La DGEFP décrypte le fonctionnement du contrôle de la formation professionnelle

Par - Le 16 février 2014.

La formation professionnelle, malgré sa réputation d'être le terrain privilégié de détournements, est en fait loin d'être
une zone de non-droit. Un appareil de contrôle piloté par
la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation
professionnelle), et étendu sur tout le territoire, traque
les tentatives de fraudes et les irrégularités. Bien qu'une
insuffisance des moyens, face à l'étendue du champ à
contrôler, ait été pointée en 2012 par un rapport de la Cour
des comptes (voir page 18), on dénombre 29 millions d'euros
de corrections financières cette même année. L'Inffo est
allé à la rencontre de Stéphane Rémy, chef de la mission
Organisation des contrôles à la DGEFP et de son adjoint
Philippe Delagarde, pour qu'ils nous donnent un aperçu des
rouages du système.

Comment s'organise l'articulation entre le niveau central et
les services régionaux de contrôle ?


Stéphane Rémy - Sur tout le territoire, on compte 180 agents
de contrôle. Le système est fondé sur la responsabilité de chaque
inspecteur du travail ou contrôleur. Cela signifie qu'en cas de
plainte, l'agent instruit le dossier sans avoir besoin d'autorisation
venue “d'en haut". Les SRC (services régionaux de contrôle) des
Direccte (directions régionales des entreprises, de la concurrence,
de la consommation, du travail et de l'emploi) jouissent d'une
certaine liberté d'action. Certes, ils doivent respecter les priorités
nationales, mais dans le cadre de leurs plans d'action régionaux, ils
peuvent prendre en compte des spécificités territoriales et donner
une suite prioritaire aux plaintes reçues.

Au niveau national, la mission d'organisation des contrôles
de la DGEFP est composée de dix agents. Nous sommes en
relation constante avec les SRC dans le cadre de notre mission
d'animation du réseau. Nous mettons en place − trois à quatre
fois par an − des réunions avec les chefs de service pour traiter de
l'actualité et échanger sur les situations rencontrées. Les grandes
orientations nationales sont élaborées dans ce cadre en fonction
des informations recueillies lors de ces réunions qui abordent,
notamment, les pratiques des acteurs de la formation. Elles sont
formalisées par des instructions annuelles ou pluriannuelles. En
2013, par exemple, la priorité était donnée au contrôle relatif à la
formation des demandeurs d'emploi et aux actions liées aux fonds
de la professionnalisation.

Comment se répartissent les contrôles entre les différents
niveaux ?


S. R. - Tous les contrôles sont effectués par les SRC, sauf ceux qui
ont trait aux Opca, et ils réalisent 50 % des contrôles d'opérations
cofinancées par le FSE (Fonds social européen). La mission nationale
de l'organisation des contrôles est structurée autour de chargés
de mission référents sur la formation continue, l'apprentissage,
le contentieux, le FSE, l'appui aux Régions − pour harmoniser les
pratiques dans les différents SRC −, le suivi et la qualité de l'offre
de formation et une personne est chargée des questions écrites
et courriers parlementaires. Pour ce qui est du contrôle des fonds
alloués au titre du FSE, nous travaillons sous l'autorité de la CICC
(Commission interministérielle de coordination des contrôles).

La réforme du 24 novembre 2009 a mis les projecteurs sur
les Opca. Comment procédez-vous au contrôle de ces
organismes ?


Philippe Delagarde - Le contrôle des Opca est de la
responsabilité de la DGEFP. Si le contrôle nécessite d'intervenir
dans plusieurs régions, ce contrôle ne peut être exercé que par
un agent commissionné par le ministre. Si le contrôle est effectué
au siège de l'organisme, un agent commissionné par le préfet de
région compétent pourra intervenir. C'est pourquoi les Fongecif
vont plutôt être contrôlés par les services régionaux. Au niveau
national, les agents sont ainsi commissionnés par le ministre et au
niveau régional par le préfet de région. En fonction des besoins,
un commissionnement national peut être effectué pour un agent
affecté en SRC, mais c'est une pratique assez rare.

Nous développons de plus en plus des contrôles ciblés. Nous
passons quelques jours dans la structure pour analyser les
documents liés à un type d'actions de formation, un échantillon
d'actions, ou à un poste de dépenses particulier. En cas
d'irrégularités nous entrons alors dans un contrôle exhaustif. Dans
ce cas, le dispositif est plus lourd : cela peut mobiliser une équipe
− un binôme ou un trinôme − sur place pendant plusieurs semaines,
et celle-ci va analyser de très nombreux documents administratifs
et comptables puis produire un rapport complet.

S. R. - Suite au vote de la réforme de 2009, les agréments des Opca
ont été revus, ainsi que ceux des Fongecif. Le nombre d'organismes
collecteurs a diminué et ceux-ci ont conclu des Com (conventions
d'objectifs et de moyens) avec la DGEFP.
Pour évaluer que les objectifs des Com sont bien atteints, il est trop
tôt. En effet, nous ne pourrons nous prêter à l'exercice qu'une fois
la première vague de conventions arrivée à son terme. Cependant,
dès 2012, nous avons commencé à mener des contrôles ciblés sur
quatre Opca. Il s'agissait de vérifier si ceux-ci respectaient leur
champ d'agrément, que leur gouvernance était bien conforme à ce
que prévoit la loi, notamment avec la mise en place de sections
paritaires professionnelles…

Un trop rare contrôle des Opca vous a souvent été reproché.
Comptez-vous intensifier la cadence ?


S. R. - La question est souvent mal posée. Des contrôles ont déjà
été mis en oeuvre sur les Opca, avec à la clé des sanctions fortes.
Cependant, les collecteurs ont été concernés par deux réformes
d'ampleur, l'une en 2004 et l'autre en 2009… et celle de 2014 qui
est en cours. Il faut leur laisser le temps de les mettre en oeuvre
et de se réorganiser en conséquence. Notez que chaque année,
trois ou quatre Opca sont contrôlés entre la mission nationale de
contrôle, l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) et la Cour
des comptes.

Ph. D. - En réalité, nous exerçons souvent des contrôles suite
à des alertes ou des signalements qui nous parviennent. Il est
donc logique que nous ne soyons pas présents souvent chez les
organismes collecteurs… La plupart du temps, nous n'y allons que
si nous avons des éléments sérieux et concordants.

S. R. - J'ajoute qu'un autre aspect de la question est rarement mis
en avant : un contrôle “intelligent" ne consiste pas uniquement
à procéder à des vérifications et à sanctionner. Les organismes
collecteurs ne sont pas que des objets de contrôle, mais aussi
les acteurs d'une régulation du marché. Ils nous font savoir les
difficultés qu'ils rencontrent, tandis que de notre côté, nous attirons
leur attention sur certains risques de détournement de l'argent de
la formation. La plupart d'entre eux sont vigilants et responsables,
ils ont parfois leur propre cellule de contrôle !

Quelles sont les autres missions de contrôle de la formation
professionnelle ?


Ph. D. - Nous assurons aussi des contrôles de la participation des
employeurs au développement de la formation professionnelle
continue. Chaque année, cela représente 90 000 déclarations
reçues par les SRC et génère entre 800 et 1 000 procédures de
contrôle sur place ou sur pièces.

S. R. - De plus, dans le cadre des priorités nationales ou en cas
de signalement, des contrôles d'organismes de formation sont
réalisés. De même, en matière d'apprentissage, des contrôles
sont menés auprès des Octa (organismes collecteurs de la taxe
d'apprentissage) et sur demande auprès des CFA (centres de
formation d'apprentis). Depuis 2012, nous assurons un contrôle
nouveau : celui relatif au versement de la CSA (contribution
supplémentaire à l'apprentissage), instauré par la loi de finances
rectificative pour 2011. Cela a occasionné 318 contrôles sur
l'année 2012. Enfin, les activités de contrôle génèrent une
activité contentieuse. On compte ainsi 39 contentieux sur 2012.
Ils concernent en premier lieu des contrôles d'organismes de
formation − soit 25 d'entre eux −, mais aussi des contrôles
d'employeurs (12 contentieux) ou des opérations cofinancées par
les FSE (2 contentieux). Au final, 42 jugements ont été rendus, dont
36 décisions en faveur de l'administration.

Ph. D. - Le contentieux devant le tribunal administratif relève de
la compétence du préfet de région et il est instruit par les services
régionaux, et en cas d'appel ou de cassation, le dossier est traité
par les services centraux du ministère.

Quel a été l'impact de la question prioritaire de
constitutionnalité de 2012 relative au contrôle des fonds
de la formation pour laquelle les sages ont tranché en
faveur de l'administration ?


S. R. - Nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier lors de
l'instruction au Conseil d'État avec les services du ministère du
Travail. La décision du Conseil constitutionnel est importante. Si les
articles de loi sur le contrôle avaient été jugés anticonstitutionnels,
cela aurait eu des conséquences lourdes sur les pratiques de
contrôle financier. Finalement, la décision des “sages" a conforté la
mission de contrôle.

De manière générale, comment contrôlez-vous l'activité des
organismes de formation ?


S. R. - Les services de contrôle répertorient 80 000 organismes
de formation, mais il faut se méfier de ce nombre. En effet, cela
représente une photo à un instant T. Pour perdurer, un organisme
doit justifier d'une réelle activité et doit transmettre pour cela un
bilan pédagogique et financier qui retrace son activité annuelle.
Tous ne satisfont pas à cette exigence. Par ailleurs, chaque année,
les services de contrôle reçoivent et instruisent les demandes
d'enregistrement comme OF (14 000 nouvelles demandes en 2012
dont près de 2 000 ont été refusées). Cela donne environ 12 000
nouveaux entrants et dans le même temps, 10 000 OF deviennent
caduques car ils n'ont plus d'activité !

Chaque année environ 800 contrôles de prestataires de formation
sont réalisés. Les principales irrégularités que nous constatons
sont les suivantes : la prestation facturée n'a pas été exécutée, la
prestation dispensée par l'organisme ne relève pas du champ de
la formation continue, ou encore, certaines dépenses ne sont pas
justifiées ou rattachables à une activité de formation professionnelle.
Les OF doivent satisfaire à des obligations légales et réglementaires
bien précises. La mission de contrôle va par exemple vérifier la mise
en place d'une comptabilité séparée en cas d'activités multiples, le
respect des règles de publicité, l'existence d'un système de suivi de
la formation (pour la très grande majorité des organismes cela est
assuré par la tenue de feuilles de présence et d'émargement des
stagiaires…). La nature de la formation importe aussi, et il convient
d'être vigilant sur la finalité professionnelle des actions conduites.

Que voulez-vous dire par “nature de la formation" et “finalité
des actions conduites" ?


S. R. - Un même libellé de formation peut recouvrir des réalités bien
différentes. Le public est-il bien défini ? Les objectifs de la formation
sont-ils clairs ? Le programme est-il précis ? En outre, la frontière
parfois ténue entre formation et développement personnel demande
aux agents de contrôle des facultés d'analyse fine. Prenez par
exemple un stage sur la gestion du stress ou sur la maîtrise de soi :
est-ce de la formation ou du développement personnel ?
La réponse ne peut s'évaluer qu'au cas par cas. Dans des professions
en contact avec le public comme celles travaillant de nuit ou chez
le personnel hospitalier (urgences) où le stress fait partie intégrante
du quotidien des professionnels, de telles prestations peuvent se
justifier. En revanche, quand cela ne correspond pas à une nécessité
professionnelle mais à un besoin personnel, ce type de stage ne peut
être considéré comme de la formation.

Sur certains dossiers, il doit être difficile pour l'administration
de trancher…


Ph. D. - Nous sommes souvent confrontés à des questions délicates,
pour lesquelles le Code du travail n'offre pas de réponse immédiate.
Où est la frontière entre une action d'information, de sensibilisation,
une simple transmission de consignes et une action de formation. Les
médecins, par exemple, ont besoin d'être en pointe sur les actualités
médicales. Leur formation peut donc passer par des colloques
professionnels, des conférences… Et que dire de la présentation
de nouveaux produits à des commerciaux et directeurs marketing ?
Il appartient donc à l'inspecteur ou au contrôleur d'apprécier, à
partir des justificatifs présentés, la cohérence entre les objectifs de
formation poursuivis, le public visé et les moyens mis en oeuvre pour
déterminer si telle ou telle action entre bien dans le champ de la
formation professionnelle continue.

S. R. - Pendant des années, on a considéré par exemple que les actions
de formation liées à la sécurité étaient à la charge de l'employeur et
non imputables sur les budgets de formation professionnelle. Suite à
l'Ani de 2003 et à la loi de 2004, cela a changé, et ces actions peuvent
finalement être prises en compte. Aujourd'hui encore les services
de contrôle, les Opca et les employeurs nous sollicitent sur ce sujet.
Ils nous font part de leurs interrogations sur des “cas frontières" sur
lesquels nous rendons un avis.

Propos recueillis par Aurélie Gerlach

DES CARENCES SOULIGNÉES PAR LES POUVOIRS PUBLICS

En mai 1994, auditionné par une commission d'enquête
sur l'utilisation des fonds consacrés à la formation
professionnelle, le ministre du Travail Michel Giraud
reconnaissait que “l'État a complètement démissionné de ses
responsabilités dans ce domaine, sans aucune justification.
Il apparaît aujourd'hui clairement que les abus que l'on a
recensés dans la collecte et dans la formation elle-même
n'ont pu être commis que faute d'une volonté politique. Ces
carences se sont traduites par le délaissement de la fonction
de contrôle de l'État".

Cinq ans plus tard, le SCPC (Service central de prévention de la
corruption), service interministériel placé auprès du Garde des
sceaux, indiquait : “Ce domaine demeure exposé à un risque
maximal de dérives. On y relève, en effet, cinq facteurs de
risques importants, dont un seul suffirait à éveiller le soupçon
et, donc, la vigilance des autorités." Parmi lesquels le facteur
collecte : “Les fonds collectés autorisent de multiples montages
frauduleux et des détournements, d'autant que les excédents
de trésorerie des organismes collecteurs sont difficilement
contrôlés" (extrait du rapport d'activité 1998-1999).

Le rapport Perruchot [ 1 ]Cf. L'Inffo n° 846, p. 6. constatait pour sa part en 2011
que “le rendement des contrôles qui existent déjà peut
laisser pantois : en 2010, 4 000 contrôles, sur un champ qui
représentait plus de 200 millions d'euros, auraient débouché
sur 30 millions d'euros de redressements, ce qui représente
de fait un taux très élevé d'irrégularités découvertes".
Début 2012, la Cour des comptes fustigeait, comme en 2000
déjà, “l'insuffisance de moyens [affectés aux SRC], qui se
sont aggravés au cours des dix dernières années", alors
que “le champ couvert par cette activité de contrôle est
considérable", puisqu'il “concerne un volume financier
d'environ 30 milliards d'euros". Elle précisait : “Alors même
que les masses financières à contrôler ont augmenté de
70 % en dix ans, et la masse contrôlable moyenne par
agent s'élevait à 130 millions en 2000 (niveau très élevé,
que le ministre s'était engagé à diviser par deux), elle est
aujourd'hui de 185 millions."

Enfin, Tracfin, la cellule de lutte contre le blanchiment
d'argent et le financement du terrorisme, classe la formation
professionnelle comme l'un des quatre secteurs les plus
sensibles au blanchiment de capitaux...

D. G.

Notes   [ + ]

1. Cf. L'Inffo n° 846, p. 6.