Des dispositifs de formation des enseignants dès la rentrée 2012 ?
Par Benjamin d'Alguerre - Le 17 juin 2012.
le 5 juin dernier, en “retoquant" la réforme Darcos-Chatel de 2010 sur la mastérisation pour vice de procédure [ 1 ]Luc Chatel a signé seul les arrêtés du 12 mai 2012, alors que le paraphe de Valérie Pécresse aurait dû y figurer. , le Conseil d'État a placé le nouveau ministre de l'Éducation nationale au pied du mur.
Abandonner la “mastérisation" (voir encadré) et revenir à une politique de formation pour les enseignants dispensée au sein d'“écoles supérieures du professorat et de l'éducation", Vincent Peillon l'avait promis lorsqu'il occupait le poste de conseiller en charge des questions d'éducation durant la campagne de François Hollande. Et George Pau-Langevin, devenue sa ministre déléguée à la Réussite éducative, l'avait également annoncé.
Le 1er juin, à Orléans, à l'occasion de la cinquième édition du
Forum des enseignants innovants et de l'innovation éducative, Vincent Peillon avait estimé qu'“il serait nécessaire de former l'ensemble des enseignants des différents corps dans les futures écoles de formation" qu'il se proposait de mettre en œuvre en 2013. Des “écoles supérieures du professorat et de l'éducation", donc, susceptibles de “redonner une véritable formation aux enseignants". La décision prise, quatre jours plus tard, par le Conseil d'État, a ramené le sujet de la formation des futurs enseignants aux décisions en date de 2006, prévoyant que ceux-ci suivent un enseignement articulé autour de huit heures de cours pour dix heures consacrées à assurer la classe [ 2 ]Contre 18 heures (soit un temps plein) comme le prévoyait le processus de mastérisation., provoquant ainsi une pénurie de
professeurs.
Or, comme le notait Jean-Michel Jolion, président du comité de suivi Master à l'Université de Lyon, auteur d'un rapport [ 3 ]“Mastérisation de la formation initiale des enseignants : enjeux et bilan." sur la mastérisation remis en octobre 2011 à Laurent Wauquiez, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, “l'architecture de l'offre de formation s'est organisée différemment selon les professorats visés". Ainsi, si les IUFM demeurent les opérateurs majoritaires de l'offre associée aux concours des professeurs des écoles, et les UFR ceux liés à la recherche universitaire, le rapport Jolion constate que “les masters liés à l'enseignement pour les filières technologiques et professionnelles ont connu une année très difficile (en 2010) avec une baisse très importante d'effectifs due tout autant à la très grande spécificité de ces filières qu'au flou de la réforme". Et d'en conclure :
“Ces filières sont les grandes oubliées de la réforme."
“Colmater cette brèche"
“Enseigner n'est pas un art, mais un métier qui s'apprend et dont la pratique doit aussi être accompagnée", estimait Jean-Michel Jolion dans son texte, rappelant l'importance, pour les futurs enseignants, des stages et de l'immersion nécessaire dans le métier préparé.
La décision du Conseil d'État rend urgent le déploiement d'un dispositif de formation des enseignants dès septembre 2012, et non 2013 tel qu'initialement prévu. “Il va falloir colmater cette brèche dès la prochaine rentrée", a confirmé George Pau-Langevin, qui a également indiqué que des dispositifs de tutorat pourraient être mis en place, afin que “des professeurs retraités puissent épauler leurs jeunes collègues". Naturellement, une telle réforme ne saurait, selon la ministre déléguée, faire l'impasse d'une “vaste concertation". Quant aux financements nécessaires pour déployer la formation des enseignants dès septembre 2012, ils n'ont pour l'instant pas été explicités. Lorsqu'il faisait campagne pour François Hollande, Vincent Peillon avait émis l'idée que les crédits nécessaires pourraient provenir des 30 000 départs à la retraite ayant lieu annuellement dans l'Éducation nationale. Une prévision qui prenait cependant en compte une réforme prévue initialement à l'échéance 2013.
Mastérisation
Établi par une réforme entamée par Xavier Darcos et poursuivie par Luc Chatel, le processus de mastérisation visait à élever le niveau de formation des enseignants à bac + 5 (soit un niveau de master 2) et à supprimer l'année de stage en alternance initialement prévue dans le cursus IUFM des futurs professeurs, y compris lorsque l'établissement scolaire accueillant ne disposait d'aucun collaborateur susceptible de tutorer l'enseignant en formation.
Entretien avec Jean-Michel Jolion, président du comité de suivi Master à l'Université de Lyon
“Vincent Peillon sera contraint de signer le texte contre lequel il s'est battu"
Jean-Michel Jolion est l'auteur du rapport “Mastérisation de la formation initiale des enseignants : enjeux et bilan".
Le processus de mastérisation sera-t-il définitivement caduc dès la rentrée scolaire 2012 ?
D'un point de vue technique et budgétaire, c'est strictement impossible d'ici au 1er septembre.
La procédure doit être revalidée par les deux ministres en charge du dossier (Vincent Peillon pour l'Éducation nationale, Geneviève Fioraso pour l'Enseignement supérieur), qui devront apposer leurs deux signatures à tout nouveau texte pour que celui-ci ne soit pas à nouveau “retoqué". D'ailleurs, en invalidant la réforme Darcos-Chatel relative à la mastérisation, le Conseil d'État a évité un cataclysme pour la prochaine rentrée de septembre. Aujourd'hui, la question qui se pose, pour l'année scolaire 2012-2013, reste celle de l'accompagnement des enseignants durant cette phase transitoire, puisqu'il n'est pas envisageable qu'un parcours opérationnel – qui nécessiterait de libérer près de 4 000 postes – puisse être mis en place d'ici au mois de septembre. Actuellement, les deux ministères concernés ont entamé des discussions afin d'y réfléchir.
De fait, Vincent Peillon pourrait être amené à signer un texte contre lequel il s'est battu lorsqu'il était dans l'opposition ?
Exactement ! Les dates des concours de l'enseignement sont actuellement arrêtées, le temps imparti est trop court pour entamer une réforme en deux mois… Il n'aura pas d'autre choix que de reconduire le processus de mastérisation pour l'année à venir.
Quels moyens devront être alloués à cette phase transitoire ?
Je me garderai bien de vous donner une estimation chiffrée, mais une chose est sûre : la nouvelle Assemblée sortie des urnes le 17 juin devra voter un collectif budgétaire qui tienne compte de cette problématique.
Après, reste à savoir quelles priorités définira l'État pour 2012-2013. Mais si un budget significatif n'est pas alloué à cette nécessaire phase d'accompagnement des enseignants nouvellement recrutés, alors nous demeurerons dans le flou quant à leur formation effective.
Vincent Peillon proposait de créer des “écoles supérieures du professorat et de l'éducation" afin de former le corps enseignant…
Qu'importe le nom qui sera retenu. Tout dépendra du contenu pédagogique qui y sera dispensé, par rapport aux missions de l'enseignement. Et, à ce niveau, l'Université se trouve en première ligne, puisqu'elle est la seule institution (en dehors de quelques écoles à statut public) à pouvoir délivrer des diplômes nationaux. Toutefois, les Universités devront également se positionner en fonction de problématiques territoriales, notamment en ce qui concerne la formation continue des enseignants, particulièrement ceux qui ont subi les effets de la mastérisation depuis trois ans et dont
les connaissances doivent être remises à jour afin de leur permettre de mieux appréhender leur métier. Maintenant, en ce qui concerne le statut juridique qui sera donné à ces écoles et le fait de savoir si elles seront amenées à se substituer aux IUFM, ce n'est qu'un point de détail.
Notes
1. | ↑ | Luc Chatel a signé seul les arrêtés du 12 mai 2012, alors que le paraphe de Valérie Pécresse aurait dû y figurer. |
2. | ↑ | Contre 18 heures (soit un temps plein) comme le prévoyait le processus de mastérisation. |
3. | ↑ | “Mastérisation de la formation initiale des enseignants : enjeux et bilan." |