce que l'entreprise peut faire en matière d'investissement en formation ». Au final, les entreprises seront amenées à inscrire la formation dans une logique d'investissement, une orientation qui fait bel et bien partie des objectifs de la réforme.

Droit individuel et employabilité

Autre changement structurant : l'autonomie offerte aux salariés qui pourront dès novembre mobiliser leur CPF sans intermédiaire. « Comment voulez-vous coconstruire quelque chose avec un droit qui n'appartient qu'à une personne ? », s'interroge Djamila Tedjani. Pour la DRH ajointe d'une entité de Véolia spécialisée dans l'environnement « toute la difficulté sera de trouver le point de convergence entre les intérêts des salariés et ceux de l'entreprise dans le but de nouer une collaboration durable. » Le CPF peut tout à fait s'inscrire dans les politiques de formation et devenir un outil de dialogue social, comme le suggère la Caisse des dépôts. Des procédures simplifiées de gestion des abondements sont d'ailleurs prévues dans le cadre d'accords collectifs.

Mais des questions demeurent. « Comment planifier un financement si on ne connaît pas les montants des CPF des collaborateurs concernés ? Et que faire si un salarié refuse de mobiliser son CPF dans le cadre d'un accord collectif ?  », s'interroge Laurence Breton-Kueny. Autre difficulté pointée par Djamila Tedjani : l'employabilité du salarié relève toujours uniquement de la responsabilité de l'employeur. L'individualisation des droits aurait dû être l'occasion, selon elle, d'inscrire « la coresponsabilité du salarié » dans la loi. La liberté offerte aux actifs par le CPF rénové suscite des débats, illustrant par là même l'importance des changements culturels à venir tant du côté des salariés que des employeurs.

Essor de l'alternance

Le volet alternance de la loi apporte davantage de satisfaction aux entreprises. Djamila Tedjani salue le report de la limite d'âge pour l'entrée en apprentissage à 29 ans et la possibilité de réduire la durée du contrat. Cela ouvre pour le groupe qui emploie déjà 700 apprentis, « de nouvelles opportunités de recrutement et des possibilités de restreindre les métiers en tension ». Un point de vue partagé par Isabelle Cadin, responsable formation du groupe Eurodisney qui mise sur l'alternance pour couvrir un tiers de ses besoins en compétences. Avec la réforme, le groupe prévoit de faire passer son taux d'alternants de 5 % à 8 % en 2021 et de recruter 80 % d'entre eux contre 50 % aujourd'hui. Dans cette optique, « nous allons créer un service dédié à l'alternance pour renforcer nos relations avec les écoles mais aussi former et suivre nos maîtres d'apprentissage », explique Isabelle Cadin. La réforme interroge encore les responsables de formation bien décidés toutefois à passer à l'action.