Questions à Jonathan Pottiez,directeur produit et innovation chez Formaeva

Par - Le 01 novembre 2013.

“Une approche alternative, plus pragmatique
et réaliste : celle du retour sur les attentes"

Comment expliquez-vous le peu
d'engouement pour l'évaluation des
formations au sein des entreprises
françaises ?


C'est un fait, et nos études l'ont régulièrement
démontré É[ 1 ]tudes accessibles sur www.formaeva.com, les pratiques d'évaluation
demeurent peu développées, tant au sein des
entreprises (les “demandeurs de formation")
que des organismes de formation (les “offreurs
de formation"). Très fréquemment, seule la
satisfaction des participants est évaluée (le
niveau 1 du célèbre modèle de Kirkpatrick), sans
que l'on ne prenne le temps de questionner ce
qu'ils ont appris (niveau 2), s'ils s'en servent
en situation de travail (niveau 3) et si cela a
un impact sur les résultats de l'organisation
(niveau 4). Ainsi, plus on progresse dans la
hiérarchie des niveaux, plus rares se font les
évaluations. Par exemple, on évalue souvent
la satisfaction, mais très rarement le transfert
des acquis, alors que c'est une information bien
plus importante !
Dans mon ouvrage, j'ai recours à la catégorisation
opérée par Alain Dunberry et Céline
Péchard, dans leur recherche de 2007 [ 2 ]www.cpmt.gouv.qc.ca, qui
ont identifié cinq raisons majeures pouvant
expliquer ce faible développement des
pratiques d'évaluation des formations : le
fait qu'aucun acteur n'exprime clairement
la volonté de voir la formation évaluée,
l'ignorance de ce que l'on veut et peut évaluer,
l'absence de compétences techniques en
évaluation, la perception de risques inhérents
à l'évaluation, et son coût.
En résumé : pas grand monde ne souhaite
vraiment que la formation soit évaluée, peu
savent exactement quoi évaluer, comment
faire et, enfin, beaucoup craignent les résultats
de l'évaluation et son coût ! Au final, surtout
beaucoup d'excuses, alors que les avantages
de l'évaluation supplantent largement les
éventuels inconvénients… Les responsables
formation qui doivent actuellement justifier des
budgets formation en savent quelque chose.

Selon vous, est-ce mieux au Québec ?

Les professionnels français des RH et de la
formation ont tendance à croire que leurs
homologues québécois sont en avance sur
un certain nombre de sujets − ce qui est
vrai, d'ailleurs. Nous avons voulu vérifier si
cela s'avérait aussi exact pour les pratiques
d'évaluation des formations et avons ainsi
mené une étude, publiée en 2012 [ 3 ]voir L'Inffo n° 817 (septembre 2012), p. 27., à laquelle
ont participé 78 organisations québécoises, de
toutes tailles et de tous secteurs d'activité.
Il en ressort que les pratiques d'évaluation
des formations au Québec sont aussi peu
développées qu'en France, même parfois
légèrement moins développées ! Relativisons
toutefois ces chiffres, car nous avons pu
remarquer que les professionnels québécois
connaissaient généralement mieux le modèle
d'évaluation des formations à quatre niveaux
de Kirkpatrick (qui a servi de référentiel pour
ces différentes études). En effet, alors que les
Français décrivaient leurs pratiques à l'aide
d'expressions telles que les évaluations “à
chaud" ou “à froid", les Québécois expliquaient
“faire du niveau 1", “travailler à la mise en
oeuvre de l'évaluation de niveau 3", etc. De ce
fait, les chiffres avancés par les Québécois sont
peut-être plus proches de la réalité de leurs
pratiques.

Dans tous les cas, nous pouvons retenir
qu'il n'y a pas d'écarts majeurs en termes
de pratiques. D'ailleurs, la veille que nous
réalisons nous permet de constater à l'échelle
mondiale la faiblesse des pratiques d'évaluation
des formations… Ce n'est pas en se
focalisant sur la satisfaction des participants
que l'on démontrera la rentabilité des investissements
en formation !

En cette période de restriction des budgets
de formation, comment mesurer le “retour
sur investissement" ?


Le retour sur investissement de la formation
(return on investment ou ROI) est depuis
toujours sur les lèvres de tous les responsables
formation… au point d'être vidé de son
sens. En effet, et les responsables financiers
le savent très bien, il n'est question de “retour
sur investissement" que si l'on est capable
d'apporter la preuve factuelle et chiffrée de
l'impact économique de la formation, bref,
d'en faire la démonstration “comptable".
Cela signifie concrètement démontrer que
les bénéfices de la formation (gains et/ou
économies) sont supérieurs aux coûts de la
formation (directs et indirects), ce qui exige
une grande rigueur méthodologique (et l'usage
d'outils statistiques…) à laquelle peu de
professionnels des RH et de la formation sont
habitués. Mais faut-il aller jusque-là ?
Lorsqu'une direction générale demande des
comptes au sujet du retour sur investissement
de la formation, il s'avère bien souvent
qu'elle veut juste savoir ce qu'elle va retirer
de la formation dans laquelle l'entreprise aura
investi tant de ressources. L'objectif est donc
de démontrer globalement aux commanditaires
la valeur ajoutée de la formation. Pour cela, il
existe une approche alternative, plus pragmatique
et réaliste : celle du retour sur les attentes
(return on expectations ou ROE), popularisée
principalement par James et Wendy Kirkpatrick
en 2010.

De quels outils les entreprises ont-elles
besoin pour mieux mesurer ce “retour sur
les attentes" ?


Cette approche consiste à se focaliser sur
l'amont de la formation et à identifier les
éléments de preuve de la valeur de formation
attendus par les parties prenantes. C'est
logique : qui mieux que les commanditaires
de la formation peuvent définir les critères de
succès de la formation ?

Sans aller dans le détail, retenons que celle-ci
consiste, successivement, à identifier les
attentes des commanditaires de la formation
en amont ; à traduire ces résultats en
objectifs de résultats mesurables (le “fameux"
niveau 4 de Kirkpatrick), à identifier les comportements
critiques en situation de travail
qui permettront de générer les résultats
précédents (le niveau 3 de Kirkpatrick), et
enfin, à définir des objectifs de formation
comportementaux concrets, observables et
mesurables en situation de travail.
Ainsi, tout au long du processus d'évaluation,
le responsable formation doit s'interroger
sur les preuves qu'il sera nécessaire de
réunir et de montrer aux commanditaires
pour démontrer le succès de la formation. Il
est donc important de montrer les résultats
espérés de la formation avant même que
celle-ci ne débute.

Plus pragmatique que le ROI, l'approche du
ROE favorise aussi une évaluation partenariale
de la formation. Elle se fait avec les
commanditaires et les managers, dès l'amont
de la formation, sans chercher à isoler la part
de responsabilité de la formation dans les
résultats obtenus (ce qui est partie intégrante
de la formule de calcul du ROI). Le message
implicite adressé aux managers serait alors :
“Partageons le travail pour mener à bien
la formation et son évaluation, mais pas la
responsabilité des résultats !"

Pour être en mesure de justifier les budgets
formation, je conseille donc de ne pas limiter
l'évaluation de la formation à un envoi de
questionnaire, que l'on aurait parfois informatisé.
Une évaluation pertinente et efficace de
la formation devrait être pensée comme un
processus structurant complètement l'action
de formation. C'est lorsqu'elle est pensée en
ce sens que l'évaluation peut servir au-delà
de la seule action de formation et devenir
un outil de management, accompagnant les
opérationnels dans le suivi du développement
des compétences de leurs équipes.

Propos recueillis par Knock Billy

Notes   [ + ]

1. tudes accessibles sur www.formaeva.com,
2. www.cpmt.gouv.qc.ca
3. voir L'Inffo n° 817 (septembre 2012), p. 27.