Patrick

Tassin

Le 10 octobre dernier, Patrick Tassin a présenté, lors de la séance plénière du Conseil économique et social régional (CESR) de Champagne-Ardenne, un avis sur l'égalité entre les femmes et les hommes – en application de la charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes dans la vie locale.

Par - Le 29 octobre 2008.

Inffo Flash - Les mesures actuelles de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes ne sont-elles pas suffisantes ?

Patrick Tassin - Il est vrai qu'en Champagne-Ardenne, les hommes sont moins nombreux que les femmes (respectivement 49 % et 51 %), mais représentent environ 55 % de la population active avec un niveau de formation initiale qui est globalement inférieur à celui des femmes.

Pour autant, nous ne pouvons que constater, par exemple, que :

  •  le taux d'activité des Champardennaises restent parmi les plus bas en France avec ceux de Picardie, de Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais, et leur taux d'emploi baisse dès qu'elles ont un enfant ;
  •  elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel (et ce taux est même un peu plus élevé que la moyenne nationale en Champagne-Ardenne) ;
  •  les femmes présentent un plus grand risque d'exclusion et de pauvreté, en particulier parmi les parents isolés, et il ressort que les familles nombreuses et monoparentales sont plus exposées au risque de pauvreté dans la région Champagne-Ardenne que dans l'ensemble du pays ;
  •  la conciliation vie professionnelle et vie privée est difficile (les déséquilibres de la répartition des tâches domestiques et familiales restent très marqués) ;
  •  le déséquilibre persiste entre les femmes et les hommes dans leur présence aux postes décisionnels, tant politiques qu'économiques.

De plus, la Région Champagne-Ardenne a adopté, le 10 octobre 2007, la charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. La signature de cette charte, proposée par le Conseil de l'Europe et ses partenaires, est un engagement pour promouvoir l'égalité. Elle n'a pas de valeur contraignante, mais constitue une opportunité au service de l'égalité, et il appartient à tous les acteurs de la région de s'en saisir. L'engagement, par le signataire, de réaliser un plan d'actions dans les deux ans suivant sa signature renforce son côté opérationnel et concret.

C'est dans ce cadre que le Conseil économique et social régional (CESR) a été chargé par le président du Conseil régional d'apporter des préconisations dans l'élaboration du plan d'actions.
Car, même si le cadre législatif de l'égalité entre les femmes et les hommes s'est considérablement développé au cours du siècle dernier, des inégalités persistent. Interroger la place des femmes dans la société, c'est interroger l'ensemble des systèmes qui régissent la vie économique, sociale, politique, etc.

Cette recherche d'égalité doit intégrer la reconnaissance, selon laquelle l'égalité va de pair avec – et ne menace, ni encore moins ne contredit – la reconnaissance de la différence et de la complémentarité qui existent entre les femmes et les hommes.

Les préconisations qui sont présentées dans le rapport du CESR s'appuient sur le concept “d'égalité dans la différence". Il ne s'agit pas d'imposer l'égalité, mais bien de mettre la place des femmes et des hommes à égalité dans tous les domaines. Ce rapport se base essentiellement sur les compétences de la Région et prend en compte des problématiques de manière transversale.

IF - Quelles sont vos propositions majeures pour permettre aux femmes d'accéder aux mêmes métiers et à autant de formations que les hommes ?

P. T. - Dans ce rapport, le CESR fait plus de 40 propositions d'actions concrètes, qui nécessitent pour certaines des moyens financiers, alors que d'autres sont basées sur une autre approche dans la mise en œuvre des compétences de la Région, sur la communication de données, etc.

Concrètement et en tentant de sélectionner quelques actions, il est d'abord important, pour la collectivité régionale, de témoigner d'une volonté politique forte et de se doter de moyens humains, techniques et financiers. Il s'agit de prendre en compte, de manière transversale, l'égalité entre les femmes et les hommes au sein des actions de la collectivité régionale dans une démarche participative, de veiller à ce que les objectifs des différents projets mis en place par la collectivité n'aillent pas à l'encontre de l'égalité et d'exploiter les données et les statistiques selon le contenu référencé au sexe chaque fois que cela est possible.
Compte-tenu de l'absence de données dans certains domaines et de la nécessité d'agir au plus près des réalités, il conviendrait de créer un “Observatoire régional de l'égalité", touchant à l'ensemble des discriminations, donc celles entre les femmes et les hommes.

Pour ce qui est du champ de l'information, l'orientation et la formation tout au long de la vie, outre les campagnes de communication qui doivent être développées, il conviendrait de développer l'éducation au “choix de vie", notamment en donnant à chacun la possibilité de s'épanouir socialement et professionnellement et, en particulier, de lutter contre le déterminisme social ou “sexué". De même, les prestataires de formation pourraient être mobilisés par la mise en place d'une “clause de l'égalité".

Tout organisme de formation répondant à un appel d'offres de la Région devrait ainsi préciser la démarche qu'il mènera au sein de sa structure et auprès de son public pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Pour ce qui est du domaine de l'insertion sociale et professionnelle, la Région pourrait conditionner ses interventions et ses aides au respect du droit et aux actions portant sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. La Région pourrait également inciter au développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences afin de prioriser la variable “compétences" dans les recrutements en faisant totale abstraction des données sexuées.

IF - L'égalité entre les hommes et les femmes ne passe-elle pas aussi par une meilleure insertion sociale et professionnelle de ces dernières ?

P. T. - En effet, l'insertion sociale, par les activités associatives, le sport, la culture, etc., est aussi importante que l'insertion professionnelle. Mais de nombreuses contraintes restreignent le libre choix des individus de concilier vie personnelle et vie professionnelle. Par exemple, le manque et l'inadaptation de systèmes de garde des enfants, les aspects financiers, la pénalisation de la carrière, le risque de perte de compétences, la pression des stéréotypes, etc.

Il est nécessaire de favoriser l'implantation de structures d'accueil petite enfance publiques, associatives, d'entreprises ou interentreprises, et de développer des modes de garde alternatifs. Pour ce faire, il convient d'apporter des réponses adaptées en réalisant des diagnostics partagés au sein des territoires, en fédérant les acteurs, en mutualisant outils et moyens.

De même, l'accès à la mobilité doit être facilité en réalisant un état des lieux régional des différentes aides et dispositifs de mobilité existants, puis en travaillant ensuite avec les autres collectivités et acteurs locaux sur des démarches territoriales afin de promouvoir des modes de transports dits “classiques et collectifs" ou “à la demande".

La communication et l'image de la femme sont aussi importants. Il convient d'organiser, avec les acteurs du territoire, des manifestations très médiatisées sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
Enfin, une attention particulière peut-être portée sur la prévention des violences faites aux individus (femmes et hommes) dans le cadre, notamment, des actions de formation mises en place par la Région, au sein des lycées, de l'université, des entreprises, etc. Il faut avoir à l'esprit que la sous-représentation persistante des femmes dans la société civile au sens large, dans la vie politique et la haute administration publique, constitue un déficit démocratique.

IF - La mise en œuvre de ces propositions suppose-t-elle des conditions préalables ?

P. T. - Oui, indéniablement. Un portage politique fort et affiché de la part de l'institution régionale et de ses assemblées est nécessaire, et cela suppose :

  •  de se doter de moyens humains, techniques et financiers, avec des objectifs mesurables ;
  •  d'innover en matière d'application des politiques publiques avec des démarches pour associer l'ensemble des acteurs et des actrices des territoires ;
  •  d'engager les équipes de direction de l'institution régionale pour susciter et soutenir l'existence de relais au niveau des territoires ;
  •  d'impulser des actions innovantes au regard des objectifs prioritaires, déterminés à partir des constats et des enjeux des territoires ;
  •  de mettre en œuvre des campagnes de communication et de sensibilisation tant en interne qu'en externe de l'institution régionale.
    Le suivi, l'évaluation et l'adaptation du plan d'actions sont indispensables.

Propos recueillis par Knock Billy