Le numérique : un enjeu pour l'Université afin de toucher le public adulte
La formation tout au long de la vie amène, ou ramène, les salariés dans les amphis. Ils y arrivent de plus en plus souvent avec leurs outils numériques. Le récent colloque international de “l'Université de l'ère numérique" a permis d'en rappeler l'enjeu : valoriser – au sens pédagogique, si ce n'est économique – cette considérable réserve de savoirs que constitue l'Université.
Par Benjamin d'Alguerre - Le 01 mai 2012.
Après Paris en 2006, Bordeaux en 2008 et Strasbourg en 2010, Lyon était − du 16 au 18 avril derniers − la quatrième ville de France à accueillir la Conférence internationale de l'Université de l'ère numérique (CIUEN). “Cet événement attire de plus en plus de monde, à l'heure où plus personne ne s'interroge pour savoir si le numérique est un enjeu pour les Universités : ce point est acquis", nous a indiqué Lionel Collet, président de l'Université Claude-Bernard Lyon-I jusqu'en 2011, ancien président de la Conférence des présidents d'Université (CPU)1, président du comité scientifique et ardent promoteur du rôle de l'Université dans le développement de la formation tout au long de la vie.
La révolution du numérique a-t-elle donc gagné les amphis ? “C'est une révolution progressive", a tenu à préciser cet ancien ORL, qui a vu l'institution académique lyonnaise qu'il a présidée de 2006 à 2011 se mettre au diapason des nouvelles technologies de l'information et de la communication depuis une quinzaine d'années. “Mais cela ne fait en réalité que cinq ou six ans que la vraie bascule a eu lieu : depuis que le matériel portable est devenu financièrement accessible et, surtout, depuis qu'internet est consultable depuis les amphis." Une transformation progressive qui a vu le piédestal de “mandarin" dévolu à l'enseignant un peu plus vaciller. “Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir un élève pianoter pour vérifier le bien-fondé des assertions du professeur !" Mais, de préciser : “Cette modification du rapport au sachant est loin de n'avoir touché que le monde universitaire. Qui, aujourd'hui, ne consulte pas internet pour identifier une pathologie dont il souffre, voire trouver des renseignements sur son médecin traitant ?"
“L'Université n'est pas assez présente"
Pourtant, Lionel Collet aura été de ceux qui ont vu dans le numérique un moyen pour les facultés de toucher un public adulte. Ainsi, s'il a tenu à préciser que “l'Université n'a pas attendu la loi LRU 2 pour se consacrer à sa mission qu'est la formation tout au long de la vie, d'ailleurs inscrite dans le Code de l'éducation", il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, la vénérable institution ne représente que 8 % du marché de la formation professionnelle pour adultes. “Il est vrai que l'Université n'est pas assez présente dans le domaine de la formation tout au long de la vie", a précisé Lionel Collet, corrigeant toutefois : “Le chiffre d'affaires de la formation des adultes de Claude-Bernard Lyon-I représente près de huit millions d'euros, ce qui en fait le deuxième institut universitaire français en la matière, derrière Lille-I 3." De fait, son campus a été amené à développer deux cursus numériques uniquement dévolus à la formation continue, l'un en management informatique appliqué à la gestion des entreprises (Miage), l'autre dans le domaine du sport.
Cela suffit-il à concurrencer les grands opérateurs (publics comme privés) sur leur terrain ? “Le numérique n'est pas un terrain aisé à arpenter", a-t-il avoué. Du fait, notamment, du statut des enseignants-chercheurs, tenus à assurer un certain quota d'heures de cours présentiels sans recours au numérique, mais aussi à la faiblesse des budgets. “L'enseignement supérieur – hors recherche – est estimé à 12 milliards d'euros environ… Nous sommes loin des 31 milliards de la formation professionnelle !" Demeure cependant qu'à ses yeux, le numérique est destiné à accroître le potentiel universitaire en matière de formation des adultes. “Dans le cadre de la formation tout au long de la vie, de plus en plus de salariés ou de demandeurs d'emploi sont amenés à revenir sur les bancs de la fac. C'est là que les NTIC entrent en jeu, afin de toucher des publics à distance."
Réévaluer la “production pédagogique"
Face à ce défi, l'enjeu, pour l'Université, consiste bien à inventer les nouvelles fonctions pédagogiques à déployer. Et l'ancien président de la CPU a quelques idées sur les pistes à explorer. “Une réforme de la loi LRU pourrait aider l'Université, a-t-il indiqué. Aujourd'hui, selon les textes, le président d'une Université préside le conseil d'administration de son établissement, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire (Cévu) qui s'occupe, notamment, des questions de formation continue. Or, il ne peut voter qu'aux deux premiers. La loi LRU a introduit une hiérarchie dans les conseils universitaires : c'était un symbole."
Autre voie à explorer : une modification du rapport des enseignants à la recherche en tant que critère d'évaluation et de promotion. “Les articles ou ouvrages qu'un enseignant est susceptible de produire ne rentrent pas dans le cadre de la démarche scientifique de la recherche. Il en va de même des laboratoires qui voient leurs crédits accordés en fonction de leur production scientifique et non pédagogique, ce qui aboutit à un déséquilibre du système." Et de plaider pour une réévaluation de la production pédagogique au cœur du système académique, notamment auprès d'un ministère de l'Enseignement supérieur qui, au-delà de l'habilitation des diplômes, pourrait se pencher sur les qualités des titres délivrés par l'Université, notamment en termes d'employabilité des étudiants une fois leur “peau d'âne" en main.
Employabilité ? L'Université serait-elle prête à laisser l'entreprise pénétrer au sein du sanctuaire estudiantin ? “Oh ! L'expression exacte utilisée était plutôt « vendre son âme »", a plaisanté l'ancien président de Claude-Bernard Lyon-I. “Mais cette question de l'employabilité, les étudiants se la posent. Leurs parents se la posent. Et tout en conservant intacte la nature de l'enseignement universitaire – où les esprits étudiants sont plus autonomes et moins formatés que dans les écoles – tendre vers la professionnalisation des diplômes constitue un objectif." Un objectif que Lyon-I a d'ailleurs atteint, puisque cette Université propose près de 72 % de diplômes professionnalisants à ses 35 000 étudiants.
Bref, l'Université : “Une grande oubliée avec laquelle il faudra compter", a prévenu Lionel Collet, pour qui “plusieurs professions vont exiger une formation professionnelle tout au long de la vie afin d'améliorer ou de remettre à jour les connaissances et les pratiques nécessaires à leur exercice… L'Université doit prendre toute sa place dans cette évolution".
1.www.cpu.fr
2. Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des Universités (dite aussi loi Pécresse).
3. Évalué à dix millions d'euros.
www.ciuen2012.org