120 artisans complices d'une escroquerie à la formation

Par - Le 16 février 2014.

“Nous recevons par fax des feuilles d'émargement
par dizaines, émanant du même organisme de formation.
Dès le mois de mars, tous les émargements
ont été expédiés en rafale, dûment signés, pour des
formations qui doivent avoir lieu en juin." Ce
message d'alerte a été adressé par un Opca au
service régional de contrôle du Nord-Pas-de-
Calais, en 2011. Les soupçons de l'organisme
collecteur se sont avérés fondés. Il s'agissait bien
d'une escroquerie.

Émargements à la chaîne

Grand classique des redressements, le prestataire
propose des formations prises en charge par un
Opca. Lesquelles sont dispensées partiellement…
ou pas du tout. En compensation, les clients, des
indépendants en l'espèce, reçoivent des produits
utiles à l'exercice de leur profession. “L'organisme
de formation envoyait les émargements à la chaîne,
au point de signer même parfois à la place des artisans
! Le but de la manoeuvre était de garantir la
prise en charge de la formation par l'Opca, en sorte
que le stagiaire n'ait rien à débourser. L'indépendant
attendait de recevoir le chèque de l'Opca pour payer
l'OF. Le prestataire étant également grossiste, les
clients obtenaient en échange des formations courtes,
mais aussi des produits, du matériel et des consommables",
décrypte Nadia Belgacem, responsable
du service régional de contrôle de Nord-Pas-de-
Calais.

Des naïfs... ou pas

Pour séduire ses proies, l'organisme de formation
présentait la prise en charge des formations comme
un dû : “Vous cotisez à l'Opca, l'Opca doit prendre
en charge les formations." “Sur les 120 indépendants
impliqués dans l'escroquerie, il y avait des naïfs, mais
la plupart ont compris leur intérêt", souligne Nadia
Belgacem. D'un côté, une contribution à l'Opca
de l'ordre de 60 euros par an. De l'autre, une formation
qui coûtait 6 000 euros. Le calcul était vite
fait… “L'Opca a réagi à l'arnaque au bout d'un an.
Entre-temps, l'OF avait engrangé un chiffre d'affaires
d'un million d'euros. Trop vite, trop fort…", ajoute
la responsable du SRC. Trop gourmand, le prestataire
malhonnête a fini par attirer l'attention des
services de contrôle.

Instigateur de l'escroquerie, l'organisme de
formation se voit infliger un redressement de
700 000 euros par les services fiscaux. Quant
aux bénéficiaires de la fraude, les 120 indépendants,
ils doivent rembourser à l'Opca les
sommes indûment perçues. À quoi s'ajoute une
pénalité de 100 %, sanctionnant le recours à
des faux émargements. Soit un doublement du
montant perçu.

“Plus de la moitié des artisans ont spontanément
reconnu leurs torts et fait un chèque à l'Opca. Pour
les autres, des décisions préfectorales ont prononcé des
reversements au Trésor public", précise la responsable
du SRC.

“Des artisans qui s'effondraient en
larmes"


Une trentaine d'indépendants ont engagé un bras
de fer juridique. “Trente contentieux, c'est beaucoup.
C'est plus que la moyenne sachant que le taux
moyen de contentieux est de 4 %. Certains indépendants
déclarent 10 000 euros de chiffre d'affaires
et vont devoir payer 12 000 euros au titre de leur
redressement. Les mêmes règles s'appliquent aux
grosses sociétés et aux artisans. Cette affaire nous a
beaucoup coûté humainement. Ils ont fraudé certes,
mais certains des indépendants redressés ont dû rembourser
sur leurs deniers personnels. Nous avons vu
des artisans qui s'effondraient en larmes. C'était difficile
à vivre", témoigne Nadia Belgacem.