Vers la fin – ou bien la réactivation ? – des tensions entre exécutifs national et régionaux ?
Par Nicolas Deguerry - Le 01 mai 2012.
Au seuil du deuxième tour de l'élection présidentielle, et alors que les élections législatives, qui seront déterminantes, se profilent déjà, la perspective d'un exécutif de même “couleur" politique que celle de la plupart des Régions devient de plus en plus concrète. Source paradoxale de recentralisation ? Remises en cause, voire tensions internes, en vue ?
Une victoire de François Hollande puis aux législatives assurerait aux socialistes la maîtrise du gouvernement, du Parlement et de presque toutes les Régions (à la seule exception de l'Alsace, en territoire métropolitain). Nous avons interrogé le consultant Jean-Pierre Willems : “Il n'y a pas de réforme radicale à conduire dans le programme du PS, analyse-t-il, mais plutôt l'inscription de la formation dans une nouvelle étape de la décentralisation, ce qui correspond à la demande des Conseils régionaux." Et que confirme finalement le député PS Jean-Patrick Gille.
En ce qui concerne les CPRDFP[ 1 ]Contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles.
, Jean-Pierre Willems estime que “ces instances n'auront de véritable rôle que si elles ont un peu de pouvoir". Son conseil ? “Ce pouvoir pourrait être un diagnostic sur les filières et une orientation des financements, à mi-chemin entre les comités régionaux de l'emploi et de la formation (Coref) de 1988 - qui étaient de véritables lieux de partage du diagnostic sur l'offre de formation, les filières et les attributions de fonds - et les conférences de financeurs évoquées par Ségolène Royal en Poitou-Charentes".
Reste que s'il considère que la décentralisation fait partie des orientations de François Hollande, Jean-Pierre Willems n'en prédit pas moins de douloureux débats internes : “Sur ce sujet, le plus fort débat aura sans doute davantage lieu au sein de la gauche plus qu'entre la gauche et la droite : les Régions souhaiteraient éventuellement récupérer un peu de pouvoir normatif, mais il existe une culture très centralisatrice et jacobine à gauche. Il y a des tensions très fortes entre les praticiens qui ont une approche assez pragmatique et revoient un peu leur corpus idéologique, et d'autres, comme le Front de gauche, qui voient toute forme de décentralisation comme un inacceptable démembrement de la République", prévient-il.
“Les Régions en position de pilotes"
Nous avons demandé au président de la Région Limousin, Jean-Paul Denanot, si l'avènement d'une hégémonie à gauche suffirait à apaiser les relations entre l'Association des Régions de France (ARF), dont il préside la commission formation professionnelle, et l'exécutif national.
Jean-Paul Denanot ne cache pas qu'“il y aura un gros travail à faire entre les différents partenaires de la formation professionnelle, notamment entre l'État et les Régions, mais aussi avec les partenaires sociaux". Objectif : placer les Régions en position de “pilotes, en tout cas de coordonnateurs, en matière de formation professionnelle". Rien d'extraordinaire à cela selon le président du Conseil régional, dans la mesure où “François Hollande s'était engagé là-dessus, sur la base du constat simple qu'ont fait le Cese[ 2 ]Conseil économique, social et environnemental., les partenaires sociaux et tous ceux qui se sont intéressés à la question". Et d'expliquer : “La question territoriale est essentielle pour définir les besoins en matière de formation. Agricole ou industrielle, chaque région est différente et chacune a des perspectives d'emploi différentes. L'organisation même des choix de formation se fera au niveau régional, tout en gardant des perspectives nationales sur des grands chantiers comme celui de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui est lui-même essentiel pour les grandes filières professionnelles – énergie ou métallurgie, par exemple – qui vont redonner du sens à la réindustrialisation de la France."
“Instance unique" pour “travail collectif"
Aujourd'hui au cœur des tensions entre l'État et les Régions, les CPRDFP pourraient aussi évoluer différemment en cas de victoire socialiste. Évoquant d'abord “un retour à la normale avec le respect des engagements de l'État", Jean-Paul Denanot plaide aussi pour le “regroupement des centres de décision liés à la fois à l'orientation, à la formation et à l'emploi", en cohérence avec le rapport Larcher. Souhaitant une “instance unique", appuyée sur le CCREFP[ 3 ]Comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle., l'élu régional y voit le “maillon manquant" nécessaire au “travail collectif sur les besoins et perspectives d'avenir. Le vrai problème aujourd'hui, c'est l'absence de centre de discussion sur ces questions. Chacun a une idée de son propre avenir, mais l'avenir collectif est passé à la trappe". Fruit d'un travail en commun, “les choix seront faits au niveau national pour certaines filières, mais essentiellement au niveau régional, compte tenu des tissus économiques de chaque région".
Soulignant que “les Régions sont en attente de compétences clairement définies", Jean-Paul Denanot réaffirme l'existence de “compétences à exercer au plus près des populations, notamment au sein de la chaîne orientation-formation-emploi". Pour lui, “les Régions ne peuvent pas être absentes de la question de l'emploi, dans la mesure où elles ont d'ores et déjà la charge du développement économique". Et d'assurer : “François Hollande a bien l'intention de confirmer les Régions dans ce rôle-là." Elles le seront entre-autres via le FPSPP[ 4 ]Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels., au sujet duquel le président de la commission formation professionnelle de l'ARF affirme qu'“il n'y aura plus de ponctions de l'État ; l'argent qui sera disponible servira bien à la sécurisation des parcours professionnels". Toujours par la seule contractualisation avec les Opca ? “Il est bien entendu que les Régions auront accès à ce fonds de sécurisation, dans la logique de leur responsabilité dans ce domaine", répond-il.
Plus un jeune sans solution...
Concluant sur les priorités, Jean-Paul Denanot évoque une première mesure qui lui paraît “tout à fait importante et symbolique : que pas un jeune entre 16 et 18 ans ne soit sans solution à la rentrée". Pour ce faire, le président du Conseil régional propose une expérimentation en place depuis un an en Limousin : “J'ai imaginé dans ma région un stage d'orientation active pour les jeunes, y compris pour les diplômés qui n'ont pas trouvé de solution parce qu'ils n'ont pas le bon diplôme au bon moment." Suivis en Mission locale par groupes de douze à quinze stagiaires, les jeunes bénéficient de trois mois de découvertes professionnelles, avant de se voir proposer de choisir entre quatre ou cinq métiers porteurs d'emploi. “Cela marche plutôt bien, puisque 80 % des jeunes trouvent finalement une solution après avoir rencontré un échec en formation initiale." Et de préciser que, “bien entendu, c'est une expérimentation que je tiens à disposition de François Hollande".
Notes
1. | ↑ | Contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles. |
2. | ↑ | Conseil économique, social et environnemental. |
3. | ↑ | Comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle. |
4. | ↑ | Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. |