Analyse“Politique de formation et e-learning : où en sommes-nous ?"

Par - Le 20 novembre 2007.

Le 4 décembre, le Centre Inffo organise en partenariat avec le Garf1 une demi-journée d'actualité sur le thème “Politique de formation et e-learning : où en sommes-nous ?" Thierry Kinderstuth2, secrétaire général adjoint du Garf, répond à nos questions.

Inffo Flash  : Quelle place occupe le
e-learning au sein du Garf ?

Thierry Kinderstuth : Il est bon de se souvenir que l'on parle d'e-learning depuis dix ans environ, ce qui reste une pratique récente. Il me faut également rappeler que l'éclatement de la “bulle internet" en 2002 a porté un coup de frein à l'enthousiasme et à la re-connaissance née du texte élaboré par le ministère du Travail (circulaire DGEFP 2001/22 du 20 juillet 2001). Ceci posé, le e-learning n'est qu'un outil, et en tant que
tel, est utilisé de façons diverses par nos adhérents. Ce sont des entreprises “ordinaires" avec leurs marchés, leurs publics, leurs impératifs de dé-veloppement dont celui des compétences de leurs collaborateurs.

En dix années, nous pouvons cependant affirmer que le e-learning a dépassé le stade de l'expérimentation. L'outil a quitté les mains des innovateurs pour celles des utilisateurs, ces derniers se fixant des objectifs de “rentabilité". Pour autant, notre association ne pare pas l'e-learning de vertus spécifiques. Nous sommes simplement vigilants sur les retours d'expériences que peuvent nous communiquer nos membres et confronter nos pratiques à l'état de l'art du marché.

Inffo Flash  : Le e-learning du début des années 2000 s'était montré très enthousiaste à l'arrivée des “grains de formation" et autres systèmes d'aide à la performance sur le poste de travail. Disposez-vous de retours quant à l'efficacité de ces solutions en matière de gestion continue des compétences ?

Thierry Kinderstuth : Le Garf a édité un numéro spécial en mars 2005 intitulé “La e-formation dans les entreprises". Ce numéro faisait suite à un précédent opus paru deux ans plus tôt. Le nombre d'entreprises adeptes, les effectifs formés, la nature et le nombre d'actions proposées progressent. Malgré cela, construire un dispositif de formation s'appuyant sur le e-learning est un processus de longue haleine. Il est encore de plus longue haleine de croire en la possibilité de mutualisation des grains pédagogiques.

Deux aspects restent à résoudre. Tout d'abord, trouver la norme universelle permettant de réutiliser les grains pédagogiques (ou learning object) quelles que soient les solutions de diffusion retenues. Ces grains seraient mis à disposition dans des banques universelles, multilingues, aux contenus instantanément traduits et contextualisés selon les usages. C'est encore de la science-fiction.

Ensuite, au niveau des entreprises, développer les contenus est encore, et il me semble pour un certain temps, une priorité, avant de penser à les partager. Seuls des partenariats de circonstance entre Universités ou grandes écoles et entreprises sont à même de permettre cette mutualisation. On peut également imaginer cette coproduction par le biais des fédérations, branches et associations professionnelles. Quelques initiatives existent.

Distribuer l'information sur le poste de travail en “juste à temps" relève de systèmes experts potentiellement disponibles sur les applications informatiques. Coupler la diffusion de ces grains de formation avec un système de validation effectif et reconnu (référentiel) répondrait au paradigme de la “formation tout au long de la vie". Or, les automatismes ne peuvent appréhender la réalité des contextes, des situations. Aussi, l'appréciation de la performance reste encore soumise au facteur humain.

Inffo Flash  : Peut-on, selon vous, lier implémentation du e-learning et amélioration du taux de formation en entreprise ?

Thierry Kinderstuth : J'aurais tendance à vous renvoyer votre question en demandant : “Est-ce que l'on peut se féliciter de permettre l'accès à la formation continue à moins d'un salarié sur trois, sachant que les disparités restent toujours aussi grandes entre cadres et ouvriers, salariés du public ou du privé ?"

En l'état actuel, la variabilité de ces chiffres, même s'ils font ressortir une relative progression de l'accès à la formation, ne me semble pas pouvoir être mise sur le compte d'un usage plus soutenu des méthodes “distancielles". La réduction des temps de formation pourrait corroborer un usage du e-learning, cependant les chiffres en notre possession ne laissent pas apparaître cette progression lente, mais constante, des usages. Des organismes de formation se sont positionnés sur une offre Dif que les collaborateurs peuvent suivre tout ou partie à distance. Ces offres et les usages afférents restent pour l'instant confidentiels, cependant on peut augurer d'un prochain développement lié à la capitalisation des heures.

Inffo Flash  : Pensez-vous que le e-learning ait eu à ce jour un impact sur la flexibilité des organisations ?

Thierry Kinderstuth : Le e-learning a notamment été vendu, d'une part, comme offrant à l'entreprise des gains de temps et une formation concentrée associée à une économie des temps de déplacement, et, d'autre part, comme offrant un accès immédiat aux contenus et à l'instantanéité des déploiements.

Ces points sont avérés, et le sont d'autant plus que les effectifs concernés dans les organisations sont de taille importante. Il serait cependant réducteur d'en rester là. Le e-learning entre comme une nouvelle modalité possible pouvant allier souplesse, rapidité, disponibilité dans l'accès aux contenus de formation. Toutes les formations ne s'y prêtent pas et les classiques restent encore les formations à la bureautique, à l'informatique et à l'apprentissage des langues, etc.

Il reste également à évaluer la typologie des dispositifs mis en œuvre. Cette flexibilité est réelle lors des formations accompagnant le déploiement à grande échelle de nouveaux systèmes d'information et s'agissant de dispositifs d'“info-formation" produit ou service. Il est encore possible de trouver d'autres thèmes se prêtant bien à une mise en œuvre via le e-learning sur des formations métiers comme par exemple, le droit, la comptabilité, etc.

Inffo Flash  : Le e-learning a-t-il réussi à s'imposer en matière de knowledge management ? Si non, que lui manque-t-il pour être un véritable outil de l'entreprise apprenante ?

Thierry Kinderstuth : E-learning et “KM" sont complémentaires et, même s'ils s'inscrivent dans une certaine proximité, ne répondent pas de la même logique. Autant certains ont pointé une convergence technologique, autant l'un
et l'autre peuvent s'alimenter mutuellement, autant
e-learning et KM ne participent pas de la même dynamique, du même agi.

Il me paraît illusoire de réduire le e-learning à un besoin de formation informelle en situation de travail qui correspondrait à un outil capitalisant des documents, des connaissances forcément passées. Le e-learning, comme la formation en général, se veut plus construit, en relation avec, à défaut des objectifs, une finalité opérationnelle. À mon sens, le KM accessible via un portail d'information s'arrête là où commence le e-learning.

Inffo Flash  : Le e-learning vous paraît-il répondre de manière égale aux besoins des TPE-PME et à ceux des grands comptes ?

Thierry Kinderstuth : Les attentes face à la formation sont, ou devraient être, les mêmes, quelle que soit la taille de l'entreprise. Par contre, TPE et PME ne se battent pas à armes égales, n'ayant pas l'assise financière, les effectifs, les compétences internes pour posséder en propre l'infrastructure de formation.

Il est toujours possible de louer l'infrastructure pour peu que l'on possède ses propres contenus. Dans le cas contraire, le mode “ASP"3 me semble partiellement inadapté, cette fois-ci pour cause de contenus pas assez spécifiques à des attentes métiers. Les fédérations, les associations, les ordres professionnels, les organismes consulaires (CCI, CM, CA) et les Opca peuvent ici jouer un rôle en offrant des ressources et/ou une infrastructure mutualisées. La loi de décentralisation donne également aux Régions un poids et une capacité d'initiative que certaines ont relevée.

Inffo Flash  : Les capacités de suivi personnalisé associées au e-learning doivent-elles aider à la préparation de l'entretien professionnel ?

Thierry Kinderstuth : Peu de dispositifs en place exploitent réellement les possibilités de suivi que les outils proposent. Pour autant, l'entretien professionnel ayant pour objectif, tous les deux ans, de permettre de faire un point sur un projet professionnel, d'envisager des actions de formation, les informations collectées, les résultats aux tests de positionnement, sont autant d'instruments qui pourraient améliorer la fluidité des échanges.

Est-ce pour autant au travers d'une métrologie d'assiduité, de “complétude" de dispositif distanciel et de réussite à des tests de positionnement que l'on peut accompagner un collaborateur en seconde partie de carrière ? La question est posée.

Inffo Flash  : Alors que les dispositifs de formation tendent à la mixité des modalités d'intervention, pensez-vous que l'argument économique ait toujours un rôle central à jouer pour la promotion du e-learning ?

Thierry Kinderstuth : La dimension économique ne doit en aucun cas être occultée. Les chiffres manquent cependant toujours autant. Les gisements de productivité, les bénéfices ne sont peut-être pas dans les attendues économies de frais de déplacement, mais dans la capitalisation des savoirs, des connaissances.

Les débits s'améliorant, de nouveaux usages rendent le e-learning plus aisé tant dans les possibilités d'accès que dans la nature des ressources disponibles, les coûts baissant en proportion. Ainsi, l'image, la vidéo, la simulation (via les serious games), seront utilisées et apporteront de nouvelles réponses, de nouveaux usages. Demain également, il faudra certainement inventer la “formation durable" dans la droite ligne du Grenelle de l'environnement...
Propos recueillis par N. D.

  1. Troupement des acteurs et responsables de la formation. www.garf.asso.fr
  2. Thierry Kinderstuth est également administrateur à l'Insep de la plate-forme mutualisée de e-learning pour les acteurs du monde sportif (Sport EEF).
  3. 3 Le recours à un application service provider (fournisseur de service
    d'application) permet de louer l'accès à des solutions informatiques transitant par le réseau.