Entretien avec Stéphane Diebold, président du Groupement des acteurs et responsables de la formation en entreprise (Garf)

Par - Le 01 juillet 2013.

“Il faut remettre du collectif dans la formation !"

Quelle analyse faites-vous de la “grande conférence sociale" des 20 et 21 juin ?

Les conférences sociales sont des idées anciennes et pertinentes, car elles permettent de mettre tout le monde autour de la table pour discuter. Cette idée simple est parfois très compliquée à mettre en oeuvre et ne peut se faire que lors de rendez-vous bien balisés. Le double problème d'une conférence sociale porte sur la nature des questions qui sont posées et sur la latitude dont disposent les interlocuteurs pour y répondre. En effet, il arrive que les décisions soient prises en amont et que les parties en présence soient mises au “pied du mur" pour se prononcer au moment de la rencontre, sur des aspects majeurs. On se trouve alors dans une sorte de “marketing social" qui ne sert pas à la réflexion.

À ce titre, avez-vous été sollicités par le ministère ?

Pas directement, mais nous avions discuté avec l'ancien ministre délégué à la Formation professionnelle, Thierry Repentin, sur l'importance de redonner du “lien social" à la formation professionnelle, pour que celle-ci puisse jouer son rôle de facilitateur de la promotion sociale.

Quelle analyse faites-vous du projet de “compte personnel de formation" ?

Je pense que le CPF est une suite donnée à la portabilité du droit individuel à la formation. Ce ne sera pas une révolution, mais un approfondissement logique d'un dispositif connu. Cette continuité dans la réflexion est intéressante. À présent, je ne sais pas si le CPF va remplacer le Dif, mais je vois que ceux qui ont travaillé à la conférence sociale se sont donné du temps pour déterminer les paramètres du dispositif. La réflexion qui sera menée pour essayer de donner à chacun les moyens de se former tout au long de la vie est une bonne chose. Ce que je vois également, c'est que la question principale est le coût du CPF et son organisation. Selon les montants qui seront mobilisés, soit cet outil aura des applications modestes, soit il sera destiné à des cibles prioritaires. Par exemple, allouer des fonds importants pour la formation des personnes en recherche d'emploi est un choix politique. On peut imaginer une autre hypothèse, comme de s'interroger sur la formation des personnes en entreprises, pour aider celles-ci à leur transformation et créer une valeur ajoutée. Mais pour l'instant, il est encore trop tôt pour connaître le principe de réalité qui sera mis en oeuvre.

Pensez-vous que le CPF doive relever du choix du salarié ?

Vous touchez à un point qui me paraît fondamental. D'une manière générale, je pense qu'il faut remettre du collectif dans la formation ! À force d'individualiser, d'émietter, on ajoute encore plus de pression sur les salariés en poste. Et pour ceux qui sont en recherche d'emploi, c'est encore pire, car ils n'ont pas le droit à l'erreur. Pour moi, la formation doit leur permettre l'employabilité. Quelles garanties les stagiaires ont-ils que c'est précisément cette formation qui leur permettra d'obtenir un emploi ? Aujourd'hui, les entreprises ont très peu de visibilité sur leur avenir. Comment voulez-vous que les individus en aient davantage? Comment pourraient-ils être capables de se projeter dans un monde qui n'a pas de visibilité ?

Selon vous, quelles seraient alors les solutions afin que la formation soit efficace pour les individus comme pour les entreprises ?

Il faut recréer les corps intermédiaires. C'est la seule solution. L'idée selon laquelle chacun serait producteur de richesses, seul, dans son coin, n'est absolument pas réaliste, même si on cherche souvent à nous la vendre comme une bonne solution, innovante. C'est une fiction noble que de penser que toute personne est décideuse de son propre avenir et peut y arriver seule. Mais c'est une fiction. En revanche, il faut créer de nouveaux modèles, passer enfin dans l'ère du “nous". La survie de l'entreprise tient à sa capacité à rebondir, à son adaptabilité à ce monde en évolution constante. Seule, elle ne peut rien. Les individus qui la composent doivent s'adapter par des formations en adéquation avec les besoins de leur entreprise.

Mais individus et entreprises n'ont pas forcément les mêmes intérêts en matière de formation...

Ils ne peuvent pas fonctionner indépendamment l'un de l'autre. C'est pourquoi je crois profondément dans ces corps intermédiaires et aux valeurs portées par une entreprise ou par des lieux créateurs de projets. Il faut leur permettre de redevenir des acteurs ensemble. Une enquête récente indique que 50 % des Français refusent l'idée même de projet, et on voudrait les obliger à décider seuls, à les rendre responsables de leur employabilité ? C'est inacceptable. Bien entendu, il faut que les patrons osent prendre des angles pertinents, se lancent dans ces grandes aventures humaines et collectives pour donner du sens à leur projet. Les corps intermédiaires doivent permettre de souder tous les talents vers une idée collective que la formation peut aider à réaliser. Et la territorialisation de la formation est une nécessité.

Comment les employeurs peuvent-ils convaincre les salariés que leur projet est porteur de sens et d'employabilité ?

Il faut “érotiser" la formation ! Si l'on donne un catalogue, les personnes seront dans l'embarras car elles n'auront pas de visibilité
sur les possibilités exactes qui leur sont données. En ce moment par exemple, il y a une forte pénurie de “community managers". Ce sont pourtant des postes très techniques et relativement simples, le socle de compétences est minimal. Mais la formation qui pourrait être accessible à de nombreuses personnes n'est absolument pas mise en lumière. Il faut donner l'envie aux acteurs de se former ensemble pour un projet commun.

Comment va-t-on apprendre dans les dix ou vingt prochaines années ?

La formation qui est faite aujourd'hui est parfois franchement fossilisée, alors qu'il y a de nouveaux comportements à prendre en compte notamment avec les nouvelles technologies, les neurosciences... Pour comptabiliser réellement les acquisitions qui sont faites, il faudrait un observatoire, non pas une nouvelle structure, mais utiliser l'une de celles qui existent et mutualiser, partager les expériences, réfléchir aux nouveaux modèles comportementaux qui se dessinent. D'une idée, Steve Jobs est
parvenu à la faire partager aux autres et à créer une communauté autour...

Il manque donc un Steve Jobs en France ?

Non, il y a beaucoup de talents, mais il faut davantage de partage d'expériences. Vous savez, Steve Jobs était un pirate informatique, au début...

En ce qui concerne l'apprentissage, certains préconisent de s'inspirer davantage du modèle allemand. Qu'en pensez-vous ?

Notre modèle a bien fonctionné et... nous ne sommes pas en Allemagne ! Dans ce pays, s'adapter et rebondir tout au long de sa vie est une tradition, tandis qu'en France, on a surtout une logique de formation initiale qui peut ensuite être complétée. On ne raisonne pas exactement de la même manière des deux côtés de la frontière. Il faut
respecter notre histoire, nos spécifi cités pour nous diriger vers un modèle qui pourrait davantage mixer les savoirs généralistes avec les savoirs techniques.

Selon vous, comment améliorer l'apprentissage en France ?

Je pense qu'il faut avoir une réflexion sur les métiers. Par exemple, on ne cuisine plus du tout de la même façon qu'autrefois. Il faut repenser à la fois les contenus pédagogiques et connaître les besoins des entreprises. Les emplois sont créés par les entreprises, il ne faut jamais l'oublier. L'idée de se lancer, d'entreprendre est une valeur qui peut aussi être portée par l'école. Il faut aussi que l'État joue son rôle, qu'il soit porteur de projets. C'est lui qui doit mobiliser l'Éducation nationale, les entreprises, les partenaires sociaux et les Régions sur l'emploi. C'est lui qui doit aussi donner l'impulsion pour retisser du lien
et repenser le social.

Propos recueillis par Claire Padych