François Hollande lance l'“initiative européenne pour la croissance et pour l'emploi
Par Béatrice Delamer - Le 16 juin 2013.
“L'offensive pour l'emploi des jeunes part aujourd'hui", a déclaré François Hollande en introduction du colloque “Europe, les prochaines étapes" qui s'est tenu le 28 mai à l'Institut d'études politiques de Paris. Observant que “l'Europe n'est pas heureuse. Elle vit une crise et doute de son projet", il a dévoilé les pistes retenues par les partenaires du plan qui sera officiellement lancé lors du sommet de Madrid les 27 et 28 juin.
Nous devons agir en urgence. Six millions de jeunes sont au chômage en Europe. Mais quand on regarde de plus près les chiffres, il y en a près de 14 millions qui sont sans travail, ne suivent pas d'études ou ne sont pas en apprentissage", a indiqué François Hollande, estimant que sa génération d'après-guerre avait profité du soutien de l'Europe. _ Tandis que la jeunesse actuelle, génération de l'après crise, viendra demander des comptes aux gouvernants d'aujourd'hui. Le chômage des jeunes atteint 25 % en France, 30 % en Italie et même 50 % en Grèce ou en Espagne.
Mettre en œuvre la “garantie jeunesse"
Pour répondre à cette “exigence" de solidarité envers la jeunesse actuelle, le président de la République et Angela Merkel, présente à Paris le 30 mai, ont convenu d'une contribution commune comprenant, outre des propositions sur l'énergie, la fiscalité ou la compétitivité, des mesures pour soutenir l'emploi des jeunes. François Hollande a d'abord mentionné les 6 milliards d'euros sur cinq ans (2014-2020) dégagés dans le projet de budget européen (non encore approuvé) à cette fin. Le chef de l'État propose que soit préparée en avance la mobilisation de ces fonds par les États et les organismes compétents dans les régions où le chômage des jeunes excède 25 %. Lors du sommet madrilène,
Manuel Barroso, président de la Commission européenne, devrait annoncer une rallonge supplémentaire. Puis le chef de l'État a demandé la mise en oeuvre immédiate de la “garantie jeunesse". Approuvé par le Conseil européen [ 1 ]Voir L'Inffo n° 831 p. 6, n° 824 p. 31, n° 797 p. 19., ce dispositif permettrait aux jeunes d'accéder à un emploi, une formation, un contrat d'apprentissage ou un stage, à l'issue de leur cursus éducatif initial. Enfin, le président demandé la mise en place d'un Erasmus [ 2 ]Voir L'Inffo n° 812, p. 27. des apprentis. “Grande idée qui fait que chaque jeune, quelle que soit sa condition sociale, quel que soit son lieu de formation, puisse se dire qu'il va faire une partie de son parcours de qualification dans un pays européen différent du sien. Là encore les fonds existent : mobilisons-les !", a-t-il déclaré. Si le programme Erasmus est le plus connu des programmes européens, il concerne l'enseignement supérieur. Le programme Leonardo da Vinci, lancé en 1995, est un outil chargé de donner une impulsion aux systèmes de formation et d'enseignement professionnels. Il permet la mobilité des personnes désireuses d'acquérir une expérience professionnelle en Europe. François Hollande s'est dit “d'accord avec la chancelière Angela Merkel pour parvenir à un véritable plan pour l'emploi des jeunes, dès cette année". Nul doute que le Conseil européen des 27 et 28 juin de Madrid se saisira de la question, ainsi que les ministres du Travail et de l'Emploi de l'Union qui se réuniront le 3 juillet à Berlin. Date à laquelle ce plan devrait être officiellement arrêté. “C'est là que nous aurons aussi à donner une nouvelle ampleur à ce plan pour l'emploi des jeunes", a conclu le président.
LE MODÈLE ALLEMAND EST-IL TRANSFÉRABLE EN FRANCE ?
Pour Werner Zettelmeier, chargé de recherche au Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (Cirac) de l'Université de Cergy, l'initiative franco-allemande pour aider les jeunes qui n'ont pas d'emploi semble un bon début. “Cela ne va pas résoudre les problèmes des 6 millions de jeunes au chômage en Europe, mais il faut bien commencer quelque part...
Chaque pays doit partir de ce qu'il sait faire. En Allemagne, de nombreux postes ne trouvent pas preneurs et les employeurs font venir, notamment d'Espagne, des jeunes déjà qualifiés, des ingénieurs, des informaticiens, à qui ils proposent des cours de langues intensifs", pointe-t-il.
L'Erasmus des apprentis ? Il existe d'ores et déjà, “mais ne fonctionne pas aussi bien que dans l'enseignement supérieur. Les apprentis se trouvent dans un contexte
juridique différent : l'entreprise qui les paie hésite à les laisser partir." D'autre part, les jeunes professionnels sont moins à l'aise avec les langues étrangères et la mobilité. “Pour autant, il faut chercher une dynamique et créer un cadre de développement. Il ne faut pas se dire que c'est trop difficile, comme ce fut le cas d'Erasmus voici trente ans. On peut toujours faire mieux qu'actuellement !" Reste que, de l'avis de Werner Zettelmeier, le modèle allemand d'apprentissage n'est pas nécessairement transférable en France. “L'apprentissage en Allemagne est considéré comme un système qualifiant plutôt que comme une aide à l'insertion. Plus que les pouvoirs publics, ce sont les partenaires sociaux qui ont une large influence, dans la conception et la mise en oeuvre", nous explique-t-il.
Cycle vertueux... ou pas
“L'apprentissage n'a pas toujours été considéré comme exemplaire, y compris en Allemagne !", prévient Adelheid Hege, sociologue, chercheure à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires).
Les Allemands ont reproché à ce dispositif un enseignement général réduit à la portion congrue (une journée par semaine) en centre de formation, le reste du temps étant consacré à la formation pratique en entreprise. “Ils critiquaient aussi la liberté qui était donnée à l'entreprise d'organiser elle même la formation." Mais avec la hausse du chômage, les syndicats lui ont retrouvé des vertus.
“Premièrement,
c'est un système qui est lié à des productions de formation relativement contraignantes et remises à jour régulièrement par les organisations patronales et syndicales, ce qui est une garantie."
Deuxième atout, il a un rôle déterminant dans les conventions collectives et la fixation des salaires. C'est à partir de la qualification obtenue par apprentissage qu'est déterminé le seuil à partir duquel on est “ouvrier qualifié" : “C'est une référence identitaire associée au modèle allemand, et qui justifie des salaires plus importants. Le niveau d'ouvrier certifié par l'apprentissage est valorisé. Ce qui constitue une différence substantielle avec le système français", commente Adelheid Hege.
Au final, la crise a produit “une société clivée, constate la chercheure. Côté vertueux, une partie des jeunes s'en sort plutôt bien et, à ce titre, la formation professionnelle et sa valorisation jouent un rôle". Malgré les difficultés, les entreprises investissent fortement dans la formation, elles conservent un noyau de compétences en interne qui seront utiles quand la situation économique s'améliorera et elles font en sorte que les apprentis ne se retrouvent pas “à la rue".
Mais de l'autre côté figure “la situation de précarité dans laquelle se trouvent les jeunes non qualifiés et les apprentis des services, comme les jeunes vendeurs ou bouchers, qui ne bénéficient pas des mêmes
salaires que les apprentis de l'industrie ou de la chimie. Il y a un écart de plus en plus important." En somme, ne pas être qualifié dans un système qualifiant, c'est encore plus dur...
Notes
1. | ↑ | Voir L'Inffo n° 831 p. 6, n° 824 p. 31, n° 797 p. 19. |
2. | ↑ | Voir L'Inffo n° 812, p. 27. |