Développement durable : un emploi si l'on a un métier (Rendez-vous de l'emploi et de la vie professionnelle “Développement durable : et si on parlait emploi ?", Paris, 27 janvier)
Par Nicolas Deguerry - Le 16 février 2012.
Préciser les contours du “développement durable" et traduire l'expression en termes d'emplois et de filières de formation, tels étaient les objectifs de la rencontre organisée le 27 janvier par la Cité des métiers en partenariat avec France 5 Emploi[ 1 ]RDV de l'emploi et de la vie professionnelle “Développement durable : et si on parlait emploi ?", Universcience, 27 janvier 2012.. Si le concept est parfois assimilé à un secteur à part entière, les intervenants ont montré qu'il s'agissait plutôt d'une conception de l'activité économique de nature à irriguer l'ensemble des secteurs.
Inscrivant son propos dans le cadre du rapport Brundtland, Thomas Gaudin, socio-économiste à l'Ademe[ [Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie [/footnote] a ainsi rappelé qu'il s'agissait “non pas d'un secteur mais d'un principe de solidarité double, avec les générations futures et entre les générations actuelles". Comme l'explique le schéma classique du développement durable, s'ajoute au principe de solidarité un principe d'inter-relation entre les différentes sphères de l'activité humaine - environnementale, sociale et économique- qui doivent par conséquent chercher à mieux se coordonner en vue de l'objectif de développement durable. “De même que le secteur informatique n'est pas le seul concerné par la révolution informatique, tout le monde est concerné par la révolution du développement durable", estime Thomas Gaudin. Même avis pour Sylvaine Herold, chef de projet Développement durable à l'Alliance Ville Emploi, qui souligne que les enjeux du développement durable tels qu'abordés par le Grenelle de l'environnement créent “un cadre contraignant pour chaque acteur économique", avec “à la fois des risques et des opportunités" : parce que “les changements s'imposent à tous", il n'y a “pas de secteur spécifique" mais un contexte général qui “permet aux professionnels de créer de la valeur d'une manière différente et de se démarquer". Idem pour Guillaume Pascault, chargé de projet développement à la Maison de l'Emploi et des Entreprises des Bords de Marne, qui ne perçoit pas un “secteur d'activité en soi", mais souligne le “développement de liens inter-filières" en s'appuyant sur l'exemple de “l'impact de la construction écologique sur la filière agricole, appelée à produire les matières premières".
Connoté de manière positive, le développement durable attire des personnes à la fois passionnées et en quête d'une opportunité, cherchant à lier “principe de solidarité, consommation dans le respect des générations à venir, protection de la planète et volonté de donner un sens à son projet de vie et sa carrière professionnelle", considère Laurence Lavens-Guyot, déléguée générale de la Fédération Envie. Répondant à l'animateur Paul de Maricourt, conseiller emploi et parcours professionnel à la Cité des métiers de Paris, qui s'interroge sur les filières et métiers de l'économie sociale et solidaire, Guillaume Chocteau, délégué général de Ressources solidaires estime lui qu' “un peu plus de deux millions et demi de personnes, soit plus de 10% de la population active", travaille en lien avec le secteur. “On va trouver tous les métiers que l'on trouve dans l'économie capitaliste traditionnelle, plus quelques uns spécifiques, (…) mais très peu avec beaucoup de plus-value humaine voire militante, comme les chargés de mission, les chefs de projets ou les coordonnateurs". Et de préciser que 95% seront plus prosaïquement “directeur de mutuelle d'assurance, comptable ou commercial dans une banque coopérative". En termes de filières, “beaucoup de métiers vont être dans le milieu associatif, liés à l'éducation à l'environnement et au développement durable, plus tout ce qui est plutôt dans l'esprit de l'économie solidaire lié à l'éco-habitat, les habitats groupés, etc.", ajoute-t-il. En matière d'environnement, Guillaume Pascault cite le cas du BTP à partir du projet Maisons de l'emploi et développement durable porté par l'Alliance Villes Emploi, l'Ademe et le ministère de l'Écologie, qui vise à anticiper et mieux appréhender les conséquences emploi/formation liées au Grenelle de l'Environnement. “L'action est ciblée sur le secteur BTP parce qu'il est identifié comme filière de poids au niveau national et principal secteur impacté par les enjeux environnementaux. On observe bien des métiers verts, comme le métier de paysagiste ou ceux des énergies renouvelables, mais il s'agit surtout d'une prise en compte transversale dans l'ensemble de l'économie, que ce soit par la mise en place de solutions techniques et technologiques comme le photovoltaïque ou l'utilisation de produits respectueux de l'environnement. Autre impact, le recours à des modèles et modes de production moins consommateurs d'énergie, la conception et la fabrication de produits plus durables qui garantissent la réussite du modèle économique (...). En termes d'emplois et de métiers, cela se traduit essentiellement par des mutations et des évolutions de métiers dits traditionnels : on monte en compétences ou on développe des compétences différentes", explique-t-il.
Si les compétences à maîtriser sont souvent “hautement techniques", souligne Sylvaine Herold, la professionnalisation peut certes passer par la formation mais aussi par une “sensibilisation poussée", remarque-t-elle. “Tous les métiers ne demandent pas de qualification, on peut se former en assistant à des conférences ou en profitant de l'expérience des pairs", renchérit Guillaume Pascault. Et quand la formation formelle apparaît nécessaire, on pourra aussi ne pas oublier que les modalités de professionnalisation sont aussi fonction “de l'âge et/ou de l'expérience" : VAE, parcours modulaires, etc., permettront alors de “réduire le cycle de formation des professionnels en exercice", rappelle-t-il.
Tension sur l'information
Le développement durable peut-il tenir lieu de projet professionnel ? C'est la question qui se pose quotidiennement aux acteurs de l'orientation qui doivent, d'une part, inviter les candidats à inscrire leur projet dans le cadre d'une filière de formation et d'emploi réaliste, de l'autre, s'efforcer de répondre à la demande d'information brute sur les "métiers du développement durable". Démonstration avec l'ouvrage d'orientation Croissance verte, zoom sur 50 métiers[Publié en 2010 par le ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement Durable et de la Mer et la Documentation française.[/footnote], dont l'objectif fixé par Jean-Louis Borloo et Valérie Létard,[ 2 ]Alors respectivement ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement Durable et de la Mer et secrétaire d'État au développement durable. est “d'inviter le lecteur à découvrir l'incroyable diversité des métiers liés à la croissance verte". De fait, le lecteur apprendra qu'à de rares exceptions (monteur d'éoliennes, installateur conseil en solaire photovoltaïque, …), l'essentiel de l'offre est constitué de métiers traditionnels impactés par le Grenelle de l'Environnement. Ainsi, par exemple, du dessinateur projeteur automobile amené à concevoir des véhicules recyclables, du diagnostiqueur immobilier qui devient un expert de la performance énergétique ou du capitaine de pêche promu défenseur des espèces fragiles ou menacées. Ne pas présenter la croissance verte comme une source de débouchés autonome, sans pour autant sous-estimer les opportunités, tels sont les enjeux de communication et d'information du développement durable. En matière d'emplois verts, souligne Thomas Gaudin, socio-économiste à l'Ademe, “nous n'arrivons pas à avoir une vision nationale des métiers, même si des travaux existent, comme ceux de l'[Observatoire national des emplois et métiers de l'économie verte". Pas de chiffres précis ventilés par métier, donc, mais tout de même des indicateurs de la réalité économique de la croissance verte, comme ces données Pôle Emploi qui indiquent que les offres d'emploi concernant l'économie verte ont représenté 12% du total collecté en 2010. En tout état de cause, “vouloir travailler dans l'économie sociale et solidaire ou le développement durable ne veut pas dire grand chose", prévient Guillaume Chocteau. Dans bien des cas, il s'agit surtout “d'intégrer une dimension verdissante", et donc de se positionner avant tout dans une “logique métier" : “pour trouver un offreur de poste, il faut que vous vous présentiez comme un offreur de compétences", insiste-t-il. “La question de l'éthique, de l'humanité du poste, sera le supplément d'âme". Esprit militant oblige, on multipliera ses chances de décrocher le poste envié si l'on peut se prévaloir d'un riche “parcours extra-professionnel, notamment en matière de bénévolat", avertit le délégué général de Ressource solidaires.
En soi vertueux selon ses promoteurs, le développement durable l'est d'autant plus qu'il s'inscrit dans l'économie sociale et solidaire, cadre protecteur face à la crise : “la logique de développement durable protège des logiques de rentabilité financière de court terme", souligne ainsi Guillaume Chocteau. Elle renforce aussi le “développement territorial local", ajoute Laurence Lavens-Guyot : “favoriser l'emploi local par la proximité entre les matières premières et les salariés est un gage de pérennité", ceci “d'autant plus que le résultat n'a pas pour vocation de rémunérer les capitaux mais d'être réinvesti dans l'outil de travail". Attention toutefois, le concept n'est pas non plus insensible aux politiques publiques : “depuis un an, on commence à avoir des destructions de l'emploi associatif", observe Guillaume Chocteau. Notamment en cause selon lui, “la fin du plan Borloo sur les services à la personne et la RGPP[ 3 ]Révision générale des politiques publiques., avec ses conséquences sur le milieu sanitaire et social du fait des fusions".
L'enregistrement vidéo de la rencontre sera bientôt disponible sur le site de la Cité des métiers de Paris
Notes
1. | ↑ | RDV de l'emploi et de la vie professionnelle “Développement durable : et si on parlait emploi ?", Universcience, 27 janvier 2012. |
2. | ↑ | Alors respectivement ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement Durable et de la Mer et secrétaire d'État au développement durable. |
3. | ↑ | Révision générale des politiques publiques. |