E-learning universitaire : un tutorat indispensable, mais coûteux
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 juin 2013.
“Stimuler le changement pédagogique au travers des Tice" constituait l'une des problématiques à l'ordre du jour du séminaire pédagogique organisé le 23 mai dernier par l'Association nationale pour le développement de l'enseignement numérique en économie et gestion (Aunege). L'occasion pour L'Inffo d'aborder le sujet de la fonction e-tutorale à l'Université. Et d'évoquer la complexité de son financement.
Sans accompagnement tutoral, c'est le plus souvent par l'abandon que s'achève un cursus e-learning. Et la courbe ascendante des “pertes en ligne" tend à suivre celle de l'absence de soutien humain, comme en témoigne le taux colossal d'abandons en milieu de parcours constaté à l'issue du premier Mooc (cours en ligne ouvert et massif) [ 1 ]Cf. L'Inffo n° 830, p. 28. par l'Université de Stanford, aux États-Unis, en 2011.
En effet, sur les 150 000 inscrits sur la ligne de départ, ils n'étaient plus que... 7 500 à l'arrivée, soit un taux de perte d'environ 95 %.
Des étudiants qui se comportent en consommateurs
Alors, certes, d'aucuns, à l'image de Paul Held, professeur de psychologie et directeur scientifique de l'Institut d'innovation pédagogie à l'Université d'Erlangen-Nuremberg (Allemagne), préfèrent voir le verre à moitié plein… “Que seulement 7 500 apprenants aient terminé ce cursus complet [il s'agissait d'un cours consacré aux intelligences artificielles] apparaît décevant au premier abord. Mais en réalité, il n'existe aucune Université au monde qui aurait pu dispenser un cours à autant d'étudiants à un coût aussi modique ! Il faut parfois se méfier des résultats apparents."
Autre paramètre à prendre en compte, l'expérience de Stanford était gratuite, élément favorisant le décrochage. A contrario, ceux qui investissent financièrement pour se former en ligne – l'Université d'Erlangen- Nuremberg compte 60 000 apprenants en formation continue et à distance [ 2 ]Contre 35 000 étudiants “standards". – ont tendance davantage à se comporter
en clients qu'en étudiants et à exiger des enseignants ou des télé-tuteurs disponibilité et réactivité.
Des tuteurs qu'il faut rémunérer
Le système allemand permet à des étudiants de haut degré de disposer du statut d'“étudiant-assistant" sous contrat de travail. À Erlangen-Nuremberg, ceux-ci disposent de formations spécifiques au e-tutorat. En France, les étudiants-tuteurs sont rémunérés à la vacation. “25 euros de l'heure, c'est loin d'être gratifiant…", regrette Denis Abecassis, le président d'Aunege. En conséquence de quoi, les performances des “e-apprenants" livrés à eux-mêmes sont inquiétantes. “Réussite en licence : 0 % ! En master, 20 % à peine", déplore Jean-Luc Penot, professeur d'économie à Versailles- Saint-Quentin, citant les résultats d'une étude réalisée par le centre de recherche de son Université pour le compte de l'[Unsa
Éducation->www.ires-fr.org/images/files/EtudesAO/Unsa Éducationelearning2013.pdf].
Pire encore, à l'en croire, “plus on descend dans les niveaux de qualification, et plus le e-learning tend à accroître les inégalités, au lieu de les réduire". Dans ces conditions, la question du tutorat ne se pose même plus, mais amène à envisager celle du ciblage de l'enseignement numérique. “Les cursus e-learning visant à la préparation du DAEU (diplôme d'accès aux études universitaires, pour les non titulaires du baccalauréat) connaissent
un taux d'échec considérable, de près de 80 %. Là repose la vraie problématique de l'enseignement numérique universitaire : comment gérer cet échec ?"
Modèle économique à trouver...
Cette “vraie question" demande une vraie réponse : “Le système universitaire français, service public, se voit violemment percuté par l'existence de l'enseignement en ligne dont les coûts, en premier lieu ceux liés au tutorat, n'ont jamais vraiment été pris en compte", explique Denis Abecassis. D'autant qu'il paraît difficile de transposer les modèles d'Harvard ou de Stanford (dont les cours en ligne sont gratuits, mais dont la certification finale est payante) sur l'Université française, notamment en matière de gestion des examens en ligne. Un véritable casse-tête pour les partisans de l'e-Université. “S'il s'agit de formation continue, alors le modèle retenu peut être payant. Mais que faire de la formation universitaire initiale qui relève du service public et donc d'une certaine gratuité ? Comment en assumer les coûts sans les reporter sur les frais d'inscription ?" Dilemme que de jongler entre la gratuité d'un service public et les frais qu'entraîneraient la formation et la rémunération des e-tuteurs puisqu'à l'heure actuelle, en France, contrairement par exemple au Canada [ 3 ]Cf. L'Inffo n° 826, p. 26., ce métier n'existe pas.
Les États-Unis, l'Inde ou la Chine l'ont fait
Pourtant, l'enjeu de la formation numérique s'avère stratégique pour les Universités françaises, alors que les États-Unis, mais
aussi l'Inde ou la Chine dispensent déjà des cours par ce biais dans le monde entier. En Europe, des cursus numériques élaborés par divers centres universitaires de pays de l'Union sont en voie de mise en ligne (tel un master européen d'administration publique, MPEAP) et la France travaille également au développement de diplômes accessibles
par télé-enseignement avec les pays francophones d'Afrique. Mais là encore, se posera la question de l'accompagnement humain des “apprenants 2.0" et de son coût économique. “Alors que l'enjeu est à ce point crucial, il est dommage de ne pas voir davantage d'opérateurs économiques – éditeurs, groupes de télécoms, producteurs de ressources pédagogiques et numériques – s'impliquer davantage sur ce marché", soupire Jean-Luc Penot. Et en leur absence ? “Un investissement massif des pouvoirs publics pourrait constituer le moyen de développer un campus numérique à l'échelle européenne pour permettre à nos Universités d'investir dans le e-tutorat qu'exige l'enseignement en ligne."
Notes
1. | ↑ | Cf. L'Inffo n° 830, p. 28. |
2. | ↑ | Contre 35 000 étudiants “standards". |
3. | ↑ | Cf. L'Inffo n° 826, p. 26. |