Andrew Wickham, consultant au cabinet Linguaid : {“Un marché de formation linguistique mûr, aux réglementations complexes, à faible marge et de plus en plus compétitif"}

Par - Le 01 mai 2012.

Le marché (voir notre article) ne semble pas s'orienter de manière très positive pour les organismes de formation du secteur langues. Y a-t-il des segments qui ont tout-de même bien fonctionné au cours de la période, des organismes qui se sont développés ?

Nous avons dédié quelques pages de ce rapport aux contre-tendances et aux nouvelles opportunités que nous avons pu noter, en donnant des exemples concrets d'organismes qui ont bien progressé pendant la crise. En temps de crise, des opportunités nouvelles apparaissent, des concurrents disparaissent, de nouvelles tendances émergent. Ceux qui savent réagir vite, qui ont “l'œil sur le ballon", tirent souvent leur épingle du jeu. Trois exemples : certains petits prestataires travaillant en réseau, qui ont su mutualiser des pratiques, des outils et des coûts et répondre à des appels d'offres en unissant leurs forces. Des prestataires moyens ont su profiter des nouveaux dispositifs créés par la réforme de la formation professionnelle, tandis que d'autres ont réussi en développant leur offre de formations interentreprises – une des seules prestations encore capables de générer des marges confortables. Voilà trois cas – ce ne sont pas les seuls.

Dans un marché orienté vers le low cost, est-il encore aujourd'hui possible de jouer sur la qualité des prestations ?

C'est le pari de certains organismes et il semble leur réussir : il y a de plus en plus d'investissements dans la création de ressources pour le blended learning, dans les ressources spécialisées “métier" (certains organismes ne proposent plus que ce type de formation) et à nouveau, dans la création pédagogique, domaine presque entièrement abandonné depuis dix ans. Et les organismes qui investissent dans ces domaines ne font plus de compromis sur le prix heure/formateur, car ils savent qu'à terme, ils sacrifieraient leur qualité de service, ainsi que l'expertise et la motivation de leurs équipes. Les clients moyens comprennent très souvent cette exigence. Ce qui est nouveau, c'est que malgré la pression croissante sur les tarifs, qui s'est renforcée avec la crise, certains acheteurs des grandes entreprises, encore minoritaires, commencent à réaliser que la pérennité et la rentabilité d'un prestataire de formation sont aussi importantes pour leur entreprise que le niveau de prix arraché au prestataire : certaines faillites retentissantes récentes, avec les conséquences en chaîne sur l'organisation des services du client, ont averti les acheteurs des grands groupes que la course au moins-disant était in fine négative pour tout le monde. On recommence à redécouvrir la notion du “win-win", un peu oubliée depuis dix ans. Mais la bataille de la “formation durable" n'est pas encore gagnée, loin de là. Rendez-vous compte que la marge nette moyenne des organismes de formation langues avec un CA d'entre 5 et 10 millions d'euros (c'est-à-dire, des organismes bien établis et connus) était, en 2010, de - 0,3%. Je vous laisse imaginer l'effet sur ces organismes.

Pensez-vous que la formation linguistique est un domaine porteur aujourd'hui ?

Au niveau mondial, oui bien entendu. Le marché est très ouvert. Côté marché professionnel, les multinationales réclament depuis quelques années des dispositifs à distance déployables au niveau mondial, avec accompagnement local. Côté marché des particuliers, la demande en formation d'anglais dans les pays émergents double d'année en année et augmente aussi dans les pays occidentaux. Les sites d'apprentissage à distance pour particuliers, comme Myngle ou Live Mocha, pullulent et concurrencent de plus en plus les majors. Fait curieux : des réseaux internationaux “traditionnels" sont arc-boutés sur leurs modèles en face-à-face et leurs publications, pour répondre à ces nouvelles demandes. La plupart ne semblent même pas réaliser ce qui est en train de se passer (hormis peut-être Telelangue, Englishtown, Berlitz et Wall Street Institute). Au rythme où vont les choses aujourd'hui, et s'ils ne réagissent pas à très court terme, la plupart de ces réseaux risquent de ne plus exister sur la scène internationale dans cinq ans. Donc oui – si on a des capitaux, ou une offre low cost intéressante qui peut être déployée partout dans le monde, c'est un marché porteur –, et les grandes institutions financières commencent à s'y intéresser sérieusement. En France… peut-être, mais c'est un marché mûr, aux réglementations de plus en plus complexes, à faible marge et de plus en plus compétitif. Et les réformes en cours risquent de réduire encore les budgets : il faudra être bien conseillé, avoir des capitaux et quelques idées “géniales", tant au niveau des prestations que de la gestion des formations pour lancer une activité nouvelle. Quelques créations catastrophiques récentes ont échaudé les aventuriers. Autrement, j'ai de grands doutes, sauf si vous souhaitez travailler plus pour gagner moins…