7èmes Rencontres régionales de l'orientation en Rhône-Alpes : de l'autonomie et de la responsabilité
Par Nicolas Deguerry - Le 08 juin 2015.
En matière sociale, la commande publique a fortement évolué vers la “centration sur l'individu", appelé à devenir “autonome, en tant qu'acteur et auteur dans la gestion de son parcours de vie". Faut-il voir dans cette évolution une “émancipation" ou une “injonction" ?
Les 7èmes Rencontres régionales de l'orientation en Rhône-Alpes (Lyon, 4 juin 2015) ont posé la question à Marie-Hélène Doublet, docteure en psychologie du travail chargée d'études et de recherche au Centre interinstitutionnel de bilans de compétences Sud-Aquitaine.
L'individu acteur : une notion à double sens
Les réformes successives de l'orientation, de la formation et de l'emploi ont toutes pour ambition de nous placer “au cœur du système". Que nous soyons pris dans notre généralité d'individu ou spécifié en tant qu'apprenant, salarié ou demandeur d'emploi, nous voici tous élevés au rang d'“acteur" de nos choix d'orientation, de notre parcours de formation, de notre vie professionnelle ou personnelle. Du point de vue de l'éducation permanente, c'est là la condition pour accéder à une citoyenneté pleine et entière.
Mais ce qui est longtemps apparu comme un objectif d'émancipation rejoindrait aujourd'hui une certaine forme d'injonction d'inspiration libérale : si nous sommes responsables, la nécessité d'une prise en charge est moindre. Au temps de la rationalisation de la dépense publique et de l'appel à la révision des obligations sociales des acteurs socio-économiques, l'incitation à l'autonomisation comporte aussi des objectifs économiques qui n'étaient pas ceux de la génération Delors.
Nous ne sommes pas pour autant passés radicalement, loin s'en faut, d'un modèle à l'autre. Le conseil en évolution professionnelle (CEP) en témoigne, les partenaires sociaux ont eu à cœur de conjuguer le désir d'émancipation pour tous à la nécessité de l'accompagnement pour certains.
C'est bien là le sens des trois niveaux d'intervention du CEP, sous-tendu par une logique de co-construction. Mais, au-delà de l'intention théorique, quel est le prix pratique à payer ?
Un cadre européen adopté par la France
Pour Marie-Hélène Doublet, l'intensification des commandes publiques appelant à l'émancipation en matière d'orientation s'incarne dans la résolution européenne de novembre 2008. Laquelle, soucieuse de développer les conditions d'un développement “tout au long de la vie", demande de créer des “systèmes d'information et d'orientation de qualité, fondées sur une approche davantage centrée sur les personnes afin de les rendre, en toute équité, plus actives et autonomes dans l'éducation et la formation". Et c'est bien cette logique que la France s'efforce de consacrer dans ses textes législatifs, depuis 2009 sous l'impulsion de l'État et depuis 2014 sous coordination des Régions.
Marie-Hélène Doublet le remarque, dès 2011, Pôle emploi oriente ses dispositifs de façon à développer “la capacité des individus à faire des choix dans leurs démarches professionnelles en s'appuyant sur des approches éducatives". Le processus apparaît désormais bien ancré et la loi du 5 mars 2014 ne fait que renforcer “l'évolution vers des logiques de citoyen acteur, acheteur de formation maître de ses choix". Parallèlement, la “posture" du conseiller évolue, s'éloignant toujours davantage d'un rôle d'orienteur, pour devenir un conseiller en évolution professionnelle.
Nouvelles posture du conseiller face à l'individu réflexif
Marie-Hélène Doublet en est convaincue, le contexte sociologique n'est pas sans impacter les pratiques d'orientation. Et c'est paradoxalement dans un monde où l'agir seul doit faire face à de nombreux obstacles, que la culture de l'individu réflexif au service de son propre accomplissement est encouragée. Quatre facteurs influencent selon elle fortement le conseil professionnel.
D'abord, “l'incertitude généralisée", qui se traduit par un appel à “l'autonomisation de l'individu", sommé de se montrer “proactif pour être en capacité de saisir les opportunités".
Ensuite, “l'identité à conquérir" : quand les cadres structurants de la Nation s'effondrent (famille, travail…), chacun est amené à reconstruire son propre système de valeurs, dont il devient comptable. S'ensuit l'affirmation d'une “responsabilité individuelle de la réussite et de l'échec", source “d'anxiété importante". Pour le conseiller, il y a là matière à extension de son champ de compétences, avec la nécessité de puiser dans des disciplines toujours plus nombreuses les ressources permettant à l'individu d'identifier ce sur quoi elle possède encore une capacité d'action.
Troisièmement, le “sentiment d'impuissance", véritable “maladie du siècle" dont celui qui est frappé finit par considérer que “ne rien faire est moins risqué puisque rien ne marche". Le danger ? Avoir, selon le témoignage d'une conseillère en Mission locale, “des jeunes revenus de partout sans jamais être allés nulle part". Pour le conseiller, il s'agit dès lors de “travailler sur les représentations", dans l'objectif de “redonner du pouvoir d'agir".
Enfin, “l'opacité" à laquelle se trouve confronté l'usager : d'un côté, “l'obsolescence rapide des informations" ; de l'autre, le décalage entre la réalité prescriptive et la prétention à rendre l'individu “maître de ses décisions". Désormais incapable d'assumer la validation finale du projet professionnel, le conseiller devient un “méthodologue", dont le rôle principal est d'outiller l'usager pour sa réflexion.
Une “fonction hautement politique"
Dans ces conditions, “la vision politique et éthique du conseiller est déterminante dans la définition des postures professionnelles", affirme la chercheure. Dès lors, “trois visions politiques de l'orientation" s'affrontent : celle qui privilégie un “monde de compétition où le meilleur gagne", celle qui dénonce un “monde profondément injuste, complexe et excluant" et, synthèse des deux précédentes, celle qui croit en un “monde de solidarité".
À chaque vision sa posture : “expertise" pour la première, “assistance" pour la seconde et “maïeutique" pour la troisième.
C'est bien cette dernière qui correspond au modèle actuel de “centration sur l'individu", avec une place importante accordée au “tenir conseil", fondatrice de la méthodologie du conseil en évolution professionnelle.
- Le site du Prao : www.rhonealpes-orientation.org
- Sur le même sujet, voir l'intervention de Marie-Hélène Doublet dans le cadre de l'Université ouverte des compétences (extrait en libre accès, vidéo complète sur abonnement) : www.uodc.fr/