Michèle

Leflon

Aux prises avec la baisse démographique conjuguée à un niveau de qualification relativement faible de sa population, la Région Champagne-Ardenne entend, à travers son PRDF, lutter contre le “déterminisme social" et diversifier les voies de formation.

Par - Le 15 février 2006.

Inffo Flash : Quelles sont les grandes orientations de votre plan régional de développement des formations (PRDF) ?

Michèle Leflon : Le plan régional de développement des formations en Champagne-Ardenne est en cours d'élaboration et devrait être adopté vers la fin du premier semestre 2006.

Dans un souci de cohérence et de promotion de la formation tout au long de la vie, cette élaboration se fait parallèlement à celle du schéma des formations professionnelles. Elle a donné lieu à de multiples concertations, avec les différentes branches professionnelles et dans l'ensemble des territoires de la région, afin que le plan qui sera adopté soit celui de tous les Champardennais.

La Champagne-Ardenne se caractérise par son déclin démographique, une qualification de la population plutôt plus faible que la moyenne nationale, un emploi où la part des secteurs agricoles (champagne) et industriels (métallurgie, textile) est forte, des disparités territoriales importantes. Des mutations économiques sont indispensables : elles se feront avec les salariés d'aujourd'hui. C'est dire tous les enjeux de la formation dans cette région.

Les trois priorités retenues s'appuient sur cet état des lieux.

 Conduire les Champardennais au niveau le plus élevé possible de qualification en luttant contre le déterminisme social et en diversifiant les voies de formation. Il est prioritaire que tous les Champardennais aient au moins un premier niveau de qualification, tout
en favorisant l'acquisition des quali-fications les plus élevées possibles.
La construction de parcours de formation sans rupture pour les demandeurs d'emploi a été le fil conducteur de l'élaboration de la commande publique de formation 2006. Le PRDF doit permettre de mieux concrétiser dans la réalité cette notion, en développant les outils de ces parcours.

 Favoriser l'identité et la cohésion du territoire régional. Outre la définition de grands objectifs, le PRDF devrait comprendre la mise en place d'actions concrètes dans des territoires parmi les plus en difficulté sociale et démographique, de mise en commun des moyens de la formation initiale et continuée. Pour sa part, le Conseil économique et social régional a contribué à la réflexion par un avis sur la problématique de la mobilité des demandeurs d'emploi, et ses préconisations seront intégrées dans le plan.

 Construire des actions concrètes avec nos partenaires pour garantir les emplois de demain. Il faut en effet anticiper l'évolution des emplois et des compétences pour apporter une meilleure réponse aux besoins de l'économie et adapter l'appareil de formation aux évolutions économiques et technologiques.

Inffo Flash : Quelle place votre Région accorde-t-elle à l'insertion des jeunes par l'apprentissage ?

Michèle Leflon :L'apprentissage a été l'objet de toute l'attention de la nouvelle majorité du Conseil régional.

Il concerne environ 8 000 apprentis, avec un poids dans la formation initiale quasiment identique à la moyenne nationale, mais avec une surreprésentation des formations de niveau V.

Un contrat d'objectifs et de moyens a été négocié avec l'État, plus qualitatif que quantitatif. En effet, le nombre d'apprentis ne peut être augmenté substantiellement, et ce, pour deux
raisons : la baisse démographique - l'apprentissage ne doit pas concurrencer les autres modes de formation, mais progresser par l'excellence - et, surtout, le nombre insuffisant de maîtres
d'apprentissage. Des actions particulières sont prévues pour favoriser l'accès à l'apprentissage des jeunes filles, notamment dans les métiers les moins féminisés.

Cette signature du contrat d'objectifs et de moyens s'est accompagnée d'un effort significatif du Conseil régional d'aide à la mobilité des apprentis. Par ailleurs, un Fonds social apprentis a été créé, sur le modèle des fonds sociaux “lycées".

Enfin, la création d'un CFA public (il n'y en a pas actuellement) est à l'étude.

Il permettrait d'introduire en région de nouvelles formations par la voie de
l'alternance.

Inffo Flash : Quelles sont les actions menées en matière de lutte contre l'illettrisme ?

Michèle Leflon : La lutte contre l'illettrisme est une illustration de la cacophonie actuelle due à la modification des compétences des différents partenaires depuis la loi du 13 août 2004. Le préfet a pris l'initiative de coordonner un plan de lutte contre l'illettrisme. Celui-ci ne sera efficace que s'il est concerté avec les différentes collectivités déjà impliquées dans cette lutte, et que s'il ne se résume pas à des annonces, sans suite, faute des financements nécessaires.

Historiquement, les orientations de la Champagne-Ardenne vis-à-vis des publics les plus en difficulté sont globales, avec une École de la deuxième chance régionale, prenant maintenant en charge les jeunes dans chacun des territoires de la région. Cette École de la deuxième chance concerne les jeunes en situation d'illettrisme, comme les jeunes en grande difficulté pour d'autres causes.

Inffo Flash : Quelles sont les initiatives régionales en faveur des TPE et PME dans le cadre des contrats d'objectifs ?

Michèle Leflon : Dans un contexte de restructurations industrielles frappant particulièrement les TPE et PME de notre région, soumises aux grands donneurs d'ordre, le Conseil régional construit ses initiatives avec le souci d'un effet levier optimal pour le développement de la formation. Il convient notamment que les salariés les moins qualifiés puissent accroitre leur qualification, acquérir les savoirs et compétences transversales suffisants pour évoluer dans leur entreprise ou retrouver rapidement un emploi dans un autre secteur.

L'apport de la Région doit permettre aux entreprises de développer la formation des salariés qui, traditionnellement, bénéficient le moins de la formation : les moins qualifiés, les femmes.

Inffo Flash : Comment envisagez-vous de mettre en œuvre les nouvelles responsabilités confiées aux Régions par la loi de décentralisation ?

Michèle Leflon : Nouvelles responsabilités des Régions, ou désengagement financier de l'État ?

La Région a bien évidemment pris à bras le corps la responsabilité pleine et entière de la formation professionnelle.

L'exemple de la formation des chômeurs de longue durée (CLD) est significatif : il n'a bien sûr pas été question de les abandonner, malgré l'absence de compensation financière de l'État. _ Des actions spécifiques ont été mises en place en 2005 dans l'urgence ; des partenariats ont été ébauchés avec les Conseils généraux pour les RMIstes. Ceci se continue par une ouverture des formations financées par la Région aux différents publics et leur mixage, évitant ainsi de stigmatiser tel ou tel en fonction de son statut administratif. C'est bien le seul point positif, car outre l'absence de compensation financière, la variabilité des injonctions ministérielles sur la place de tel ou tel type de contrat aidé, et même la réintroduction de courts stages de formation à l'Afpa pour des CLD, financés par l'État, rend difficile la construction d'une politique stable vis-à-vis des publics les plus éloignés de l'emploi et désoriente les prescripteurs, en particulier les conseillers ANPE. Au total, le Conseil régional finance, mais ne peut pas construire une politique réellement adaptée aux besoins du terrain et doit constamment modifier ses dispositifs avec un grand pragmatisme pour proposer aux CLD des actions complémentaires de celles de l'État, et non concurrentielles. La loi du 13 août 2004 a manqué son but de développement de la démocratie de terrain.

Cette contradiction entre le financement par les Régions et la poursuite de la prise d'initiatives centralisées caractérise toute la difficulté de la mise en œuvre par la Région de ses nouvelles compétences. Pourtant, la Champagne-Ardenne relève le défi dans la mesure de ses capacités financières, car les habitants ne peuvent être les victimes de ces jeux politiciens.

Des initiatives nouvelles sont prises : par exemple, au sujet de la validation des acquis de l'expérience, la Région interviendra en 2006 avec les valideurs sur le domaine de l'assistance aux candidats pour l'élaboration de leur dossier de validation.

Du nouveau interviendra aussi dans le champ des formations sanitaires et sociales : en particulier, une école de kinésithérapie devrait voir le jour lors de la rentrée scolaire 2006, école absente pour l'instant de la région, malgré des besoins particulièrement criants.

Propos recueillis par Philippe Grandin