Disparition - Vincent Merle, le père de la VAE

Par - Le 16 mai 2013.

Vincent Merle est décédé le 23 avril d'une crise cardiaque, à
l'âge de 63 ans. Professeur au Conservatoire national des arts et
métiers, président de l'agence Aquitaine Cap métiers, président de
l'Association nationale des Carif-Oref, il laisse derrière lui un bilan
unanimement salué. L'ancien directeur de cabinet de la secrétaire
d'État à la Formation professionnelle Nicole Péry (gouvernement de
Lionel Jospin) fut notamment l'inspirateur de la validation des acquis
de l'expérience, qui vit le jour en 2002.

C'est avec une profonde tristesse que j'ai appris le décès de Vincent Merle. Mes pensées vont tout d'abord à sa famille et à ses proches auxquels je tiens à exprimer tout mon soutien", a réagi le ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle Michel Sapin.

Le ministre a ajouté que “Vincent Merle était en France un acteur éminent et incontournable de la formation professionnelle.

En juillet dernier, il animait avec talent aux côtés de Thierry Repentin
et de moi-même la table ronde de la grande conférence sociale consacrée au développement des compétences. Son expérience, sa clairvoyance, et son esprit d'innovation nous manqueront pour construire la réforme à venir de cette politique publique".

Proche de Vincent Merle, Pascale Gérard, secrétaire nationale à la formation professionnelle et à l'apprentissage au Parti socialiste, a rendu hommage à “l'expert reconnu du marché du travail et de la formation tout au long de la vie, véritable inventeur social.

Vincent Merle manquera cruellement dans le paysage de la formation
professionnelle et du travail". Alain Rousset, président du Conseil régional d'Aquitaine, a célébré l'action du président de l'agence Aquitaine Cap métiers, fonction que Vincent Merle exerçait depuis juin 2011. “Je retiens l'humilité de Vincent, qui connaissait la formation comme personne, et qui a tant fait pour celle-ci en Aquitaine, notamment en soutenant la mise en place et le déploiement des Espaces métiers Aquitaine sur l'ensemble du territoire, et en contribuant activement à la réflexion sur le développement d'un vrai service public de l'orientation", a jugé le président de l'exécutif aquitain.

“Une très grande émotion"

La nouvelle de la disparition de Vincent Merle a été reçue avec “stupeur et une très grande émotion" par l'Association nationale des Carif-Oref, dont il était le président. En acceptant cette présidence, Vincent Merle avait “témoigné de tout l'intérêt qu'il attribuait aux métiers des Carif-Oref et à leurs apports singuliers au service des décideurs, des professionnels et du public", ont précisé Charles Fournier, vice-président Hervé Belmont, trésorier, et Mario Barsaman, secrétaire. “Il est parvenu à incarner ce point de rencontre entre tous les acteurs, entre tous les échelons territoriaux embarqués dans le réseau des Carif-Oref." À la peine causée par la perte s'ajoute celle de voir “disparaître une intelligence tournée vers l'avenir".

La loi de 2002

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, Vincent Merle avait débuté sa carrière professionnelle comme chargé de mission à l'ANPE (1976-1983). Il est ensuite entré au Commissariat général au Plan (1983-1984), avant de devenir conseiller au cabinet de Jack Ralite, ministre délégué auprès du ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, chargé de l'emploi (1984-1985).

En 1994, il était nommé directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Quatre ans plus tard, la secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle Nicole Péry lui demandait de devenir son directeur de cabinet (1998- 2002). Dès lors, il n'a cessé d'oeuvrer pour la validation des acquis de l'expérience, inscrite dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.

En septembre 2008, il présidait le groupe de travail sur la VAE, mis en place dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, qui devait déboucher sur l'Ani de janvier 2009, transposé dans la loi du 24 novembre 2009.

Vincent Merle était titulaire de la chaire travail, emploi et acquisitions professionnelles du Cnam.

David Garcia

QUAND VINCENT MERLE DRESSAIT UN BILAN DE DIX ANS DE VAE

À l'occasion du décès de Vincent Merle, nous publions à nouveau cet article, paru dans Le Quotidien de la formation le 18 janvier 2012 [ 1 ] Voir aussi son interview sur ce même thème dans le dossier de L'Inffo n° 806, pp. 16-17..

“La VAE est entrée dans les moeurs. Elle est plus connue que le Dif !", a constaté, optimiste, Vincent Merle, professeur au Cnam, le 17 janvier 2012 à Angers (Maine-et-Loire), lors de la journée qu'a consacré le Carif Pays de la Loire aux dix ans du dispositif. Directeur de cabinet de Nicole Péry, secrétaire aux Droits des femmes lorsque la loi de modernisation sociale créant la VAE a été votée le 17 janvier 2002, il a relaté l'ambiance de l'époque.

“Il y avait des dispositions sur la formation professionnelle et ces dispositions là ont été votées à l'unanimité aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. C'est toujours bon signe", se souvient-il. Pour autant, seulement 500 diplômes par an étaient alors validés grâce au dispositif précédent la validation des acquis professionnels (VAP) version 1992 et il n'est pas mécontent du bilan que l'on peut tirer dix ans plus tard, préférant constater que la bouteille est à moitié pleine.
“Le rapport Besson [ 2 ]“Valoriser l'acquis de l'expérience : une évaluation du dispositif de VAE", Éric Besson, septembre 2008. a établi qu'il y avait un potentiel de 6 millions de personnes concernées par le dispositif. Actuellement, il y a 60 000 qui s'engagent dans le parcours. Le compte n'y est pas !", a-t-il reconnu, ajoutant dans la foulée : “La réussite tient elle au nombre ? La VAE est un sucre lent. C'est un choc culturel qui va se transformer."

Pour Vincent Merle, on lui doit de s'être penché sur les compétences et d'avoir réécrit les référentiels. Si le diplôme sanctionne un parcours de formation réussi, il est avant tout une “une présomption d'aptitudes, de connaissances et de compétences" qui doivent être décrites par un référentiel, faute de quoi la VAE ne pourra être mise en
œuvre et, “de ce point de vue, c'est une petite révolution", donnant, dix ans plus tard, raison à Nicole Péry.

Les entreprises doivent se l'approprier

Mais il n'y aura de réussite que si les entreprises s'approprient la VAE. Elles doivent reconnaître qu'elles ont, certes, besoin des têtes bien faites, mais aussi des gens qui ont développé des compétences en situation de travail. Or, elles ont du mal à le reconnaître et il existe encore, selon lui, un “plafond de verre" entre les catégories, le diplôme demeurant un signal fort. “Si l'entreprise encourage ce dispositif et si elle favorise l'idée même que la reconnaissance est utile, alors on a gagné", a-t-il déclaré.

Pour autant, la VAE n'est pas un long fleuve tranquille : “C'est une obligation de retour sur soi et d'élucidation de tout ce qu'on sait faire, sans savoir qu'on sait le faire, et c'est un travail extrêmement exigeant et extrêmement formateur." D'où l'intérêt d'être accompagné par un collectif, comme l'entreprise, pour éviter d'échouer. Surtout que le fait d'enclencher une VAE portée par le collectif bouleverse les organisations de l'entreprise, amenant employeur et salarié à travailler ensemble plutôt que l'un contre l'autre, lorsqu'ils parlent de l'activité réelle en vue de l'obtention d'un diplôme. La VAE est “un outil puissant qui pousse à parler de l'activité réelle et met l'entreprise dans la position où elle doit reconnaître. On n'est plus dans le mépris, on est dans la reconnaissance. La réussite de la VAE passera par le fait que les entreprises se l'approprient", a-t-il insisté.

Encore du travail sur le référentiel

Si la VAE est entrée dans les moeurs, le professeur au Cnam pense qu'il reste “du travail à faire sur le référentiel", le terme même de compétences restant flou. Pour Vincent Merle, “une compétence est une reconstruction a posteriori (…), c'est le croisement entre les ressources dont vous avez besoin pour agir, qui font que vous êtes connaissant et performant, et le contexte dans lequel vous exercez". _ L'écriture du référentiel nécessite selon lui encore beaucoup d'investissement méthodologique. Autre champ de progrès : les jurys. Non seulement il n'y a pas assez de professionnels dans les jurys, mais les enseignants qui y siègent “gardent leurs vieux réflexes". Surtout, il faudrait que les trois pôles de la VAE, le référentiel, l'accompagnement et le jury, travaillent ensemble.

Béatrice Delamer

TEMOIGNAGES

“J'ai estimé les compétences de Vincent Merle à leur juste valeur", nous a dit Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle de 1998 à 2002.

“J'ai aussi beaucoup apprécié la confiance que les partenaires sociaux avaient dans ses analyses. Il a constamment cherché à nouer un dialogue avec les organisations patronales et syndicales pour construire un droit individuel à la formation." Si Nicole Péry devait citer un sujet sur lequel Vincent Merle a joué un rôle éminent, “ce serait la VAE. Une avancée que j'ai jugée très progressiste et à laquelle le Premier ministre Lionel Jospin était très attaché. C'était le dossier qui tenait le plus à cœur de Vincent Merle".

La disparition brutale de Vincent Merle va “faire un vide" comme nous l'a indiqué avec émotion Jérôme Burguière, directeur général d'Aquitaine Cap métiers. “Il faisait partie de ces personnes charismatiques qui entraînent tout un groupe."

Le président d'Aquitaine Cap métier a été“la figure de proue capable de souder tous les acteurs locaux, tout de suite". Et de rappeler son rôle moteur dans l'avènement de l'Association nationale des Carif-Oref, en décembre 2011. “Un réseau, ce sont des individualités. Il a su fédérer sans autoritarisme, car il était légitime et savait écouter", a conclu Jérôme Burguière.

Notes   [ + ]

1. Voir aussi son interview sur ce même thème dans le dossier de L'Inffo n° 806, pp. 16-17.
2. “Valoriser l'acquis de l'expérience : une évaluation du dispositif de VAE", Éric Besson, septembre 2008.