Les organismes de formation linguistique sont aujourd'hui à nouveau fragilisés

Par - Le 01 mai 2012.

La crise économique et financière a fortement impacté le marché de la formation professionnelle linguistique (FPL) en 2009 et 2010. “Dans un contexte de déséquilibre entre l'offre et la demande, alors que les formations linguistiques sont considérées comme non stratégiques par sept entreprises sur dix, la crise financière qui a frappé la France de plein fouet en 2009 a eu des conséquences importantes pour le marché", indique Andrew Wickham, consultant au cabinet conseil Linguaid, qui publie l'édition 2012 de La formation langues à l'heure de la mondialisation[ 1 ]Les conclusions de l'étude principale ont été élaborées à partir de 60 entretiens qualitatifs avec les principaux acteurs et experts du marché, de questionnaires quantitatifs adressés aux responsables de formation et aux organismes et d'une analyse documentaire, financière et statistique qui a duré dix-huit mois..

Selon l'étude de Linguaid, les organismes de formation linguistique ont perdu 8,5 % de leur chiffre d'affaires au cours de la crise en 2009 et 2010, et sont aujourd'hui à nouveau fragilisés, avec une marge nette moyenne de 1,7 % en 2010. L'année 2011 a été globalement stable, voire légèrement en hausse par rapport à 2010, mais le marché reste atone pour la plupart des prestataires en langues et les incertitudes de la conjoncture et de la réforme en cours pèsent sur l'activité.

“Seuls 253 organismes identifiables sont aujourd'hui en activité sur ce marché, comparé aux 271 identifiés en 2009", constate Andrew Wickham. En effet, de 2008 à 2012, une trentaine d'organismes ont disparu et 25 ont été cédés. Selon son collègue Joss Frimond, “les défaillances ont été multipliées par trois au cours de cette période et les cessions d'entreprise ont été nombreuses. Le nombre de créations est relativement élevé, mais la plupart concernent soit de très petites entreprises ou des indépendants, soit la poursuite d'exploitation sous un nouveau nom de sociétés liquidées, soit des transferts d'activité entre membres d'un réseau sous un nouveau nom. Parfois, une société peut être créée à la demande d'un client, afin d'externaliser son activité de formation – un cas récent. Les quelques créations importantes enregistrées au cours de la période n'affichent pas, d'ailleurs, des résultats très flatteurs".

L'étude révèle un processus de regroupement, parallèle à la réduction du nombre d'organismes en activité observée, indiquant de ce fait que “le marché se concentre peu à peu, malgré l'émiettement par le bas du à la multiplication des formateurs auto-entrepreneurs". Ainsi, par exemple, l'acquisition de Telelangue par Berlitz et de Langues et Entreprises par Linguaphone à elles seules représentent une “concentration majeure" de l'activité. Andrew Wickham ajoute : “L'évolution reste néanmoins lente car, peu rentable, le secteur n'est pas très attractif, les capitaux se font plus rares en temps de crise et le prix payé (25 à 30 % du chiffre d'affaires en moyenne) n'incite pas les propriétaires d'organismes à franchir le pas de la cession".

Selon une étude de Precepta concernant les organismes privés de formation, “la dégradation de l'environnement économique va accélérer les évolutions de la profession", notamment la formation professionnelle linguistique, avec “le développement de l'e-learning et des solutions de blended learning", rendant l'accès au marché de plus en plus difficile pour les petits et moyens organismes et “l'externalisation croissante de la gestion administrative de la formation professionnelle, ainsi que la reprise en main des processus d'achat de formations en interne (réduction du nombre d'organismes référencés), qui contribueront à accentuer les pressions sur les prix, sur la qualité et sur le "rendement" des formations".

Cinq tendances-clés

Linguaid identifie les cinq tendances-clés qui auront le plus d'impact sur l'évolution du marché des langues en France.

 D'abord, une stabilisation, voire une baisse structurelle des budgets. Ce, “malgré la popularité de la formation linguistique chez les particuliers et les salariés individuels et quelques nouvelles opportunités liées au traitement social du chômage à travers les financements des Opca et de Pôle emploi", précise Andrew Wickham. De plus, ajoute-il, “les grandes entreprises ont tendance aujourd'hui à investir prioritairement dans la formation à distance, plus standardisée et plus économique, les financements des Opca se concentrent sur les populations plus fragilisées et les autorités publiques sont tentées d'utiliser les milliards de la formation professionnelle pour amortir les coûts sociaux de la crise".

 Deuxième tendance-clé : la pression toujours plus forte des acheteurs (grandes entreprises, pouvoirs publics, Opca, etc.) sur les prestataires en termes de tarifs, de critères de référencement, de certification qualité, de retour sur investissement, de gestion administrative et de traçabilité, qui “favorise la concentration du marché et la professionnalisation des organismes, mais qui a également des effets contre-productifs", car appliquée de manière indifférenciée, “cette pression peut même aboutir à une “déprofessionnalisation" des prestataires".

 Par ailleurs, l'individualisation et la spécialisation de la demande (parcours courts, personnalisés et spécialisés métiers), est une “tendance lourde depuis plus d'une quinzaine d'années", perceptible surtout pour les formations considérées à forte valeur ajoutée.

 Et le marché mondial de la formation langues à distance pour les entreprises est, lui en pleine croissance, “boosté par la demande de centralisation des dispositifs de formation des multinationales à la recherche de partenaires capables de proposer une offre globale adaptée à leurs besoins". Avec pour conséquence, la convergence des quatre métiers jusqu'alors séparés de la formation linguistique : l'édition de supports de formation, la formation en face à face, la formation à distance et la production de ressources de e-learning. Cette convergence favorise l'intégration verticale des prestataires et des offres, ainsi que l'émergence d'entreprises mondiales de formation langues[ 2 ]Berlitz-Telelangue, EF Englishtown ou Pearson-Wall Street., proposant une offre de blended learning intégrée.

 Enfin, cinquième tendance-clé : la démocratisation des outils et des ressources du blended learning et de la formation à distance sur le marché des particuliers et des PME, avec un foisonnement d'acteurs nouveaux (Myngle, Busuu ou LiveMocha) qui proposent des formations par Skype et “social learning", concurrençant de plus en plus les majors du e-learning.

[(Internet permet à des acteurs ne disposant pas de capitaux de créer des programmes de blended learning à distance low cost. Une tendance qui représente une opportunité pour les petits organismes et les formateurs du marché professionnel car l'accès à des plateformes et des ressources en ligne de blended learning personnalisable commencent à être proposées par les grands éditeurs de supports pédagogiques, à des prix tout à fait abordables. )]

Voir aussi notre entretien avec Andrew Wickham.

Notes   [ + ]

1. Les conclusions de l'étude principale ont été élaborées à partir de 60 entretiens qualitatifs avec les principaux acteurs et experts du marché, de questionnaires quantitatifs adressés aux responsables de formation et aux organismes et d'une analyse documentaire, financière et statistique qui a duré dix-huit mois.
2. Berlitz-Telelangue, EF Englishtown ou Pearson-Wall Street.