Journée TTnet
Les cinq enjeux de la formation des “formateurs internes"
Le réseau TTnet (Training of trainers network) était réuni le 24 mars au Centre Inffo pour une journée consacrée au thème “Rendre attractive la formation en alternance, aujourd'hui : du recrutement à l'emploi dans les PME et TPE". Bernard Liétard, ancien professeur au Cnam et membre du réseau, dresse une synthèse des échanges.
Par Centre Inffo - Le 16 avril 2009.
Partant des riches échanges de cette journée, on peut distinguer cinq enjeux, qui constituent à la fois des points critiques récurrents et des axes de progrès.
Avec en premier lieu la conception que l'on a de la formation. On ne peut avancer que si on la considère comme un “investissement productif", un “centre de profit" pour les organisations - et non un centre de coût... On pouvait penser, depuis la loi de 1971, que cette question était dépassée : force est de constater que c'est loin d'être admis par tous.
Former les tuteurs
Deuxième point, au delà de la diversité des pratiques européennes présentées par Thierry Pineau[ 1 ]Membre du Garf (Groupement des acteurs et responsables de la formation), ww.garf.asso.fr à partir de l'étude Eurotrainers portant sur les formateurs et tuteurs de la formation professionnelle en entreprise, un accord se dégage sur la nécessité d'une formation de
ces formateurs internes à l'entreprise. Trois axes de développement des compétences ont pu être identifiés : compétences professionnelles, pédagogiques et sociales, et compétences d'administration et de gestion de projets.
Car un bon professionnel n'est pas ipso facto un bon tuteur. Pour transmettre efficacement ses compétences, il est nécessaire qu'il ait formalisé sa pratique et qu'il soit devenu ainsi, pour reprendre un terme à la mode, un “praticien réflexif". Comment pourrions-nous en effet transmettre des savoirs qu'on ignore ? C'est d'ailleurs aussi un des points cruciaux de la reconnaissance et de la certification des acquis d'expérience.
S'agissant de la formation des tuteurs, attention à recourir à des modes pédagogiques cohérents - ce que Paul Boulet[ 2 ]Ancien directeur de Citadel, www.citadel.fr a appelé “l'homologie" – par rapport à leurs activités. Il convient de dépasser des formes scolaires et théoriques au profit de pratiques plus participatives : échanges entre “pairs", travail sur les représentations, utilisation de situations de travail adaptées ou d'“expériences professionnelles significatives", comme l'a dit Théophane Grimaut, d'Agrosup Dijon[ 3 ]www.u-bourgogne.fr/ensbana/_agrosup, reconnaissance des vertus de l'erreur, utilisation des nouvelles techniques d'information et de communication, construction en commun d'outils adaptés, etc.
La reconnaissance des formateurs internes
Reste – troisième point – le problème crucial de la reconnaissance de ces formateurs internes, ne serait-ce que pour répondre à la question légitime qu'ils sont en droit de se poser : qu'a-t-on à y gagner ? Outre le moteur important du plaisir et de la valorisation personnelle qu'on retire de cette activité, on peut souhaiter le développement de reconnaissances institutionnelles, qu'elles soient symboliques, monétaires ou en termes de gestion de carrière.
Les initiatives de ce type présentées lors de cette journée du 24 mars en ont montré, si besoin était, tout l'intérêt. On peut aussi aller jusqu'à des certifications, tel le certificat de compétences des Chambres de commerce et d'industrie présenté par Jean-Pierre Clève[ 4 ]Directeur des partenariats en formation à la CCI de Versailles.. On peut rêver de la prise en compte du problème au niveau de la Commission nationale de certification de la formation professionnelle (CNCP) ou de l'aboutissement du projet européen d'un pass “Eurotrainer".
Une “fonction tutorale collective"
Le dépassement du modèle traditionnel de la relation singulière tuteur-tutoré, et la reconnaissance d'une “fonction tutorale collective" de l'organisation constitue un quatrième axe de progrès, particulièrement pertinent dans les TPE.
“Un tuteur peut en cacher plein d'autres" : pour illustrer cette boutade, plusieurs intervenants ont fait état de la diversité des fonctions, des statuts et des rôles : responsable du tutorat, tuteurs relais, tuteur opérationnel, tuteur d'expertise, tuteur hiérarchique et autres figures du tutorat, reprise dans le récent rapport de Bernard Masingue consacré au développement du tutorat.
Pour reprendre une des lignes directrices de Jean-Jacques Boru et de Paul Boulet dans le cadre de Citadel, il faut rendre l'entreprise tutrice. On rejoint ainsi le concept d'“organisations qualifiantes", capables de mobiliser l'intelligence au travail, dont plusieurs exemples présentés ont montré qu'il s'agissait d'un idéal réalisable. À la suite de Patrick Conjard[ 5 ]Chargé de mission à l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail). - www.anact.fr, on se doit toutefois de noter qu'il existe des “organisations déqualifiantes" !
Trois conditions sine qua non pour le bon fonctionnement de ce type de projet collectif : il faut une volonté politique managériale porteuse à tous les niveaux, une contractualisation, et un pilote référent.
L'“alternance interactive"
Le développement d'une “alternance interactive", idéal développé par Patrick Conjard, constitue le cinquième enjeu. On est trop souvent en présence d'une alternance juxtaposée et aléatoire.
La référence à l'escargot hermaphrodite constitue un bon modèle de ce que pourrait être une alternance idéale. Dans les pratiques de l'alternance en France, on constate souvent qu'un des éléments se prend pour le mâle : parfois c'est l'organisme de formation, parfois c'est l'entreprise. L'alternance se doit d'être “copulative", pour reprendre les termes du mouvement des Maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation. Les Écoles de la seconde chance fournissent un exemple probant d'une alternance réussie.
On pose en outre ici le problème de l'équilibre entre savoirs théoriques et savoirs d'action dans les apprentissages. Tradition académique oblige, la France reste encore marquée par la prédominance des savoirs théoriques par rapport aux savoir-faire d'expérience.
Réaffirmée par le récent rapport Masingue, une contractualisation entre les différents acteurs de l'alternance est incontournable dans un système qui articule des logiques contradictoires.
[( Le cas des PME-TPETrès présentes économiquement et majoritaires dans les actions en alternance en particulier pour les jeunes, les petites entreprises constituent des champs privilégiées de transmission de savoirs. Certes, on note de fortes inégalités d'accès et un manque d'organisation de la formation, mais force est de constater qu'on s'y forme, principalement “sur le tas". Là comme ailleurs, les situations professionnelles peuvent constituer des opportunités d'apprentissage ou de construction de compétences. Se référant au titre d'une des publications de Patrick Conjard, de l'Anact, le défi est clair : acquérir et transmettre des compétences… et si on se formait au travail ?)] [(La réforme de la formation en perspective
La nécessité d'une volonté politique porteuse est incontournable. Pour les PME-TPE, elle doit se traduire par des dispositions contractuelles et législatives adaptées dans un système réglementaire établi souvent en référence aux pratiques de formation de la grande entreprise.
L'exposé de cadrage de Jean-Philippe Cépède, directeur juridique du Centre Inffo, sur le projet prochain de réforme de la formation professionnelle a pu rappeler les avancées, notamment depuis 1984, quant à l'importance accordée au tutorat dans la mise en œuvre des formations alternées. Il a notamment fait état des acquis significatifs, non remis en question, de la dernière réforme (Ani de septembre 2003 et loi de 2004). Parmi les nouveautés possibles, le financement d'un “tutorat externe" à l'entreprise ou le recours aux seniors suggéré par le rapport Masingue peuvent être des voies de progrès, utiles, à défaut d'être suffisantes. Mais une bonne navigation suppose un temps calme. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, en pleine crise économique et sociale. Paradoxalement, alors même que les repères deviennent flous et incertains et qu'il est de plus en plus difficile aux individus de tirer leur épingle d'un jeu social compétitif, on n'a jamais autant parlé de “sécurisation des parcours", thème de la prochaine rencontre TTnet.)] [(Le rôle déterminant des organismes intermédiaires
Tout au long de cette journée, on a pu souligner et avoir les preuves, au travers des expériences présentées, du rôle déterminant d'appui, de conseil et de pilotage d'organismes intermédiaires, qu'il s'agisse de spécialistes de l'ingénierie de la formation comme Citadel ou d'organisations professionnelles (Opca comme l'Agefos-PME, branches professionnelles, Chambres de commerce et d'industrie, Chambres de métiers, etc.). Les organismes de formation, partenaires de l'alternance, ont également leur rôle à jouer comme en témoignent les exemples des écoles de la seconde chance, des centres de formation agricole et de la Chambre de commerce et d'Industrie de Versailles et ses Guides pratiques. La formation des “préparateurs en pharmacie", organisée sous l'égide de cette dernière, témoigne des “valeurs ajoutées" que génère la mise en place d'une action concertée. )]
Notes
1. | ↑ | Membre du Garf (Groupement des acteurs et responsables de la formation), ww.garf.asso.fr |
2. | ↑ | Ancien directeur de Citadel, www.citadel.fr |
3. | ↑ | www.u-bourgogne.fr/ensbana/_agrosup |
4. | ↑ | Directeur des partenariats en formation à la CCI de Versailles. |
5. | ↑ | Chargé de mission à l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail). - www.anact.fr |