2007-2012, ou le quinquennat de la “reprise en main" par l'État

Une intervention étatique renforcée. C'est en substance le bilan global que l'on peut tirer du dernier quinquennat en matière de formation professionnelle et d'alternance. Sur fond de crise économique et de montée massive du chômage, il aura été marqué par l'adoption de deux textes législatifs : la loi “Wauquiez" du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, et la loi “Cherpion" du 28 juillet 2011, pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels.

Par - Le 16 mai 2012.

En 2008, alors que Laurent Wauquiez est secrétaire d'État chargé de l'Emploi, les partenaires sociaux sont chargés de négocier un Ani sur la formation en urgence. Celui-ci est finalement signé le 7 janvier 2009 par toutes les parties. La loi du 24 novembre 2009, promulguée presque un an plus tard, crée notamment le FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels) en remplacement du Fup (Fonds unique de péréquation), qui doit dorénavant contractualiser avec l'État, chaque Opca et Opacif devant lui verser entre 5 et 13 % de sa collecte au titre de la professionnalisation et au titre du plan de formation, après arbitrage des partenaires sociaux. Le seuil minimal de collecte au-dessous duquel un Opca ne peut être agréé est relevé à 100 millions d'euros au lieu de 15 précédemment, et les organismes se voient désormais contraints, comme le Fonds paritaire, de contractualiser avec l'État au travers de conventions d'objectifs et de moyens (Com). S'ajoute à cela de nouvelles règles en matière de frais de gestion et l'adoption d'un nouveau plan comptable. La loi du 24 novembre 2009 prévoit également un transfert à l'Afpa de ses actifs immobiliers (ceux-ci étant auparavant la propriété de l'État) et impose aux Régions de conclure un CPRDFP (contrat de plan régional de développement des formations professionnelles) avec le recteur et le préfet de région.

Cette ingérence accrue de l'État s'appuie en grande partie sur la mise en question de la gestion des organismes paritaires, et par extension, des syndicats. En témoigne un retentissant rapport de l'Igas, remis fin 2009, préconisant un contrôle accru des Opca.

Des relations difficiles avec les partenaires sociaux

Accusé depuis le début par les Conseils régionaux de ne pas les avoir associés à la réforme, l'État nourrit de fait, au cours de ce
quinquennat, des relations difficiles avec les partenaires sociaux, lorsqu'il opère, dès la première année d'existence du FPSPP, une ponction de 300 millions d'euros sur ses “excédents", ce prélèvement devant servir à financer l'Afpa, Pôle emploi et l'ASP (Agence de services et de paiement) pour les rémunérations des stagiaires de la formation professionnelle.

Les partenaires sociaux ont beau s'élever contre ce “coup de rabot", qui selon eux viole la loi orientation-formation, et décider, l'année suivante, de réduire de 13 à 10 % le pourcentage de contribution que les Opca et Opacif sont tenus de verser au Fonds, le gouvernement réitère en faisant voter une nouvelle ponction l'année suivante, dans le cadre de la loi de finances pour 2012, adoptée le 21 décembre 2011. Un recours a récemment été déposé auprès du Conseil d'État, les partenaires sociaux ayant décidé de poser une question prioritaire de constitutionnalité à ce sujet.

La situation de l'Afpa n'est toujours pas tranchée

La question de l'Afpa est également source de discordes. Entrée sur le marché concurrentiel au 1er janvier 2009, en vertu de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, l'association peine à faire face au système d'appels d'offres. Le transfert de patrimoine, considéré par les partenaires sociaux et les Régions comme un “cadeau empoisonné", en raison des nombreux frais d'entretien incombant désormais à l'Afpa, est alors jugé non-constitutionnel par les Sages. Provoquant un bras de fer judiciaire entre l'État et certaines Régions, qui souhaitent que ce patrimoine leur revienne. Une question qui n'est, à ce jour, pas réglée.
La signature des CPRDFP est également source de tensions : depuis l'annonce (février 2012) du refus par le Conseil régional d'Île-de-France de signer le contrat, suite p. 15 s
suite de la p. 14 s certaines Régions, comme le Limousin, ont décidé de dénoncer celui qu'elles avaient déjà signé.
Pendant ce temps, les Opca se mettent en ordre de bataille. L'impératif d'une collecte atteignant au minimum 100 millions d'euros occasionne de multiples rapprochements entre branches ou organismes, ainsi que des fusions ou des absorptions. Le 1er janvier 2012, il ne reste plus que vingt organismes paritaires collecteurs agréés, contre une quarantaine auparavant.

“Le spectre d'une nouvelle réforme"

À peine les Com signés entre les organismes “survivants" et l'État, Nicolas Sarkozy annonce son souhait de mener une nouvelle réforme de la formation professionnelle et confie, à l'occasion du sommet social du 18 janvier 2012, une mission au sénateur UMP des Yvelines et ancien ministre du Travail Gérard Larcher, lui laissant le soin de formuler des propositions. La nouvelle est accueillie avec inquiétude par les Opca et les partenaires sociaux, pour qui la mise en place de la réforme de 2009 n'est pas encore pleinement effective. D'autant que cette annonce coïncide avec de nouvelles mises en cause du gouvernement sur la gestion des fonds de la formation professionnelle. Toutefois, le rapport, remis début avril, rassure finalement les acteurs par sa modération. Sa proposition phare − une éventuelle suppression du 0,9 %, tout de même − étant relativisée, à quelques semaines de l'élection présidentielle.

Ainsi, au sortir de ce quinquennat, plusieurs questions restent non réglées, notamment le statut de l'Afpa. De plus, François Hollande ayant promis qu'il ne ponctionnerait pas le FPSPP, comment le nouveau gouvernement prendra-t-il en charge les dépenses financées précédemment par ces 300 millions ? Enfin, la majorité des Régions et l'État étant désormais de même couleur politique, doit-on s'attendre à une véritable décentralisation du service public de l'emploi et de la formation ?

Enrayer le recul de l'alternance

Annoncée par Laurent Wauquiez quelque temps avant son départ du secrétariat d'État à l'Emploi, la réforme de l'alternance, concrétisée par la loi “Cherpion" est portée par Nadine Morano, ministre chargée de l'Apprentissage et de la Formation professionnelle, sous la houlette de Xavier Bertrand, alors ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé.

Face à une baisse drastique du nombre de contrats en alternance, et notamment des contrats de professionnalisation, le gouvernement lance une série de mesures pour contrer le phénomène. C'est le plan d'urgence pour les jeunes, annoncé en avril 2009 par Nicolas Sarkozy, qui marque véritablement le commencement de ces politiques volontaristes : extension du dispositif “Zéro charges" aux entreprises de plus de 10 salariés, prime de 1 800 euros pour l'embauche d'un apprenti supplémentaire dans les PME, de 1 000 à 2 000 euros en ce qui concerne les contrats de professionnalisation… Ces mesures ont vocation, toutefois, à rester temporaires.

En parallèle, sont réalisés de nombreux rapports destinés à favoriser le recours à l'alternance : rapports Sabeg, Pilliard, livre vert pour la jeunesse de Martin Hirsch, alors haut-commissaire à la jeunesse et aux solidarités actives, rapports Hénart, Proglio et Marcon… Sont également organisés des “Ateliers de l'alternance", réunissant divers acteurs, et dont les conclusions sont publiées en mai 2010.
Au final, les principales propositions retenues dans le cadre de la loi Cherpion sont les suivantes : possibilité pour les entreprises intérimaires d'embaucher des alternants, création d'une “carte des métiers", mise en place d'un “service dématérialisé", possibilité pour deux employeurs de conclure conjointement un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation dans le cadre d'activités saisonnières, simplification de la procédure d'enregistrement du contrat d'apprentissage, abaissement de la durée d'expérience minimale pour devenir maître d'apprentissage…

L'apprentissage dès 14 ans ?

Les mesures les plus polémiques portent sur l'accès du très jeune public aux cursus en alternance. En effet, la loi Cherpion aménage l'âge minimum d'accès au Dima (dispositif d'initiation aux métiers en alternance), qui permet à des élèves ayant accompli la scolarité du collège d'être accueillis en CFA, sous statut scolaire. L'âge minimal était jusqu'alors de 15 ans. Avec l'entrée en vigueur de la loi, le dispositif est désormais ouvert aux jeunes sans condition d'âge, s'ils ont accompli la scolarité du premier cycle de l'enseignement secondaire. Cette mesure est mal accueillie par les organisations syndicales, qui craignent qu'une entrée précoce en alternance ne favorise l'émergence d'une “éducation à deux vitesses".
La loi Cherpion est par ailleurs complétée par la loi de finances rectificative (LFR) du 29 juillet 2011. Celle-ci instaure un système de bonus-malus en ce qui concerne la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) pour les entreprises de 250 salariés et plus. Le quota de jeunes en alternance passe de 3 à 4 % de l'effectif annuel moyen de ces entreprises (ce taux passe ensuite à 5 % avec la loi de finances pour 2012). Le taux de CSA devient modulable selon l'effort de l'entreprise, et le dépassement du quota donne lieu au versement d'un bonus.

En outre, la LFR crée un compte d'affectation spéciale (CAS) intitulé “Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage", qui retrace les recettes et les dépenses du Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA). Enfin, suite à une annonce de Nicolas Sarkozy en mars 2011, le “barème" est gelé en valeur absolue, ce qui doit entraîner progressivement un passage à 59 % de la taxe d'apprentissage la part dévolue au “quota" (contre 52 % auparavant). L'objectif : permettre à la TA de financer prioritairement l'apprentissage, au détriment des grandes écoles.

Vers la fin des objectifs quantitatifs ?

Le gouvernement prend également la décision de consacrer 500 millions d'euros du “programme investissements d'avenir" (PIA) pour moderniser l'appareil de formation en alternance. Depuis le 11 septembre 2010, date d'ouverture de cet appel à projets, 32 projets ont déjà été retenus, pour un montant total de plus de 150 millions d'euros. D'autre part, des contrats d'objectifs et de moyens sont signés avec les Régions, fixant pour chacune des objectifs quantitatifs en matière de contrats d'apprentissage.
L'objectif affiché par le gouvernement était de faire passer à 800 000 le nombre d'alternants en France d'ici 2015. Les résultats 2011 ont été jugés encourageants : on décomptait alors 434 000 alternants en France (294 000 apprentis et 140 000 contrats de professionnalisation), contre 411 000 en 2010. Cependant, il semblerait, selon les derniers chiffres de la Dares, que la tendance soit de nouveau en train de s'inverser. Ainsi, à la fin du premier trimestre 2012, on constate un recul de 8 % de l'apprentissage par rapport à l'année précédente, à la même période. Une situation qui inquiète, d'autant que les primes attribuées par l'État (depuis le discours de Nicolas Sarkozy à Bobigny, le 1er mars 2011) s'arrêteront le 30 juin prochain.

L'équipe de campagne de François Hollande sur les questions d'éducation s'étant déclarée contre une “perspective uniquement quantitative de l'alternance, au détriment du qualitatif", il est peu probable que le nouveau gouvernement se focalise sur cet objectif de 800 000 alternants.