Les processus d'“orientation contrariée" des jeunes issus de l'immigration
Par Nicolas Deguerry - Le 01 septembre 2012.
Si l'orientation pour tous est l'ambition de la loi du 24 novembre 2009, une étude du Céreq [ 1 ]“Parcours de formation et d'insertion des jeunes issus de l'immigration au prisme de l'orientation." vient cependant montrer qu'“orientations et parcours d'études sont fortement corrélés avec les origines sociales et culturelles". Des premiers choix contrariés au chômage, Yaël Brinbaum [ 2 ]Sociologue, chercheure au Centre d'études de l'emploi, associée à l'Institut national d'études démographiques et à l'Institut de recherche sur l'éducation. et Christine Guégnard [ 3 ]Chargée d'études à l'Institut de recherche sur l'éducation (CNRS, Université de Bourgogne) pour le Centre associé au Céreq, Dijon. démontrent un impact significatif des processus d'orientation sur les parcours de formation et d'insertion issus de l'immigration.
S'appuyant sur des données longitudinales recueillies auprès de la génération 2004, ils ont analysé l'impact des choix d'études en fin de troisième et de terminale, avec cette conclusion à la clé : les inégalités constatées en matière d'orientation ne sont pas étrangères aux difficultés d'insertion professionnelle des jeunes issus de l'immigration, et particulièrement ceux originaires du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne. L'étude du premier grand “palier" d'orientation montre ainsi qu'ils sont plus nombreux à connaître une “orientation par défaut" à l'issue de troisième, qu'il s'agisse d'une orientation subie en filière professionnelle ou d'un désaccord quant à la section d'affectation. Lorsque le choix d'une filière longue et générale n'est pas accordé, le ressenti d'une “orientation contrariée" est d'autant plus fort pour les jeunes d'origine maghrébine et turque qu'ils sont plus nombreux que les Portugais et Français de milieu ouvrier à vouloir “éviter les filières professionnelles courtes et les métiers auxquelles elles mènent".
Bien que pour partie liés au milieu social et au niveau scolaire, les décalages observés sont bel et bien accentués par l'origine, “les jeunes issus de l'immigration subissant deux fois plus une orientation contrariée, à caractéristiques scolaires et sociales équivalentes". Bien que “complexe" à mesurer du fait du nombre de paramètres à prendre en compte (retard pris dans le primaire, exercice ou non d'une profession par la mère, etc.), les chances de réussite au diplôme d'un jeune “encore réduites s'il a connu une orientation contrariée".
Des inégalités qui s'additionnent
Contrariée dans le secondaire, l'orientation l'est aussi dans le supérieur, avec les mêmes conséquences. Le constat d'inégalités d'accès aux filières STS [ 4 ]Sections de techniciens supérieurs. au détriment des jeunes originaires du Maghreb interrogent les auteurs, qui ne dédouanent pas le système de sélection d'une “éventuelle discrimination", même s'ils relèvent par ailleurs le “décalage entre de fortes ambitions (…) et les réussites scolaires antérieures". Plus poussées que les garçons à “l'autosélection", les filles adopteraient plus facilement un “choix de compromis", de nature à les conduire davantage à l'Université ou dans les écoles de la santé et du social.
Les parcours de formation se différencient en fonction du niveau atteint, mais aussi du domaine et du genre. Tout comme l'orientation contrariée nuit à la réussite, l'origine a une incidence réelle, avec, par exemple, plus de deux fois plus de sorties sans diplôme pour les jeunes garçons originaires du Maghreb que pour ceux originaires du Portugal, près de cinq fois plus pour les filles. Les auteurs relèvent également que les garçons issus de l'immigration titulaires d'un bac pro ou d'un BTS, se tournent davantage vers les domaines commerce-vente et comptabilité-gestion, “spécialités des services qui offrent le moins d'opportunités professionnelles". S'agissant du genre, des filières restent fortement sexuées, quel que soit le pays d'origine, avec une majorité de filles optant pour quatre spécialités tertiaires (secrétariat-bureautique, commerce-vente, comptabilité-gestion, sanitaire et social).
Au-delà du vécu de leur orientation qui explique une partie de leurs difficultés d'insertion, les jeunes issus du Maghreb, de l'Afrique subsaharienne et de Turquie ont ainsi trois à quatre fois plus de chances de connaître un “chômage persistant durant leurs trois premières années de vie active, (…) à parcours d'études et caractéristiques individuels équivalents".
Notes
1. | ↑ | “Parcours de formation et d'insertion des jeunes issus de l'immigration au prisme de l'orientation." |
2. | ↑ | Sociologue, chercheure au Centre d'études de l'emploi, associée à l'Institut national d'études démographiques et à l'Institut de recherche sur l'éducation. |
3. | ↑ | Chargée d'études à l'Institut de recherche sur l'éducation (CNRS, Université de Bourgogne) pour le Centre associé au Céreq, Dijon. |
4. | ↑ | Sections de techniciens supérieurs. |