Un prestataire très “Louis-XV"

Par - Le 16 février 2014.

Tapis persans, home cinéma Bang&Olufsen,
sac Vuitton… et guéridon Louis-XV. Alors
qu'ils se croyaient chez un gérant d'organisme
de formation, les agents du
service régional de contrôle d'Aquitaine
(SRC) se sont retrouvés de
plain-pied dans la
caverne d'Ali
Baba. Des
salles de
cours au
grenier à
merveilles
d'un prestataire
sans
scrupules, le chef
du SRC Jean-Louis
Gousset relate une opération
de contrôle un rien
insolite. Avec un luxe de détails
et une pincée d'humour.

“L'organisme de formation redressé avait mis en
place deux formations peintre en bâtiment et en
décoration, avec entrées et sorties permanentes des
stagiaires, sans aucun niveau prérequis. Un stagiaire
pouvait entrer le 1er janvier, un autre le
15 mars, la formation n'était pas délimitée dans
le temps. Ces formations étaient structurées par
l'obtention éventuelle d'un titre professionnel
du ministère de l'Emploi", explique Jean-Louis
Gousset.

Tours de passe-passe et
miroirs aux alouettes


L'organisme de formation ciblait les chômeurs
en fin de droits à qui il faisait miroiter des
formations longues de 900 à 1 200 heures
sanctionnées par un titre professionnel du
ministère de l'Emploi. Avec en substance cet
argumentaire : “Si tout se passe bien, vous aurez
une qualification que vous pourrez monnayer
sur le marché de l'emploi. Pour ce faire, vous devez
avoir un employeur. Ne vous en faites pas, nous
avons un large réseau d'employeurs."

Ni contrats de professionnalisation ni préparations
opérationnelles à l'emploi, les formations
“offertes" s'inscrivaient dans le cadre du plan
de formation des TPE (entreprises de moins de
10 salariés) procédant à l'embauche. En direction
des artisans, le discours était tout aussi
rôdé : “Vous allez faire une bonne action, aider
un demandeur d'emploi à se réinsérer, vous allez
lui permettre d'obtenir une qualification reconnue.
Cela ne va rien vous coûter et quand il y aura
des coups de bourre sur un chantier, faîtes appel à
nous, on vous amènera des stagiaires."

Dépense déclarée, pas effectuée...

La manipulation était la suivante. L'employeur
recrutait le chômeur en contrat à durée déterminée
pour une durée égale à celle de la formation.
L'intérêt pour l'organisme de formation ? L'Opca
de branche réglait les coûts pédagogiques de formation
par subrogation de l'employeur. Ce dernier
se faisait donc rembourser les coûts salariaux
correspondants selon le taux horaire, pour chaque
stagiaire.

“Tous les stagiaires étaient regroupés avec un abondement
des financements colossal, sans que les moyens
pédagogiques soient mis à due concurrence. Comme
les entrées et les sorties étaient permanentes, quel
que soit le niveau de base, toujours la même équipe
pédagogique. Un seul formateur officiait pour
l'ensemble des stagiaires alors que la logique aurait
voulu que plusieurs groupes de stagiaires démarrent
avec des formateurs distincts. Le fait que des stagiaires
de niveaux différents soient encadrés
par un formateur
unique pose néc
e s s a i r e m e n t
problème. La formation
ne pouvait ê t re
dispensée dans d e
bonnes conditions", précise
Jean-Louis Gousset.
Certains stagiaires n'avaient
même jamais rencon- tré leur
employeur !

“L'Opca a cherché à conte- nir les appétits
financiers de cet orga- nisme de
formation, mais avec les plus g ra n d e s
difficultés car le Code du travail dispose le
libre choix de l'organisme de formation par l'employeur",
relève le chef du SRC. Le prestataire de
formation dégageait un chiffre d'affaires annuel
d'un million d'euros. L'arnaque a duré cinq ans.
Société anonyme à responsabilité limitée (SARL)
unipersonnelle, l'organisme de formation avait
pour seul contrôleur social le gérant associé
unique. Autant dire que ce dernier “faisait ce qu'il
voulait", comme le résume Jean-Louis Gousset.

Le grain de sable dans
cette mécanique


Pourquoi ce contrôle a-t-il débouché ? “Un des stagiaires
est allé se plaindre auprès de l'inspection du
travail, car cela faisait deux mois qu'il n'avait pas été
payé. L'Opca remboursait bien les coûts salariaux mais
il y a eu un loupé dans la production des justificatifs,
la feuille de salaire et de présence devant être fournie.
Et comme l'organisme de formation avait dit que cela
ne coûterait rien…", raconte Jean-Louis Gousset.
L'inspection du travail adresse le plaignant au SRC,
qui lance la procédure de contrôle. Et diligente un
contrôle administratif et financier, notamment sur
la justification des dépenses.

“En passant en revue l'ensemble de la comptabilité
et des pièces justificatives, nous avons constaté qu'il y
avait des dépenses comptabilisées pour lesquelles il n'y
avait pas de pièces justificatives. Elles pouvaient être
soit égarées, soit être sorties sciemment des comptes. S'il
manque une pièce comme en l'espèce, cela signifie que
l'OF ne justifie pas la nature de la dépense et donc on
rejette cette dépense, considérée comme non justifiée
quant à sa nature", décrit Jean-Louis Gousset.

Fin de partie

Au titre des dépenses injustifiées, des meubles
anciens achetés pour certains entre 5 000 et
10 000 euros. Un guéridon Louis-XV − déjà
cité − à 14 000 euros, un ensemble canapés
chauffeuses Knoll international, et des séjours
de plusieurs jours à l'hôtel Crillon à Paris. À la
question “que faisaient ces biens à votre domicile
?", le gérant ne s'est pas démonté : “Ce sont
des supports pédagogiques pour peintres en décoration,
mais je me suis aperçu que les stagiaires
dégradaient les meubles anciens, j'ai donc
dû les rapatrier chez moi."

La suite est moins pittoresque.
Outre une notification
de redressement
à hauteur
de 25 000 euros,
le SRC
a lancé un
c o n t r ô l e
c o n j o i n t
avec l'insp
e c t i o n
du travail,
relevé
d i v e r s e s
infractions
et transmis les
procès-verbaux au parquet,
qui a classé l'affaire. Le contentieux a
ensuite été jugé devant le tribunal administratif.
Enfin, à l'issue d'un contrôle fiscal, le gérant a dû
s'acquitter d'une pénalité de 428 000 euros, tant
sur son imposition personnelle que sur sa SARL.
Ce qui a entraîné une liquidation de la société.
Mais n'a pas empêché le prestataire indélicat de
récidiver… en Midi-Pyrénées.