Colloque international de didactique professionnelle : apprentissages et développement professionnel
“Il est important de distinguer les situations d'apprentissage des situations de développement", a expliqué Pierre Pastré, professeur émérite du Cnam et président d'honneur de l'association RPDP, en ouverture du 2e Colloque international de didactique professionnelle, qui s'est tenu à Nantes les 7 et 8 juin derniers. Explications.
Par Nicolas Deguerry - Le 17 juin 2012.
“Les apprentissages portent toujours sur un objet et aboutissent à des savoirs ou à des savoir-faire, le développement se réfère à un sujet et vise la capacité à accroître sa capacité d'analyse, de synthèse, de problématisation", a-t-il défini.
Conséquence : les formations professionnelles doivent se préoccuper de développement, de façon à ce que “le sujet prenne de la hauteur par rapport à l'objet d'apprentissage". Bonne nouvelle, l'objectif est parfaitement atteignable dans le cadre du travail, pour peu que l'on valorise les “situations-problèmes". Parce que “les acteurs peuvent ainsi s'appuyer sur leur expérience tout en étant obligés de la reconfigurer pour traiter les problèmes courants".
Si le travail est formateur, l'ingénierie de formation n'en demeure pas moins essentielle, car “l'apprentissage par immersion en dehors d'un dispositif curriculaire de formation possède trois limites", a assuré Pierre Pastré : d'abord, les conséquences du “droit à l'erreur" peuvent se révéler catastrophiques ; ensuite, les situations-problèmes comportent une dimension par trop aléatoire ; enfin, “l'entrée progressive dans la difficulté" n'est pas toujours possible. Dans ces conditions, la démarche d'ingénierie consistera à “partir de situations professionnelles qui comportent un vrai problème et à les transposer en situations d'apprentissage". Ceci, sans négliger les “trois propriétés du travail d'ingénierie" : premièrement, “l'interactivité, [par laquelle] les acteurs peuvent prendre conscience des effets de leur action" ; deuxièmement, “la fidélité à la situation de référence, qui suppose une analyse du travail" ; troisièmement, une “problématicité" véritable, au motif que “les situations intéressantes sont celles qui comportent un vrai problème".
Recherches et pratiques en didactique professionnelle.
Construction de formations modulaires aux compétences-clés
Intervenant au colloque, la formatrice-consultante Isabelle Danet a expliqué comment elle et ses confrères du Cafoc de Nantes [ 1 ]Stéphane Vince et Yann Parc, au Centre académique de formation continue aidaient les organismes de formation à mieux répondre aux besoins en compétences-clés. Éléments déclencheurs de cette action, des commandes d'Opca, intervenues dans le contexte d'un appel à projets du FPSPP.
Une mission qui visait à la fois à construire des outils permettant de repérer les besoins salariés exerçant un emploi peu qualifié, à élaborer un dispositif adéquat et à adresser des préconisations aux futurs prestataires. Détaillant les étapes du projet, Isabelle Danet a présenté six étapes. Avec d'abord, le repérage des évolutions de chaque métier, en se rapprochant des CPNEFP [ 2 ]Commissions paritaires nationales emploi-formation professionnelle. et en intégrant les référentiels concernés. Ensuite, l'identification, en lien avec les entreprises, des activités professionnelles à observer pour la
réalisation du référentiel “Compétences clés". La troisième étape consistant à observer les salariés en situation. Après une quatrième constituée d'entretiens avec ces derniers, pour “expliciter les moments de mobilisation des compétences-clés", suivent enfin deux phases de rédaction : l'une destinée à produire le “référentiel des compétences-clés en situation de travail", l'autre visant à “élaborer une architecture modulaire de formation", qui sera proposée aux Opca.
Pourquoi s'éloigner de l'approche par compétences techniques ? “Cela permet aux entreprises de faire évoluer leurs représentations et leurs pratiques, quitte à oublier pour un temps les référentiels métiers", a répondu Isabelle Danet. De même pour les salariés, qui “se sentent valorisés dans toutes leurs dimensions d'acteurs sachant « tirer leur épingle du jeu » complexe des situations professionnelles". Dernière catégorie d'acteurs concernés, les organismes de formation, qui, “dès lors que l'on s'intéresse aux situations de travail, ont pour double mission d'accompagner le développement personnel et les apprentissages en lien avec les compétences-clés".
Du bon usage du référentiel pour organiser la profession de coach
“Qu'est-ce qu'un coach ? Qui est coach ?" Simple en apparence, la question laisse pourtant perplexe les acteurs eux-mêmes du coaching, estime Valérie Guillemot, formatrice et doctorante en sciences de l'éducation. Présentant les résultats provisoires d'une recherche en cours sur la place du référentiel de formation dans l'organisation de la profession, elle a montré que, face à une multiplicité de définitions parfois contradictoires, la profession gagnerait en clarté en s'appuyant sur la notion de référentiel de formation.
Problème, si des référentiels existent déjà, ils sont non seulement dispersés à travers des organisations plus ou moins concurrentes, mais aussi et surtout, relativement ignorés des premiers concernés.
Au stade actuel de l'étude, Valérie Guillemot perçoit deux types d'usage. D'un côté, le référentiel pris “tel quel", utilisé “pour contrôler sa conformité à des normes, pour certifier des compétences, pour corriger des écarts le cas échéant" ; de l'autre, le référentiel “en débat", envisagé comme “instrument de connaissance, pour se comprendre soi-même en tant que praticien, pour travailler le pouvoir d'agir et, au final, pour se professionnaliser".
Resterait à répondre à une interrogation qui sort du contexte de l'étude : très souvent fortement attachés à des courants spécifiques et ne se retrouvant pas dans les pratiques des confrères, les coachs ont-ils vraiment envie d'unité ?
Comment devient-on ingénieur ?
“Comment êtes-vous sûrs que les ingénieurs que vous formez ont bien les compétences que vous déclarez dans votre référentiel ?", telle est la question à l'origine d'un programme de recherche lancé en 2006 par le Cési. Il s'agissait, a expliqué le directeur de recherches Bernard Blandin, lors du colloque international de didactique, de répondre aux questions suivantes : “Quelles sont les compétences développées à l'issue de leur formation par les élèves ingénieurs dans la filière généraliste par apprentissage ? Sont-elles bien décrites dans le référentiel de la formation ? Et comment se développent-elles ?"
Premier point à souligner dans les résultats, “la mise en évidence de l'importance de la dimension identitaire dans le développement des compétences", véritable “pivot" des trois dimensions de la compétence (cognitive au niveau individuel, identitaire au niveau collectif et institutionnelle au niveau de l'organisation). Avec la mise en évidence que “la formation, ce n'est pas seulement du développement et de l'apprentissage, mais aussi une trajectoire identitaire, qui fait évoluer les apprentis d'une identité professionnelle de technicien à celle d'ingénieur". Résultat plus inattendu, une composante de la compétence qui ne se trouvait pas dans le référentiel est pourtant apparue comme centrale dans le processus de développement : “L'agir en tant qu'ingénieur dans l'organisation."
Décrivant les invariants d'un processus parfaitement structuré, Bernard Blandin a énuméré trois étapes. D'abord et durant les six premiers mois, celle de l'insertion dans l'entreprise, pour “commencer à acquérir la grammaire et le langage de l'action". Modeste au départ, cette “activité" évolue progressivement et suffisamment pour les faire “changer de statut", d'apprenti à “collègue". Suivent les “premières tâches en autonomie" et un début de “maîtrise d'éléments d'activité de l'ingénieur". La progression s'observe aussi alors par “l'initiation aux instruments professionnels et, surtout, par l'entrée dans un processus de sélection de ressources cognitives". Troisième étape, qui intervient en général “à la fin de la deuxième année et dans le contexte du stage à l'étranger", la “prise de responsabilités sur des mini-projets" qui les rend “presque ingénieurs". Enfin, “toutes les dimensions de la compétence" sont mises en œuvre lors de la troisième année, qui comprend des alternances longues. Même s'ils ne sont pas encore diplômés, ils commencent alors à être considérés comme des ingénieurs dans certaines entreprises. Signe révélateur souligné par Bernard Blandin, c'est aussi généralement à cette étape qu'ils deviennent des “pairs" pour leur tuteur.
Le bilan de compétences au service de la transmission
Généralement mobilisé à des fins d'évolution ou de reconversion individuelle, le bilan de compétences est pourtant aussi un outil de gestion collectif qui peut tout à fait être utilisé en entreprise pour accompagner les problématiques de renouvellement des compétences. Exemple avec un projet européen Leonardo, conduit en Italie et présenté lors du colloque. Objet de l'expérimentation : insérer le bilan de compétences dans une démarche d'analyse des situations de travail en vue de l'identification et du développement des compétences dans une entreprise auprès d'un travailleur senior et d'un travailleur junior.
“Il s'agissait d'aider une petite entreprise de fabrication de chaussures dans ses process de transmission de compétences", a expliqué Mariachiara Pacquola, consultante au Politecnico Calazaturiero, un centre de formation du secteur. Ce qui aurait a priori pu s'effectuer dans le cadre plus classique d'un tutorat ne fonctionnait pas, en raison d'un double blocage : d'une part, “les seniors n'étaient pas disposés à transférer leurs compétences", en raison notamment d'un sentiment “d'exploitation et de déprivation", d'autre part, “les juniors n'étaient pas disposés à accepter un transfert de la part des seniors", essentiellement du fait “de problèmes intergénérationnels et d'une perception fausse de la compétence".
Objectif du bilan : expliciter et formaliser les compétences, développer une meilleure connaissance de soi et aider à l'orientation par l'inscription dans un projet professionnel. Principal enjeu pour des seniors : développer la capacité de “valorisation de soi." Et pour les juniors : s'inscrire dans une démarche d'évaluation qui permette une “meilleure connaissance de soi", forces et faiblesses inclues. Les résultats ? Plutôt positifs pour le senior concerné par l'expérimentation, avec une véritable progression en termes de prise de responsabilités et de valorisation de compétences. Plus compliqués en revanche pour le junior, Mariachiara Pacquola expliquant un changement de projet professionnel suite à une “analyse clinique de son travail" ayant révélé l'échec de sa stratégie.
Notes
1. | ↑ | Stéphane Vince et Yann Parc, au Centre académique de formation continue |
2. | ↑ | Commissions paritaires nationales emploi-formation professionnelle |