Compagnonnage : la formation, l'expérience et le diplôme

Par - Le 01 juin 2011.

À la sortie de sa première année universitaire en histoire, Christophe est venu se renseigner à la Maison des compagnons au cours d'une demi-journée d'information et d'orientation. “Intéressé par le métier de chaudronnier, nous avons pu lui proposer un départ immédiat sur le Tour de France dans le cadre d'un contrat d'apprentissage". Tel est l'exemple sur lequel s'appuie Thomas Guinet, directeur régional Paris-Île-de-France-Normandie des Compagnons du Devoir, pour illustrer la mise en place du nouveau cursus validé par une licence professionnelle.

Et d'expliquer : Christophe fera sa première étape à Tours où il sera accueilli, logé et nourri à la Maison des compagnons, pour apprendre les bases du métier et démarrer en même temps ce cursus “licence", en partenariat avec le Cnam. Il passera un examen dès la fin de sa première année pour obtenir un CQP “afin de sécuriser son parcours", puis poursuivra son Tour de France sur trois ou quatre ans, avec une année obligatoire à l'étranger. “À la fin de son Tour, vers 2015, il aura donc cinq ans d'expérience professionnelle, une formation qu'il aura financée lui-même, sera bilingue et se sera fait un réseau puisqu'il aura navigué dans plusieurs entreprises", souligne Thomas Guinet.

“C'est la traduction de la montée en puissance du besoin de diplôme", explique Thomas Lesne, directeur commercial et marketing national des Compagnons : “Historiquement, 80 % de nos jeunes venaient de troisième, mais le baccalauréat est devenu une sorte de norme : 67 % des jeunes ont aujourd'hui le diplôme, contre 25 % à la fin des années 1970. Avoir monté cette licence en partenariat avec le Cnam nous permet d'amener les jeunes à niveau II sans bloquer leur mobilité."

Et c'est aussi une réponse au problème des “décrocheurs universitaires", ces quelque 90 000 jeunes qui sortent chaque année de l'Université sans diplôme. “Le premier temps fort de l'orientation n'est plus la troisième", insiste Thomas Lesne, d'autant que “les jeunes vont continuer d'être aspirés vers le bac, notamment dans le cadre de la réforme du bac pro". Sans pour autant abandonner les jeunes issus de troisième, commente Thomas Guinet, “nous prévoyons de recruter environ 2 000 bacheliers ou BTS à l'horizon 2012, en leur offrant la possibilité de suivre une formation supérieure, de cumuler des expériences professionnelles et d'apprendre au moins une langue étrangère, le tout en autonomie". Et Thomas Lesne de poursuivre que “tous n'iront pas jusqu'à la licence, mais nous espérons en compter 1 000 d'ici trois à quatre ans".

Bonne nouvelle, les métiers auxquels forment les Compagnons du Devoir recrutent : “L'insertion n'est pas vraiment un cap à passer, commente Thomas Guinet, nous travaillons beaucoup plus sur le projet professionnel." Confirmation de Thomas Lesne, qui rappelle que les compagnons peuvent s'appuyer sur un réseau de 6 500 entreprises partenaires : les jeunes n'y sont pas stagiaires, font pleinement partie de l'effectif et participent sans conteste à la production. Résultat ? 94 % d'entre eux sont en poste après leur apprentissage et 75 % toujours dans leur filière métier six ans plus tard.

De fait, les 27 métiers auxquels forment les Compagnons sont d'importants pourvoyeurs d'emplois, à la fois en raison du départ à la retraite d'ici à 2015 de nombreux professionnels, notamment dans le secteur de l'alimentation (boulangers), de la construction (maçons, charpentiers, couvreurs, menuisiers, plombiers-chauffagistes, électriciens), et d'activités répondant à une forte demande : chaudronniers, carrossiers, mécaniciens, plaquistes, paysagistes. Sans oublier les “matériaux souples", qui permettent de travailler en maroquinerie, textile ou cordonnerie, et “qui pèsent réellement dans notre économie, aussi bien par l'industrie du luxe que celle de loisir", assure Thomas Guinet.

[(QUE DEVIENNENT LES COMPAGNONS ?

Placés dès leur Tour de France en situation de responsabilité, près de la moitié (44 %) des compagnons deviennent artisans ou chefs d'entreprise. 33 % occupent des postes de maîtrise et d'encadrement, 10 % sont ouvriers hautement qualifiés, 6 % architectes, décorateurs, ingénieurs, et 6 % enseignants. Les passerelles sont aussi possibles au sein même du compagnonnage, comme le montre l'exemple de Thomas Lesne, compagnon couvreur, aujourd'hui directeur commercial et marketing, et celui de Thomas Guinet, compagnon menuisier, aujourd'hui directeur régional Paris-Île-de-France-Normandie. )]

Porté par une tradition qui entend “permettre à l'homme de s'accomplir dans et par son métier dans un esprit de partage et d'ouverture", le compagnonnage s'est vu inscrire en 2010 au “Patrimoine culturel immatériel de l'humanité". Et à ceux qui verraient là la consécration d'une institution du passé, les Compagnons du Devoir entendent bien montrer qu'ils croient plus que jamais à la modernité de leurs valeurs : objectif à l'horizon 2015, l'obtention du statut “Grande école", “au même titre que les meilleurs établissements français préparant aux métiers d'ingénieurs, du commerce ou de la fonction publique".

([ORIENTATION & FORMATION

Parmi les 27 métiers inscrits au catalogue des Compagnons du Devoir et du Tour de France, celui de ferronnier d'art désigne un spécialiste du fer forgé, qui fabrique des éléments de décoration intérieure (luminaires, tables basses, etc.) ou des ouvrages pour l'extérieur (rampes d'escaliers, grilles, portails, etc.). Loin de n'exploiter que le fer, le ferronnier peut aussi travailler le cuivre, l'inox, l'acier, le plomb, etc., en fonction des pièces à réaliser. Toujours en fonction de celles-ci, il peut collaborer avec des architectes, des professionnels du patrimoine, du bâtiment. Volontiers indépendant, le ferronnier d'art a souvent le statut d'artisan, ce qui nécessite obligatoirement un brevet de maîtrise Ferronnier. )]