{“Ne pas demander à la formation plus que ce qu'elle peut donner : il faut aussi renvoyer la question de la qualification professionnelle aux formes d'organisation du travail"} (Jean-Pierre Willems, consultant)

Par - Le 16 novembre 2011.

À contre-courant des nombreux rapports et discours enclins à juger inefficace le système de formation professionnelle continue initié par la loi de 1971, le consultant Jean-Pierre Willems invite à considérer avec davantage d'équité le rôle et la place de la formation dans l'évolution de la société française. Selon son analyse, non seulement le système en place a bel et bien permis de “généraliser la formation dans quasiment toutes les entreprises", mais des dispositifs comme le congé individuel de formation (Cif) ont atteint un nombre “significatif" de bénéficiaires. “Je considère que la formation continue telle qu'elle existe a tout de même permis à des tas de gens de continuer à faire leur job dans de bonnes conditions et dans un confort de travail suffisant : regarder comment était organisée l'économie française il y a 30 ou 40 ans permet de reconnaître que notre système de formation a permis d'accompagner des reconversions entières de secteurs industriels, de développer l'économie de services et de créer des tas de nouveaux métiers", plaide-t-il. “Si l'on rapporte le nombre de congés individuels annuels au volume de salariés, 40 à 50 000 congés peuvent paraître relativement faibles, mais quand on met ce chiffre en perspective depuis 1984[ 1 ]Année de création des Opacif., cela fait quand même plus d'un million de personnes qui ont pu bénéficier de congés de formation de longue durée, le plus souvent diplômants". Idem pour les périodes de professionnalisation, dont Jean-Pierre Willems rappelle qu'elles bénéficient “d'à peu près un milliard d'euros collectés par les Opca", qui servent parfois “à financer de la qualification, même s'il est vrai que certains secteurs ne sont pas beaucoup sur des objectifs certifiants", reconnaît-il.

Pourquoi le système est-il alors globalement mal perçu ? “Parce qu'on lui demande de faire tout : insérer, permettre d'accéder à l'emploi, qualifier, reconvertir, accompagner les mutations, etc." Le fait de n'avoir “jamais arbitré entre ces différents objectifs nous empêche d'avoir des grilles d'évaluation pertinentes". Insistant sur la question de l'évaluation, Jean-Pierre Willems critique la démarche qui consiste à reprocher en permanence à la formation continue “de ne pas refaire ce que la formation initiale n'a pas fait". Pas étonnant, dès lors, qu' “un tel baromètre conduise à constater l'inefficacité du système", puisque celui-ci est “organisé structurellement pour accompagner l'évolution et sociale des entreprises et du marché du travail, et pas du tout pour être un système de rattrapage généralisé de la formation initiale". Et de poursuivre, “l'évaluation reste trop souvent centrée sur une dimension de la formation envisagée uniquement comme moyen d'accéder à la qualification ou au diplôme", alors qu'il s'agit aussi d'une “capacité à accompagner les gens dans les évolutions auxquelles ils sont confrontés". Ainsi n'y aurait-il pas de sens, selon lui, à critiquer le droit individuel à la formation (Dif) au motif qu'il ne “permettrait pas vraiment l'accès à la qualification" : “l'objectif ne peut pas être de diplômer tout le monde avec 20 heures de crédit par an, mais d'inciter chacun -dans les mêmes conditions et quel que soit son emploi, son activité, son parcours, etc.- à se préoccuper de sa formation et de ses compétences".

Prolixe sur la question du sens de la formation dans une vie professionnelle, Jean-Pierre Willems invite à cesser de “survaloriser le poids de la formation dans la qualification". Et de pointer là “peut-être le revers de la médaille de notre système de formation continue", qui n'aurait pas réussi à s'affranchir “des schémas de pensée et de fonctionnement de la formation initiale". S'inscrivant en faux par rapport au “présupposé que la formation serait la seule voie ou la voie principale d'acquisition de compétences", le consultant plaide pour “une articulation entre la formation et les autres moyens d'acquisition de compétences", à l'instar de ce qui est proposé dans concept de professionnalisation : “quand on regarde les contrats et les périodes de professionnalisation dans l'accord de 2003, on voit bien qu'il s'agissait d'arriver à une certification en couplant la formation et une activité, qui chacune amène pour partie des compétences contribuant à la qualification." L'accord de 2003 a-t-il porté ses fruits ? “Cette capacité formatrice du travail, que la VAE reconnaît, est quand même difficile à faire émerger", analyse-t-il. “Je pense que l'on devrait plus se concentrer sur la manière d'articuler formation et évolutions dans l'organisation du travail, plutôt que de demander à la seule formation de qualifier. C'était bien le travail que menait Bertrand Schwartz il y a trente ans, en expliquant que l'accès à la qualification doit se faire par des évolutions progressives de contenu des activités".

Comme en témoigne la difficile réinsertion des licenciés sous-qualifiés, “ce qui déqualifie le plus, ce n'est pas de ne pas avoir été en formation, c'est d'avoir des contenus de travail pauvres, à faible surface et dans lesquels on est maintenus longtemps". CQFD, “la question de la qualification professionnelle ne peut être renvoyée à la seule formation, il faut aussi la renvoyer aux formes d'organisation du travail : quand une entreprise crée des emplois totalement taylorisés de stricte exécution -on avait ça dans l'industrie, on a maintenant ça dans les services, avec des emplois pauvres en nombre et en complexité de tâches-, cela contribue à déqualifier les gens". Ne jamais oublier, donc, “que ce qui qualifie et déqualifie en premier lieu, c'est le travail : le système de formation continue n'est qu'à l'appui de la qualification par le travail. Vous pouvez distribuer tous les diplômes que vous voulez, si les postes de travail derrière sont à faibles contenus, vous ne changez rien à la situation des gens".

Cette articulation entre le contenu du travail et la formation, Jean-Pierre Willems relève avec grand intérêt que le juge la fait déjà : “si vous regardez les dernières jurisprudences de la Cour de cassation, vous verrez se dessiner une espèce de responsabilité sociale de l'entreprise, où le juge impose aux entreprises proposant des emplois à faibles contenus une obligation de former"[ 2 ]Jean-Pierre Willems l'écrit sur son blog le 15 octobre 2011 : “Par une décision en date du 28 septembre 2011 que l'on peut qualifier d'historique, la Cour de cassation pose en principe que tout salarié doit avoir accès à la formation professionnelle, même s'il est compétent dans son emploi et que celui-ci n'évolue pas. L'entreprise ne peut donc s'en tenir à un strict adéquationnisme et limiter sa gestion des compétences, et de la formation, à celles qui sont utiles dans le cadre de la fonction"..

Retrouvez l'histoire de la formation professionnelle par Jean-Pierre Willems, sur son blog http://willemsconsultants.hautetfort.com/. Cinq chapitres publiés du 18 au 22 octobre 2011, repris dans l'ouvrage collectif Formator, à paraître en décembre chez Dunod.

Questions à Jean-Pierre Willems...

En quoi le Dif manquait-il à la panoplie des dispositifs d'accès à la formation ?

Le grand mérite du Dif est d'instaurer la négociation. Et c'est aussi toute sa difficulté, parce que l'on a créé exactement l'inverse pendant 35 ans : l'employeur qui fait ce qu'il veut dans le cadre du plan, le salarié qui fait ce qu'il veut dans le cadre du congé. Jusqu'à la création du Dif, aucun dispositif n'incitait au dialogue.

Pourquoi est-il apparu si difficile à mettre en œuvre ?

Je pense que les entreprises ont plus peur que ce soit un levier de promotion d'une sorte de négociation individuelle que des 20 heures de formation. Ce qui fait frein, c'est la dimension partage du pouvoir. C'est pour ça que le Dif est très intéressant et que cela aurait été bien de le créer plus tôt : parce qu'il crée de la capacité de négociation individuelle. La crainte des entreprises n'est pas sur le Dif lui-même, le crédit d'heures, etc., elle est de créer à propos de la formation un partage du pouvoir qui pourrait générer des revendications de partage de pouvoir sur d'autres choses : mes missions, mon contenu de travail, mon salaire, etc. Il y a là d'ailleurs un enjeu que les syndicats, toujours suspicieux vis-à-vis de la négociation individuelle, ont à mon avis très mal relayé. Ils n'ont pas saisi l'opportunité que représentait le Dif de peser véritablement sur le travail et les politiques de formation. Cela viendra peut-être.

Créé pour accompagner l'évolution et la reconversion professionnelle des salariés, le Cif semble de plus en plus évoluer vers un rôle de correcteur des inégalités. Qu'en pensez-vous ?

Effectivement, on ne peut vraiment plus dire aujourd'hui que l'argent ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin. La dimension de correction des inégalités du Cif s'est fortement renforcée ces dernières années, notamment depuis que le FPSPP intervient. Compte tenu du poids financier qu'il représente pour les Fongecif, cela a même été très vite, d'autant plus qu'il y avait déjà une orientation en ce sens pour ceux qui sollicitaient des financements régionaux et européens.

Le recentrage des priorités sur les publics les plus en difficulté n'empêche-t-il pas d'accompagner certaines trajectoires ?

Donner des priorités renforcées sur certaines catégories à moyens constants conduit mécaniquement à déshabiller Paul.... Ceci étant, je pense que les Fongecif restent attachés au principe d'un droit pour tous : oui à la priorité pour certains salariés et au rééquilibrage, mais tout en continuant d'accompagner d'autres parcours, peut-être différemment, peut-être en ne finançant pas tout. Je crois vraiment qu'il y a cette volonté de faire vivre un droit individuel que chaque salarié peut exercer. Certes, à partir du moment où les moyens sont gérés et administrés par des institutions, il y a toujours ce réflexe très jacobin de décider à la place d'autrui, mais je ne trouve pas que cela soit vraiment problématique avec les Fongecif, où l'on voit bien que même les dossiers non prioritaires peuvent bénéficier d'un examen plus détaillé en commission. Bien sûr, l'arbitrage est toujours compliqué quand on n'a pas suffisamment de ressources pour satisfaire tous les besoins.

Faut-il aller plus loin dans la reconnaissance d'un droit personnel à la formation ?

Il n'y a pas forcément de sens à doter les gens d'un droit à la formation. Ce n'est pas le chemin de tout le monde, pas le chemin unique. En revanche, un des risques de la recentralisation à laquelle on assiste en matière de formation, c'est de penser que l'on peut impulser et décliner des politiques depuis le niveau central, à travers des critères toujours plus nombreux et plus fins. On dénie finalement la capacité de prise de décision sur le terrain, alors que je pense qu'il faut donner un cadre et laisser des marges d'appréciation aux décideurs au plus près des situations à régler. En clair, que l'on ne rentre pas dans une espèce de prescription à rallonge qui paralyse l'initiative, empêche de tenir compte des situations réelles et, effectivement, exclut tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases pré-dessinées. C'est difficile parce que l'on a une culture de décision descendante très forte, dominante à droite comme à gauche, ce qui fait que l'on n'a jamais de rupture sur le sujet. Les courants décentralisateurs autogestionnaires sont minoritaires. Culturellement.

Notes   [ + ]

1. Année de création des Opacif.
2. Jean-Pierre Willems l'écrit sur son blog le 15 octobre 2011 : “Par une décision en date du 28 septembre 2011 que l'on peut qualifier d'historique, la Cour de cassation pose en principe que tout salarié doit avoir accès à la formation professionnelle, même s'il est compétent dans son emploi et que celui-ci n'évolue pas. L'entreprise ne peut donc s'en tenir à un strict adéquationnisme et limiter sa gestion des compétences, et de la formation, à celles qui sont utiles dans le cadre de la fonction".