Entretien avec Didier Hirtzig, directeur de l'usine Poult de Montauban

Par - Le 01 octobre 2011.

Sur quoi repose votre nouveau mode d'organisation ?

La nouvelle organisation de notre usine de Montauban a bouleversé les habitudes des salariés tout en développant leurs compétences professionnelles. Le modèle organisationnel précédent reposait sur un schéma hiérarchique classique et, dans ce cadre, l'usine n'atteignait pas une pleine productivité. Nous avons alors considéré qu'il fallait faire confiance aux opérateurs de production et leur donner plus d'autonomie. Une réflexion a été menée pendant six mois avec tous les collaborateurs, dans la mesure où la plupart d'entre eux occupaient des postes d'exécutant.

Il a fallu accompagner ce changement, qui n'a prévu aucun licenciement, mais seulement la suppression de niveaux hiérarchiques. Par exemple, si un opérateur était confronté à un problème de biscuits trop cuits, il devait faire appel à un agent du contrôle qualité. Aujourd'hui, ce contrôle est aux mains des opérateurs eux-mêmes. Ce qui a nécessité un transfert des compétences techniques des chefs d'équipes (conduite de four, etc.) vers les opérateurs. Ce transfert a été réalisé par un apprentissage dans l'action, autrement dit par un accompagnement des opérateurs sur le terrain. Il s'est ensuite poursuivi par un accompagnement hors production par des salariés de la fonction support (marketing, RH, etc.). Des responsables RH ont ainsi formé des collaborateurs à la gestion de leur temps de présence, ou de leurs congés, par le biais de logiciels d'application. Nous nous situons à la fois sur des formations techniques et des formations au “savoir être" (prise de décision par une équipe, dialogue, prise de parole en groupe, etc.).

Les opérateurs formés étaient volontaires pour exercer d'autres missions que celles inhérentes à leur métier. Ce sont aujourd'hui des opérateurs “poly-compétents", avec des compétences RH, planning de production, maintenance, process, qualité, etc. Bien entendu, le temps de formation en doublon a été plus ou moins long en fonction du type de compétences à transmettre. Autonomes et responsables, les équipes de production ont toujours la possibilité de recourir aux services supports pour régler un problème non rencontré jusqu'à présent.

Combien de collaborateurs ont accepté de devenir “poly-compétents" ?

Notre usine compte 260 opérateurs de production parmi lesquels 80 ont accepté de remplir d'autres fonctions et devenir poly-compétents. Ils constituent ce que nous avons appelé des “opérateurs à compétences" (Opac).

Pour une équipe de 15 salariés, qui travaillent de 5h à 13h par exemple, 4 opérateurs réalisent des missions différentes de leurs collègues en raison des compétences acquises dans l'un des 5 domaines suivants : maintenance, qualité, animation de l'équipe (RH), planning de production, et four de cuisson. Dans chaque équipe, si un opérateur souhaite acquérir des compétences, il est formé directement à son poste de travail. Sa formation est validée au bout d'un ou deux mois. S'il exprime des besoins sur le plan professionnel, les services support peuvent venir l'épauler après coup, avec un complément de formation.

Outre les 12 000 heures de formation en doublon, au démarrage du projet, des formations en communication ont été programmées à destination des équipes. L'objectif étant de les amener à travailler ensemble. Ces formations, non prévues au départ, ont été animées par des prestataires externes en salle, et elles sont toujours au programme.

Par ailleurs, les anciens chefs d'équipes sont devenus des “techniciens de progrès". Leur mission consiste à améliorer le fonctionnement des lignes de production aujourd'hui et demain. Il existe aussi des animateurs de lignes dont la mission est liée à notre activité, scindée en trois unités de production (goût et fourrés, tartelettes, barquettes et nappés chocolat). Ces animateurs, au nombre de trois (un par unité), supervisent le bon déroulement de la production.

Au départ du projet, nous avons travaillé avec tous nos services pour déterminer quelles étaient les compétences à transférer. À partir de là, des fiches de compétences ont été établies par nos soins.

La formation est toujours d'actualité et nous allons mettre en place en 2012 la “Poult Académie". Celle-ci a pour vocation d'être un lieu de partage des compétences et d'échanges au sujet des besoins en formation. Par exemple, les collaborateurs volontaires pourront discuter du management de projet et des compétences à mettre en œuvre pour le mener. Cela dans la perspective d'éviter de ne tirer d'une formation externe en management de projet que 10 à 20 % de notre investissement.

[(Adhésion “sans faille" des salariés

Côté syndical, le premier grand changement, chez Poult, s'est traduit par la disparition des postes de chefs de ligne. Représentant syndical FO au sein de l'entreprise de Montauban, Youcef Zamouche souligne : “L'annonce faite aux salariés de ce changement organisationnel a été difficile à accepter dans un premier temps, car personne ne connaissait le modèle proposé. Puis, peu à peu, les mentalités ont changé, d'autant plus que les salariés sont devenus de plus en plus responsables de leurs tâches. À la peur du début, celle de la mise en œuvre d'un plan social, s'est substituée la confiance, et aujourd'hui, personne ne se plaint de la nouvelle organisation."

Le vent du changement a soufflé en 2007 lorsque les collaborateurs du site de Montauban ont été réunis pendant une journée afin de recueillir leurs idées et leurs attentes en termes d'organisation. “C'était surprenant, mais nous avons participé à toutes les étapes du projet. Des groupes de travail ont été constitués et des décisions ont été prises en commun, avec la direction, au sujet de l'amélioration des postes de travail, les conditions de travail, la communication entre les équipes. L'objectif est d'avancer ensemble et à ce titre, la direction demande toujours aux partenaires sociaux et aux salariés leurs avis. Personne n'était obligé d'accepter ce projet ou d'y adhérer. D'ailleurs pour des raisons de convenance, seuls 15 salariés ont quitté, sur une période d'un an, l'entreprise", indique Youcef Zamouche.
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