Pôle emploi et l'Université, bientôt signataires d'une charte sur l'offre de formation continue ?

Par - Le 01 juillet 2012.

Constituer des partenariats territoriaux “gagnants-gagnants" entre le Service public de l'emploi et l'enseignement supérieur, à travers une charte nationale liant ces deux parties. Ce projet était au cœur des échanges, lors des 39es rencontres de la Conférence des directeurs de Service de formation continue universitaire (CDSUFC), le 28 juin à Dijon.

L'idée est d'associer Pôle emploi à l'Université afin de permettre aux demandeurs d'emploi de s'informer et de s'orienter vers l'offre de formation continue dispensée dans les amphis. Elle était déjà dans toutes les têtes en novembre à Lille, à l'occasion de la Conférence des présidents d'Universités (CPU). Et c'est précisément cette idée qui a présidé à la constitution nombreux partenariats territoriaux entre les Services de formation continue et Pôle emploi, dans les départements, régions et métropoles. Afin de disposer d'une vision globale des pratiques développées entre ces entités, la CPU a lancé en janvier une consultation des Services universitaires de formation continue (SUFC). Enquête dont les résultats ont été communiqués à Dijon.

Des initiatives jusqu'ici informelles

Si la participation à cette consultation s'est révélée loin d'être massive (seuls dix-neuf Services y ont répondu), les résultats obtenus n'en sont pas moins significatifs de l'extrême diversité des problématiques existantes en fonction des territoires et des académies. “La géométrie variable semble être le maître mot, tant les situations observées sont diverses", a résumé David Bourne, de la direction de l'orientation de Pôle emploi. Demeurent, cependant, deux tendances majeures : dans 70 % des cas, les partenariats établis entre Universités et Pôle emploi relèvent encore de l'informel, et ces partenariats ont tendance à délaisser les échelons locaux et départementaux pour s'inscrire dans une dimension régionale.
Une dimension qui peut imposer ses problématiques en fonction des réalités territoriales. Si la coopération entre Pôle emploi et l'Université se révèle harmonieuse à La Réunion, au vu de la taille de l'île, le partenariat établi en Île-de-France a pâti de la densité géographique et administrative qui caractérise la région capitale. Pas moins de cent agences Pôle emploi ont été démarchées par les Services universitaires afin d'inviter leurs agents à une réunion d'information sur la VAE. En dépit d'un retour révélant que 77 % des conseillers Pôle emploi interrogés estimaient l'initiative louable, seuls dix-sept d'entre eux se sont effectivement déplacés le jour de cette réunion informative… Une situation qui n'a rien d'étonnante, pour David Bourne : “Au vu du portefeuille de demandeurs d'emploi qu'ils doivent quotidiennement gérer, il est effectivement difficile aux conseillers de se rendre disponibles". Lui-même s'est d'ailleurs avoué méfiant face à ce genre d'initiatives. “L'intention est bonne, mais la multiplication de ces opérations risque de noyer les agents de Pôle emploi sous la documentation issue de chaque Université, alors que l'outil informatique Ofaa [ 1 ]Pour “Offre de formation ANPE-Assedic", la base ayant été fondée avant la fusion. , qu'ils sont susceptible d'alimenter, leur permet de disposer d'une vision globale sur l'offre de formation conventionnée existante."

Étudiant ou stagiaire de la formation continue ?

Se pose aussi la question de la mobilité des agents de Pôle emploi et de leur polyvalence au sein des agences, ce qui peut nuire à la construction d'une relation solide entre eux et l'Université. Celle de Lorraine, par exemple, a réussi, dans le département de la Moselle, à tisser un partenariat avec l'échelle départementale de Pôle emploi tel qu'un référent-formation permanent a été nommé au sein de l'ex-ANPE, pour servir d'interlocuteur aux Services académiques, comme l'a rappelé Stéphane Creusot, sous-directeur à la formation tout au long de la vie au sein du Service FC de cette Université. Une collaboration qui se traduit “par une distinction de plus en plus croissante entre adultes venus au titre de la formation continue et étudiants en formation initiale". Avec, pour effet, notamment, de voir les premiers se faire délivrer non une carte d'étudiant, mais de stagiaire de la formation professionnelle continue, ce qui leur évite, le cas échéant, de se voir rayer des listes de Pôle emploi.
Mais beaucoup d'Universités continuent encore à considérer les adultes revenu user leurs fonds de pantalons sur les bancs des amphis comme des “étudiants", et à leur remettre la carte idoine, causant parfois des situations ubuesques, puisqu'à Strasbourg, par exemple, certains agents de Pôle emploi encouragent les demandeurs d'emploi faisant le choix de retourner à la fac d'“oublier" de leur signaler leur nouveau statut, sous peine de devoir eux-mêmes les radier…

Développer le réseau partenarial
“Les règlements administratifs, tant universitaires que relevant du Service public de l'emploi, peuvent effectivement constituer des freins à un partenariat étendu entre nos deux structures", a admis Stéphane Creusot, évoquant notamment les règles en matières d'appels d'offres, inadaptés aux établissements universitaires ou l'absence de suivi réel des partenariats noués dans certaines régions du fait de la difficulté de trouver le bon interlocuteur. “Beaucoup d'agences Pôle emploi refusent de nous donner les lignes directes de leurs conseillers, nous empêchant de nouer des contacts privilégiés", a-t-on fait observer du côté de l'Université de Franche-Comté. Sébastien Creusot l'a d'ailleurs reconnu : “Trop souvent, encore, la seule interface entre Pôle emploi et l'Université reste le demandeur d'emploi lui-même."

La situation serait-elle bloquée ? “Non", a affirmé le représentant de l'Université de Lorraine. “Les expériences positives nous prouvent l'importance du développement d'un partenariat national consacré à la formation continue." À condition, toutefois, a-t-il reconnu, que l'Université consente à adopter un vocabulaire que Pôle emploi, mais surtout les entreprises recruteuses, puissent comprendre. “Faire le lien entre les diplômes délivrés et les codes Rome, voilà l'enjeu", a expliqué David Bourne.

Un enjeu que le projet européen Esco (European skills, competencies and occupations taxonomy), qui vise à créer une base de données en vingt-sept langues, selon une nomenclature des compétences européennes unique à l'horizon 2014, pourrait bien aider à atteindre. D'autant que Pôle emploi a beaucoup à gagner à cette association, “notamment en termes d'identification et de suivi du parcours des diplômés de l'Université et, surtout, des décrocheurs", a rappelé David Bourne.

Alors, non, les questions qui se posaient à Lille l'an passé ne sont pas encore résolues, a-t-on admis du côté de la CPU. N'empêche : “Cette enquête nous fournit une base de réflexion afin de les traduire en actions", a estimé Sébastien Creusot. Dans cette optique, la prochaine réunion du groupe de travail, le 4 septembre prochain − avec, outre Pôle emploi et la CPU, réunira des partenaires comme la DGesip [ 2 ]Direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle., la CNCP [ 3 ]Commission nationale de la certification professionnelle. ou la DGEFP − pourrait se révéler décisive pour la suite des événements et des relations tissées entre Service public de l'emploi et Service universitaire de formation continue. La fameuse charte sera-t-elle signée à l'occasion ? Certains l'espèrent.

Des partenariats bipartites... à trois ?

S'il appartient à Pôle emploi de gérer les dossiers des demandeurs d'emploi, les compétences des Conseils régionaux en direction des publics les plus fragilisés ont été étendues. Et certains d'entre eux, particulièrement actifs en la matière (Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, etc.), mènent en parallèle une politique volontariste et globale à l'attention des demandeurs d'emploi sans tenir compte de leurs spécificités. “Tant mieux pour les demandeurs d'emploi, bien sûr, mais, dans les faits, les partenariats Pôle emploi-CPU établis sont souvent, en réalité, tripartites, puisque la Région s'y associe", a indiqué Stéphane Creusot.
Il n'empêche que dans le cadre d'une compétence étendue des Régions se pose clairement la question du champ d'intervention de celles-ci. “Le problème, c'est qu'il existe autant de modèles partenariaux que de Conseils régionaux", a, pour sa part, observé David Bourne. Et si personne, à Pôle emploi ou dans les Universités, ne remet en question la participation de l'échelon régional aux décisions concernant la formation des demandeurs d'emploi, beaucoup s'interrogent sur les compétences que les Régions pourront obtenir de l'“acte III de la décentralisation".

Ces deux mondes qui ne se parlent pas

Dernier colloque pour Jean-Marie Filloque. Du moins, en qualité de président de la CDSUFC, puisqu'à l'occasion des 39es rencontres à Dijon, le 28 juin, il a annoncé qu'il ne concourrait pas à sa propre succession.

Quarante ans se sont donc écoulés depuis que la loi de 1971 a missionné l'Université pour constituer un élément indispensable de la formation continue. Pourtant, cette mission, au confluent entre les ministères de l'Emploi et de l'Éducation nationale, reste toujours dans le giron du premier alors qu'elle devrait relever d'une politique commune. “Ces deux mondes ne se parlent pas", a confirmé Jean-Marie Filloque. Pour preuve, les récentes réticences exprimées à l'idée que Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur, participe à la conférence sociale des 9 et 10 juillet prochains. Elle y participera finalement, mais le président de la CDSUFC ne croit pas que le nouveau gouvernement contribuera à changer significativement cette double tutelle. À laquelle s'ajoutent aujourd'hui les Conseils régionaux. Qui d'ailleurs “constituent une zone commune et peuvent constituer une interface entre ces deux univers", a estimé celui qui est aussi vice-président l'Université de Bretagne Occidentale.
Reste qu'aucune mention de formation continue n'existe dans la loi “LRU" (libertés et responsabilités des Universités) et que l'évaluation des établissements ne prend en compte que la formation initiale, malgré quelques opportunités apportées par la loi de modernisation sociale de 2002, instaurant la VAE et le répertoire national de la certification professionnelle (RNCP), deux “brèches" par lesquelles l'Université peut s'engouffrer sur le marché de la formation continue. Le marché, précisément. Un mot que Jean-Marie Filloque n'a pas hésité à utiliser, pas plus qu'il n'a hésité à rappeler que “oui, l'Université ne doit pas avoir peur d'essayer de gagner de l'argent grâce à la formation des adultes".

Aujourd'hui, 21 % des recettes universitaires liées à la formation continue proviennent de particuliers, alors que les organismes privés ou l'Afpa reçoivent des publics gérés par le service public de l'emploi, les Opca ou les entreprises. Question, avant tout, d'une image négative des facs, perçues comme “usines à produire des décrocheurs", y compris par la classe politique. “Il suffit d'observer l'engouement pour les écoles supérieures et les classes préparatoires." Comment persuader des parents qui envoient leurs enfants en prépa de revenir eux-mêmes se former dans les amphis ? Si l'Université a ses faiblesses, elle garde de forts atouts : qualité des enseignants, garantie de ses financements, visibilité nationale et même internationale de ses diplômes LMD, excellence de sa répartition territoriale et proximité avec le milieu de la recherche.
Pour Jean-Marie Filloque, une incitation à se former tout au long de la vie pourrait venir du législateur, mais aussi des branches et ordres professionnels. “Les médecins ont l'obligation de suivre régulièrement des enseignements dans le but de développer leurs compétences. Pourquoi d'autres métiers ne pourraient-ils pas s'aligner sur ce modèle ?" Une piste suggérée à son futur successeur...

Notes   [ + ]

1. Pour “Offre de formation ANPE-Assedic", la base ayant été fondée avant la fusion.
2. Direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle.
3. Commission nationale de la certification professionnelle