Rapport Tracfin 2011 : la branche des organismes de formation est également concernée par le blanchiment

Par - Le 16 septembre 2012.

Le blanchiment est un phénomène qui touche tous les secteurs d'activité. En 2011, Tracfin, la cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, “a, en particulier, constaté que les sociétés de sécurité, le secteur de la restauration rapide, le marché de l'art ou encore les sociétés de formation professionnelle présentaient une sensibilité particulière au risque de blanchiment"...

Selon le rapport annuel 2011 de ce service du ministère de lÉconomie et des Finances, rendu public le 22 août 2012, la formation professionnelle n'est pas épargnée par le blanchiment. En effet, souligne-t-il, “l'importance de la dépense nationale en formation continue [évaluée par l'Insee à 30 milliards d'euros en 2008] se traduit peu dans l'activité déclarative des professionnels (dix déclarations de soupçon reçues en 2011), alors que les acteurs de la formation professionnelle ont des statuts juridiques très hétérogènes, sont parfois peu contrôlés et ont, dans certains cas, des modes de fonctionnement assez opaques en termes de gouvernance".

“Dans les typologies de blanchiment, il nous est apparu que ce secteur pouvait contribuer au blanchiment de par le fait que les acteurs sont peu contrôlés et que les sommes en jeu sont considérables", nous explique Bruno Nicoulaud, chef du département de l'analyse, du renseignement et de l'information de Tracfin. Qui définit le blanchiment comme “l'intégration dans l'économie légale le produit d'un crime ou d'un délit susceptible d'une peine de plus d'un an".

Pour illustrer cette “sensibilité particulière au risque de blanchiment", Tracfin présente un “cas banalisé" (voir encadré) dans le secteur des sociétés de formation, un schéma type illustrant le mécanisme. En effet, précise Bruno Nicoulaud, “certains sociétés de formation peuvent organiser des filières d'immigration clandestine en délivrant des cartes à des étudiants étrangers donc les aidant à obtenir des visas, d'autres détourner des fonds publics en proposant des formations fictives, ou être une vitrine légale pour une secte". Le secteur de la formation, par le fait qu'il est peu structuré, peut générer des activités alimentant une criminalité organisée (économie souterraine, “mafia entrepreneuriale", etc.). Les critères d'alerte sont de deux ordres : le “profil du gérant" et les “flux financiers sur les comptes des sociétés sans rapport avec leur secteur d'activité".
Mais Tracfin collabore-il avec la DGEFP qui, par ailleurs contrôle les activités des organismes de formation ? “Notre service fait du renseignement et non du contrôle", rappelle le chef du département de l'analyse, du renseignement et de l'information de Tracfin. Qui précise : “Le service de contrôle de la DGEFP n'est pas habilité à recevoir nos informations. Par contre, lorsqu'il y a mise en cause d'un organisme de formation, nous transmettons les informations à l'administration judiciaire qui vérifie et qualifie les faits reprochés en termes de délit". Car, seulement compte ici, l'“infraction sous-jacente et l'organisme de formation" (non pas en tant qu'opérateur économique), mais comme “terrain propice au blanchiment".

Pourtant, “malgré une tendance forte aux dérives sectaires régulièrement soulignée par la Miviludes Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires] dans ses différents rapports d'activité, on constate un faible nombre d'informations reçues sur ces sujets", déplore Tracfin dans son rapport. Rappelant qu'un sondage Ipsos-SIG pour la [Miviludes avait révélé qu'“un Français sur cinq connaissait personnellement dans son entourage familial, amical ou professionnel, une ou plusieurs personnes qui ont été victimes de dérives sectaires dans des domaines aussi variés que les produits de fin du monde (kits de survie, conférences et séminaires) ou les formations au développement personnel et aux médecines parallèles".

“La multiplicité des acteurs dans le secteur et la complexité du circuit de financement de la formation professionnelle rend plus difficiles les contrôles", déplore Bruno Nicoulaud. Comme l'ont déjà préconisé certains rapports de corps d'inspection, le chef du département de l'analyse, du renseignement et de l'information de Tracfin − qui n'est pas habilité à se prononcer sur une réforme de la formation professionnelle − conseille une meilleure “centralisation des organismes collecteurs" (Opca) et “un contrôle effectif, d'une part, de la réalité des formations proposées et, d'autre part, de leur légitimité, notamment dans des domaines qui relèvent de l'escroquerie".

Selon Tracfin, les “quelques exemples de secteurs émergents ou peu investigués par les professionnels doivent les encourager à prendre conscience que l'analyse des risques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux ne peut se réduire à la seule vigilance sur des opérations atypiques ou des secteurs déjà bien identifiés". Une telle vigilance “doit également se nourrir d'une analyse fine de leur environnement économique et de leur clientèle, ainsi que des spécificités en matière de délinquance dans leur territoire d'intervention".

Tracfin

Créé en 1990 à la suite d'un sommet du G7, Tracfin concourt au développement d'une économie “en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme". Ce service à compétence nationale, rattaché aux ministères financiers, participe à “la préservation et au développement de circuits financiers sains" ainsi qu'à “une meilleure régulation de l'économie".

"Cas typologique" de blanchiment"

Ce cas met en scène M. X, 25 ans, dirigeant de droit des sociétés A, B et C et résidant dans une région alpha, et M. Y, gérant de fait des mêmes sociétés, seul mandataire sur les comptes des sociétés A et B. Par ailleurs, “défavorablement connu des services de police" et résidant dans une région bêta. A et B étant des “sociétés de formation continue" et C une “société de distribution de boissons".

Ces trois sociétés possèdent leur siège social dans la même commune, sont localisées à la même adresse et ont été immatriculées au registre du commerce le même jour. Leur capital constitutif est d'un montant identique (2 000 euros).

Les flux à l'origine du soupçon d'infractions sont les suivants : outre des paiements de particuliers, les sociétés A et B perçoivent de nombreux règlements de sociétés sans lien avec leur secteur d'intervention, et des subventions de l'État au titre de leur activité de formation. Les dépenses ne sont pas en rapport avec l'activité des trois sociétés : aucune dépense de charge d'exploitation n'est enregistrée et aucune activité réelle n'a été constatée.

Les flux financiers débiteurs constatés sur les comptes des sociétés A, B et C ressemblent à des opérations caractéristiques d'un compte de particuliers : dépenses alimentaires, bricolage, etc. Les dépenses constatées sur les comptes des sociétés sont localisées dans une région bêta, alors que les dépenses du gérant M. X sont enregistrées dans une région alpha. Le compte de la société de distribution est uniquement alimenté par les virements des deux sociétés de formation.

Ce schéma financier est susceptible de traduire des faits d'escroquerie dans le secteur de la formation − et de blanchiment de ce délit.