Rapport Fourgous : repenser la pratique pédagogique des enseignants à l'heure du numérique
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 mai 2012.
Fin février 2012, la mission parlementaire présidée par le député UMP des Yvelines Jean-Michel Fourgous, mandatée par le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Laurent Wauquiez, rendait un rapport intitulé “Apprendre autrement à l'ère du numérique", consacré aux innovations des pratiques pédagogiques
par le numérique et à la formation des enseignants. Quelles perspectives ?
Si l'essentiel du rapport est consacré aux possibilités induites par le développement des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement (primaire, secondaire ou supérieur) pour le développement des capacités des élèves ou étudiants, un chapitre est cependant consacré à la nécessaire formation des enseignants aux pédagogies numériques. Une stratégie susceptible de répondre aux enjeux liés à “la compétitivité et la massification de l'enseignement supérieur".
Formation de formateurs
Le rapport l'affirme : “Avec l'augmentation de la diversité des étudiants et l'arrivée des outils numériques, les professeurs d'Université n'ont d'autres choix que d'apprendre à différencier leurs pratiques, tout en continuant à proposer des formations d'élite." Une nécessité se traduisant notamment par “une refondation des pratiques pédagogiques" comme cela avait été souligné en 2010 par Jacques Fontanille, président de l'Université de Limoges, à l'occasion de la troisième édition du Colloque international de l'Université à l'ère du numérique (CIUEN). Un constat qui s'appuie, entres autres, sur le programme d'Institutional management in higher education, publié par l'OCDE, sur l'engagement à construire un espace européen dans l'enseignement supérieur tel que prévu par le “processus de Bologne", mais aussi sur les recommandations du conseil de l'Union européenne de 2009 relatives à la formation de formateurs aux compétences nécessaires pour enseigner.
“Jusqu'à présent, seule la recherche entre en ligne de compte dans l'évolution de la carrière des enseignants du supérieur", note Jean-Michel Fourgous dans son rapport, “il est nécessaire aujourd'hui de les inciter à se former aux nouvelles pratiques pédagogiques, notamment par la création d'une prime d'excellence pédagogique." Une prime qui reposerait sur la procédure d'évaluation des enseignements et de la formation en fonction de l'appréciation des étudiants, telle que prévue dans l'arrêté Bayrou de 1997. Mais au-delà de l'incitation financière, il appartient aux Services universitaires de pédagogie (Sup) − regroupés au sein d'un réseau national − d'accompagner les enseignants aux NTIC afin d'améliorer les qualités pédagogiques de leurs formations en la matière. Toutefois, si ces services ont, depuis leur instauration dans les années 2000, contribué à développer des actions de formation et d'accompagnement du corps professoral pour favoriser l'innovation, les échanges entre enseignants et la recherche en pédagogie universitaire, ils ne couvrent actuellement que 20 % des Universités, particulièrement scientifiques ou technologiques. “Ils n'ont pas de réelle reconnaissance et demeurent largement dépendants des priorités budgétaires des établissements", regrette le rapport, qui propose “comme dans les pays anglo-saxons", de donner à ces services les capacités de se développer et de se pérenniser.
“Initiatives d'excellence en formations innovantes"
À cet effet, le rapport suggère de recourir aux “initiatives d'excellence en formations innovantes" (Inefi) qualifiées de “levier vers de nouvelles formations universitaires". Ces Inefi, présentées initialement en octobre 2011, projettent d'améliorer et de diversifier les contenus pédagogiques, de développer les usages du numérique (notamment les formations blended), de repenser le rythme de formation, de renouveler les partenariats avec le monde de l'entreprise, ou encore de renforcer l'accompagnement des enseignants, notamment au travers des Sup. Au nombre de vingt, ces projets sont actuellement budgétés à hauteur de 150 millions d'euros.
Par ailleurs, le député envisage l'intégration des IUFM au sein des Universités afin, selon les termes de Pierre Fracknowiak, inspecteur honoraire de l'Éducation nationale, “de mettre un terme à une croyance absurde selon laquelle il suffirait d'être un bon enseignant dans le primaire ou le secondaire pour être un enseignant-formateur compétent". Objectif avoué du rapport Fourgous ? Permettre aux Universités françaises de se classer aux plus hauts rangs des Universités mondiales. “Tout le système éducatif et la France ont à y gagner !" Reste à savoir ce que va devenir ce rapport avec l'alternance…
Questions à Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, coordinateur du rapport
“La nécessité des Tice n'est plus l'objet d'un débat politique !"
En 2012, les réticences des enseignants envers les pédagogies numériques existent-elles encore ?
En 2002, ils n'étaient que 20 % à voir l'intérêt de ces outils. Ils sont près de 80 % dix ans plus tard. Incontestablement, il y a eu évolution des mentalités sur ce point. Néanmoins, si la France n'est pas en retard en termes de matériel (hardware) par rapport aux pays nordiques − phares en matière d'éducation numérique − elle manque encore de culture en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication à appliquer à l'enseignement. Je ne jette pas la pierre aux enseignants eux-mêmes, qui se montrent généralement prêts à se positionner sur ces nouvelles méthodes, mais davantage aux institutions telles que le ministère de l'Éducation nationale ou le corps de l'Inspection nationale, même si là aussi, des évolutions positives sont à souligner et à encourager. Parmi les propositions figurant dans ce rapport, nous souhaitons voir la mise en place d'“ambassadeurs du numérique", des enseignants déjà formés chargés de former eux-mêmes leurs collègues, tant sur le matériel que sur les pédagogies ou même leur insuffler la culture des Tice.
Justement, parmi vos propositions figure une “prime d'excellence pédagogique" pour inciter les professeurs à se former...
Si l'on veut stimuler, il faut récompenser. Et cette prime d'excellence représente un moyen de valoriser celui qui fait l'effort de se former à une nouvelle pratique pédagogique. Il en va de même lorsque l'effort en matière de Tice se traduit, pour l'enseignant, par une évolution de carrière : si tout le monde ne bouge que lorsqu'il est assuré que 100 % de ses collègues seront d'accord avec lui, alors le système est mort !
La régionalisation des établissements et la loi LRU ne risquent-elles pas de créer des “fractures numériques territoriales" entre des régions urbaines fortement “numérisées" et des régions rurales qui souffriraient de carences ?
Il faut accepter la manière dont ce pays est administré et accepter la part croissante de décision accordée aux Régions et Départements. Effectivement, certains Conseils généraux n'ont pas encore intégré qu'ils avaient affaire à une petite révolution dans le domaine de l'enseignement. Mais actuellement, de plus en plus d'élus comprennent ces nouveaux enjeux et en tiennent compte, d'autant que l'accès au haut débit se démocratise dans les territoires. Sur ce point, tant les académies que les citoyens font pression sur leurs élus pour accéder à ce haut-débit, ce qui ne peut que favoriser l'enseignement numérique.
Craignez-vous que la démission du gouvernement de François Fillon ne soit synonyme d'un enterrement de votre rapport ?
Non. En dépit de l'alternance politique, la nécessité d'une évolution et d'une modernisation de l'enseignement est une réalité, demandée tant par les étudiants, élèves, parents que par une part croissante des enseignants eux-mêmes. La question des Tice n'a rien de politique et les experts qui s'y penchent passent très largement au dessus de l'axe gauche-droite. De toutes manières, à l'heure la Chine forme près d'un million d'ingénieurs par an, alors que la France en forme 27 000, je ne pense pas que la nécessité des Tice soit encore l'objet d'un débat politique !
Passeport pour le numérique ?
Le certificat informatique et internet pour enseignants (C2i2e, voir L'Inffo n° 811, p. 15) est désormais obligatoire
dans le cursus menant au master enseignement (et accessible via la VAE pour les enseignants déjà en poste).
En apparence, la formation des futurs pédagogues aux Tice et donc bien garantie… sauf qu'en la matière, seuls 45 % et 26 % des étudiants pensent que ce certificat est adapté à la formation de futurs enseignants. “Trop généraliste", voire “relevant de la méthode Coué", le C2i2e serait, selon les résultats de la mission Fourgous, un dispositif technico-pédagogique à repenser. Une urgence, en effet, car si 94 % des enseignants-formateurs des Pays-Bas et 90 % de ceux de Norvège se déclarent à l'aise avec ces technologies adaptées à l'enseignement, leurs homologues français ne sont que 37 % dans le même cas (source OCDE-Ceri, 2010). Afin de remédier à cette absence de culture numérique chez les enseignants-formateurs, la mission parlementaire propose, notamment, d'inclure l'usage des Tice dans les critères de recrutement des maîtres de conférences, la création d'un C2i2e “enseignement supérieur", ainsi que la mise en place, au sein des Universités, d'enseignements mixtes permettant de former les enseignants du supérieur aux outils et usage du numérique, tant dans le cadre de l'enseignement que dans celui de la recherche.