Avec {Le Dernier week-end}, Pôle emploi fait son cinéma
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 octobre 2011.
“Sans travail, le talent n'est rien qu'une sale manie", disait Hitchcock. En 2008, afin de procéder à une évaluation en milieu du travail (ÉMT) pour une vingtaine de comédiens intermittents du spectacle, Pôle emploi a monté un projet particulier : le tournage d'un moyen-métrage afin de tester les acteurs in situ. Mais l'histoire n'allait pas s'arrêter là, puisque Le Dernier week-end, film issu de ce dispositif, est sorti dans les salles le 12 octobre.
“L'écriture du Dernier week-end fut une drôle d'aventure ! Un ami comédien, Jean-Marie Mistral, me dit un jour que la conseillère Pôle emploi Spectacle de Paris, Danièle Dingreville cherche un réalisateur pour faire travailler des comédiens en recherche d'emploi… L'idée est inédite et me séduit !" Pour Ali Borgini, scénariste et réalisateur, la problématique était nouvelle : offrir à des acteurs et techniciens au chômage en tant qu'intermittents du spectacle le moyen de faire le point sur leurs aptitudes professionnelles, dans des conditions réelles de travail, autrement dit, un tournage.
“L'intermittence fait partie intégrante du métier de comédien, souligne Danièle Dingreville, de Pôle emploi Alhambra, c'est le lot des acteurs entre deux pièces ou entre deux tournages. Tous les acteurs s'inscrivent à Pôle emploi lorsqu'ils ont terminé un film." Si, à l'origine, le projet monté par la responsable de l'ex-ANPE ne constituait qu'une évaluation en milieu du travail (ÉMT) à destination de demandeurs d'emploi, Danièle Dingreville était loin de soupçonner que le dispositif déployé par Pôle emploi en 2008 allait donner naissance à un véritable long-métrage de cinéma, salué par le Prix Henri-Langlois[ 1 ]Henri Langlois (1914-1977) fut l'un des pionniers de la conservation des films et l'un des fondateurs de la Cinémathèque française. , décerné lors du Festival de Vincennes en 2010.
“Ni Pôle emploi ni moi ne savions vraiment où nous allions, se souvient Ali Borgini. Le budget alloué pour cette ÉMT s'élevait à 10 000 euros, ce qui peut sembler énorme, mais, concrètement se révèle une très faible somme dès lors qu'il s'agit de faire tourner un maximum de comédiens et de techniciens, en une quinzaine de jours et dans un minimum de décors !" Au vu des conditions de production, c'est tout naturellement qu'Ali Gordini s'est consacré à l'écriture d'un pilote de moyen-métrage, prévu pour vingt-deux comédiens, dans un huis-clos permettant d'économiser sur les frais de décors.
Après les deux semaines réglementaires allouées par Pôle emploi, les caméras se sont donc éteintes et les acteurs sont retournés courir le cachet. Mais l'histoire ne devait pas s'arrêter là. “Au visionnage des rushes, j'ai constaté que si la technique laissait beaucoup à désirer, la performance des comédiens était, elle, remarquable. Que faire ? Ma mission pour Pôle emploi était remplie, mais l'aventure était belle…"
Aussi, après avoir trouvé un financement à hauteur de 300 000 euros, Ali Borgini a été en mesure de faire de son pilote un authentique projet de long-métrage, tourné au château du Tronchet, dans la Sarthe. Un tournage pour lequel le réalisateur a dû, cependant, se passer des techniciens intermittents de Pôle emploi et leur substituer une équipe technique plus professionnelle, tout en conservant les comédiens d'origine. “Sur ce plan, Pôle emploi a réussi son pari, confesse le cinéaste, puisque les vingt-deux acteurs que Danièle Dingreville m'avait proposé ont été engagés avec un vrai contrat de travail au bout du compte."
Ces derniers ne monteront peut-être jamais les marches de Cannes, mais l'ascenseur social semble être reparti pour eux.
[(PETITS MEURTRES ENTRE AMIS CHEZ CITIZEN KANEAvec 300 000 euros de budget et la contrainte de faire tourner vingt-deux comédiens en quelques semaines seulement, il était difficile à Ali Borgini de mettre en boîte un remake d'Avatar. Il a donc fait le choix du huis-clos, avouant avec fierté la filiation de son film avec les romans d'Agatha Christie et certains films d'Hitchcock, pour une intrigue qui évoque autant le 8 femmes de François Ozon que le bon vieux Cluedo.
Revendiquant une démarche “auteurisante", qui se traduit par des dialogues très écrits, Ali Borgini s'inscrit dans la tradition du “théâtre filmé" qui fut celle d'un Bresson afin de mieux servir sa version personnelle d'un Citizen Kane-sur-Sarthe, dans lequel une fratrie se déchire autour de l'héritage d'un vieillard cynique. Si les acteurs ne sont pas nécessairement tous en grande forme (certains débutent et cela se voit), l'émulation collective créée autour de Jean-Marie Mistral (vu dans Calzone, de Vincent Dos Reis, mais surtout connu pour son rôle de planton benêt dans la série Navarro) entraîne l'adhésion. Seule ombre au tableau : le film ne sort que dans une vingtaine de salles en France et, à ce jour, aucune sortie DVD ou diffusion télévisée n'est prévue.
Le Dernier week-end, d'Ali Borgini, avec Jean-Marie Mistral, Daniel Dublet, Hélène Arié, Jean-Mathieu Erny et al. Voir la bande annonce.
)]
Entretien avec Danièle Dingreville, de Pôle emploi-spectacle Alhambra
“Comment évaluer des comédiens autrement que sur leur métier ?"
Comment avez-vous entamé la démarche qui a abouti au Dernier week-end ?
Nous disposons d'un fichier référençant près de 6 000 comédiens, un fichier renouvelé chaque année du fait des nouveaux entrants. Ce fichier constitue un vivier pour les professionnels du cinéma, puisque la profession de comédien est intimement liée au statut de l'intermittence. À l'exception de ceux qui occupent le haut de l'affiche, un acteur demeure le plus souvent un intermittent à vie, en fonction de la fréquence de ses prestations. Lorsque nous avons eu l'idée de cette ÉMT, nous avons adopté la vision d'un directeur de casting, qui connaît les profils à rechercher et établit donc une présélection en fonction des personnages à interpréter, tels qu'Ali Borgini les avait écrits dans son pilote.
Les dispositifs d'ÉMT tels qu'ils existent au sein de Pôle emploi correspondaient-ils aux besoins spécifiques de cette expérience ?
Au-delà de l'aspect artistique de la démarche, Pôle emploi se plaçait dans une évaluation des compétences professionnelles de ces comédiens, que nous avons donc placés dans une situation courante liée à leur métier. Bien évidemment, Pôle emploi suit un certain nombre de règles concernant les ÉMT pour les demandeurs d'emploi, règles auxquelles nous nous sommes tenus. Ces contraintes expliquent les conditions de travail parfois un peu difficile du cinéaste puisque, par exemple, l'observation est réglementée pour 80 heures, étalées sur trois sessions. Ali Borgini a dû en tenir compte dans l'écriture de son pilote. De la même manière, le budget que nous étions susceptibles d'accorder à cette expérimentation devait demeurer dans les limites de Pôle emploi, en dépit du caractère très particulier de l'évaluation.
Cette expérimentation est-elle amenée à se pérenniser ?
C'est la première fois qu'une telle expérience était tentée, à cette échelle. Il a été difficile de la mettre en place, compte tenu de nos moyens réduits. L'intérêt de cette expérimentation était de mettre en commun le savoir-faire de comédiens disposant, parfois, de vingt ou trente années de métier avec celle de jeunes acteurs sortant tout juste de leur formation, et d'observer l'émulation qui peut se créer… et qui s'est créée. J'aimerais vraiment que d'autres projets similaires puissent être développés par Pôle emploi, ainsi qu'un rebond sur cette expérience afin qu'elle nous permette de mieux exploiter nos fichiers de Pôle emploi-spectacle qu'ils ne le sont actuellement.
Le projet du Dernier week-end n'était-il pas quelque peu pléthorique pour une vingtaine de demandeurs d'emploi ?
Comment évaluer des comédiens autrement que sur leur métier ? Des acteurs intermittents du spectacle sont des professionnels comme les autres : ils revendiquent leur profession avant tout !
Notes
1. | ↑ | Henri Langlois (1914-1977) fut l'un des pionniers de la conservation des films et l'un des fondateurs de la Cinémathèque française. |