Nicole

Turbé-Suetens

L'avis de l'expert : “Le télétravail n'est pas un outil de marginalisation
ou de traitement des cas sociaux"

Le télétravail, loin d'être un “Ovni" organisationnel, répond aux exigences des sociétés tertiaires. Nicole Turbé-Suetens, expert auprès de la Commission européenne et fondatrice de Distance expert, cabinet de conseil spécialisé dans l'introduction et l'accompagnement des nouvelles formes de travail utilisant les NTIC dans les organisations, répond à nos questions.

Par - Le 31 août 2007.

Inffo Flash  : À quoi attribuez-vous le faible essor du télétravail en France ?

Nicole Turbé-Suetens  : Aux mentalités,
à la culture managériale, au manque de pratique de la négociation sociale et à l'absence d'intérêt pour le sujet “organisation" sur le plan des choix stratégiques.

Inffo Flash  : Peut-on formaliser des bonnes
pratiques ?

Nicole Turbé-Suetens  : Dans l'absolu et en théorie, bien sûr. Pour le moment, le champ est plutôt vide en France. Les accords d'entreprise et de branche sont rares et les quelques entreprises qui pratiquent le télétravail n'en parlent pas. De toutes les manières, s'il y avait ne serait-ce qu'une entreprise avec un déploiement important et bien organisé, cela se saurait.

Inffo Flash  : Très médiatisé, l'accord Renault n'enthousiasme pas toujours les promoteurs du télétravail ; à titre d'expert, que lui reprochez-vous et quelles seraient vos préconisations ?

Nicole Turbé-Suetens  : Je pense que c'est une erreur d'avoir fait un accord spécifique sur le télétravail à domicile. Il me semble qu'il aurait été plus judicieux de faire un accord général dans lequel les particularités de la pratique alternée entre domicile et entreprise auraient été précisées pour les métiers sédentaires. Un tel accord ne fait que renforcer l'image de marginalisation du télétravail et des télétravailleurs, dans un pays où le télétravail est presque systématiquement assimilé au travail à domicile et, donc, rejeté par un plus grand nombre de personnes. Le travail à domicile a mauvaise réputation en France ; probablement un relent des vieilles pratiques du début du siècle dernier, où les travailleurs étaient payés “à la pièce". Il y a des esprits chagrins qui vont même jusqu'à assimiler la définition d'objectifs précis à un équivalent de mesure “à la pièce". Difficile d'évoluer dans de telles conditions.

Inffo Flash  : Le télétravail existe bien souvent en dehors de tout accord, est-il important de contractualiser, et pourquoi ?

Nicole Turbé-Suetens  : Un accord est la seule manière juste et équitable d'établir des règles communes dans une organisation structurée comme l'est une entreprise ou un organisme public. Pour que les résultats économiques, sociaux et/ou environnementaux du télétravail puissent être mesurés, il faut qu'ils s'inscrivent dans une stratégie dont les objectifs de mise en œuvre sont connus et accessibles à tous ; ce n'est pas un outil de marginalisation ou de traitement de cas sociaux.

Inffo Flash  :  En quoi le nomadisme diffère-t-il du télétravail ?

Nicole Turbé-Suetens  :  Le nomadisme est une forme de télétravail. _ C'est une fantaisie de l'esprit français de considérer qu'il s'agit de quelque chose de différent, et cela permet de se dire qu'il n'est pas nécessaire de négocier. Les nomades, de par la nature de leur métier, sont probablement moins souvent ou moins longtemps au travail chez eux ; mais ils travaillent également à partir de leur domicile sur une base régulière.

Inffo Flash  : Comment accueillez-vous l'objectif annoncé durant la campagne présidentielle par Nicolas Sarkozy de “doubler le nombre de télétravailleurs" ?

Nicole Turbé-Suetens  : J'attends de savoir à quoi doit servir une telle affirmation, et de voir ce qui sera concrètement proposé. Jusqu'à ce jour, et ceci depuis dix ans, les politiques ont régulièrement agité le “hochet" du télétravail comme étant quelque chose qui permettait d'atteindre l'un ou l'autre objectif qui leur paraissait intéressant. Par contre, il semblerait qu'au final l'enjeu n'ait jamais été suffisamment important pour passer à l'acte. Donc, il faut savoir à quoi une telle affirmation doit servir politiquement, et comment atteindre cet objectif.

D'ailleurs, s'il y avait une volonté politique, cela devrait se traduire par de vrais projets dans les services de l'État.

Contacts :

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