Les heures-fantômes hantent toujours les relations entre organismes de formation, Opca et entreprises

Par - Le 01 juin 2012.

C'est entendu : l'émargement des stagiaires en vue d'attester de leur présence effective lors d'une session de formation fait partie des obligations légales dont les organismes de formation sont tenus de s'acquitter, au même titre que de la présentation annuelle de leur bilan pédagogique et financier. Et, en cas de manquements, le couperet tombe. Non seulement l'OF fautif peut se voir retirer de la liste officielle des organismes de formation − Listeof.travail.gouv.fr −, mais aussi être tenu de rembourser aux Opca ou aux entreprises les sommes perçues indûment. Dura lex, sed lex, d'autant que les pratiques veulent que les attestations de présence des stagiaires et des formateurs soient paraphées par les intéressés à chaque demie journée passée dans un cycle d'apprentissage.
Pour autant, ces “heures fantômes" − correspondant à des heures de formation facturées mais non effectuées − ont-elles cessé d'exister ? “Non", répond clairement Pascal Ducrotte, délégué à la Direction audit et contrôle de l'Opca Transports. “Un certain nombre de centres de formation, encore actuellement, font signer les attestations de présence à la journée, voire à la semaine. Or, il se peut que des soi-
disant stagiaires soient amenés à signer a posteriori de faux certificats attestant de leur présence à des formations auxquelles ils n'ont jamais assisté !

Et qui paie ces heures inexistantes ? Les Opca !" Le sien, par exemple, a recensé pas moins de douze formations frauduleuses dans les cinq premiers mois de cette année. Quel recours pour les organismes collecteurs ? “Dans les cas présents, Opca Transports peut se porter partie civile pour faux et usage de faux et réclamer le remboursement des sommes versées, voire – mais c'est plus rare – une condamnation au pénal des fraudeurs." Douze cas recensés en 2012, certes, mais qui, aux yeux de ce responsable des audits et des contrôles, demeurent tout de même marginaux, la grande masse des dérives ayant tendance à se situer dans l'inexécution partielle de formations pourtant entièrement financées. “Les Opca sont des organismes régulièrement contrôlés par les services de l'État, a ajouté Pascal Ducrotte, et s'il s'avère qu'un Opca a financé une formation partiellement effectuée, c'est lui qui devra rendre des comptes au Trésor public".

Facturation à la prestation ou à l'heure ?

Responsable des services généraux et de la qualité au sein de RH Formation, Sylvaine Berruelle a jugé “sévère" le modèle de contrôle des Opca sur les OF. “Pourquoi ne pas baser les barèmes sur la prestation de formation plutôt que sur les heures ? L'absence de stagiaires dépend souvent d'aléas sur lesquels les organismes de formation n'ont aucun contrôle." Un avis partagé par Isabelle Boyer-Chammard, déléguée interrégionale d'Uniformation, l'Opca de l'économie sociale, qui préférerait substituer des “facturations de groupe" aux “heures-stagiaire". “Une solution qui permettrait aux Opca de mieux maîtriser les groupes qu'ils envoient en formation au sein des OF", a-t-elle indiqué. suite p. 25 s
suite de la p. 24 s Sylvaine Berruelle, elle, souhaiterait que les effets de la formation soient pris en compte davantage que les heures-stagiaire, afin d'éviter certains effets kafkaïens liés au décompte précis du temps de formation. “Il existe certaines formations de type BTS, étendues sur deux ans, où même les temps de pause entre cours sont décomptés de la facture finale !, s'est-elle indignée. Croit-on que les stagiaires passent sept heures par jour assis sur leurs chaises à écouter le formateur ? Et je ne parle même pas des arrêts-maladie, eux aussi souvent non pris en charge par les Opca. En quoi ce type d'interruption de formation peut-elle être imputée à l'OF ?"
“Déduire les heures de pause des factures que les OF présentent aux Opca me paraît tout de même extrême", a observé Pascal Ducrotte, qui n'en a pas moins jugé “hors de question de payer les heures non réalisées". Il est vrai qu'Opca Transports est l'un des deux seuls Opca (avec le Fab-Sab, aujourd'hui intégré à Constructys, l'Opca de la construction) à avoir anticipé la réforme en mettant en place dès 2009 une direction de l'audit et du contrôle. “Nous avons deux types de retours sur les formations fantômes : les enquêtes aléatoires que nous menons auprès des stagiaires et les retours qui nous viennent des entreprises se plaignant que les formations financées n'aient pas été assurées." L'Opca Transports est-il favorable aux “tarifs de groupe" suggérés par Uniformation ? “Certainement pas. Nous sommes au contraire favorables à l'individualisation des personnes." Finalement, c'est Sedalom Folly, chargée de mission au sein d'Unifaf, l'Opca de l'économie sociale et médico-sociale à but non lucratif, qui résume le mieux la question qui se pose aux organismes collecteurs : “Les Opca doivent-ils assumer financièrement l'intégralité des coûts pédagogiques d'une session de formation ?"

La convention avant la loi

Question à laquelle répond Jean-Philippe Cépède, directeur de l'observatoire et du juridique à Centre Inffo : “Les stagiaires fantômes existent depuis qu'existe la formation professionnelle continue !" Selon lui, la question de l'assiduité des stagiaires demeure liée aux conventions davantage qu'à la loi. “La négociation crée le rapport de force entre acheteurs et prestataires. Ce qui est convenu dans les conventions s'applique, d'où l'importance de clarifier les termes de la négociation dès le départ." Pour ce professionnel du droit de la formation, les solutions de terrain doivent compenser les manques de la loi. “Souvent, ce sont les organismes de formation qui trinquent, alors que ce devrait être les entreprises, qui sont mises à l'abri par la présence des Opca", estime-t-il. Selon lui, la meilleure solution repose sur les conventions tripartites entre entreprises, Opca et organismes de formation, susceptibles de clarifier les conditions d'intervention de tous les acteurs. Un sujet qui, d'après Jean-Philippe Cépède, devrait être pris en main par les partenaires sociaux. “Leur analyse politique devrait être à même de les faire intervenir sur le sujet du prix de la formation sur lequel ils se sont encore peu penchés."