Orientation et insertion professionnelles : redonner confiance par le théâtre
Par Nicolas Deguerry - Le 16 mai 2012.
Pendant deux mois, huit jeunes franciliens bénéficiaires du dispositif “Avenir jeunes" ont travaillé à l'élaboration d'un spectacle intitulé “Ma langue d'où je viens", présenté le 2 mai à la Cité des métiers de Paris. Thème retenu par les jeunes et leurs formateurs : les difficultés de communication entre la jeune génération en quête d'insertion et les institutions.
Sans diplôme ni qualification pour les uns, en rupture d'intérêt avec le métier auxquels ils étaient préparés pour les autres, les comédiens d'un jour montent tour à tour sur scène pour camper leurs relations avec Pôle emploi. Face à l'une de leurs camarades incarnant le rôle d'une chargée d'accueil, le ton monte rapidement. Enfermement dans les procédures administratives empêchant toute humanisation de la relation d'un côté, agressivité verbale et bientôt physique de l'autre, le sentiment d'impasse est vite atteint. Caricature ? Pas davantage que lorsqu'un conseiller anonyme décrit le quotidien d'un guichet [Confessions d'une taupe à Pôle emploi, Calmann-Lévy, 2010.[/footnote], ou lorsque l'ancien président de l'Unedic Gaby Bonnand livre son tour de France [ 1 ]Pôle emploi - De quoi j'me mêle ?, Éditions de l'Atelier, 2012. “Nous essayons d'être moins caricaturaux que ce qui a été vu, mais par moments, il nous arrive de l'être...", commente le directeur de la [Cité des métiers, Olivier Las Vergnas.
Apprendre à communiquer
Prétexte à l'expression du point de vue de ces jeunes sur les questions d'insertion, le spectacle est aussi pour eux l'occasion d'une prise de parole publique leur permettant d'apprendre à se présenter : “Il y a d'abord eu un travail sur la cohésion d'équipe pour que le groupe existe de façon solidaire ; nous avons ensuite travaillé sur le langage, en nous préoccupant de faire en sorte que chacun puisse trouver les mots pour dire d'où il venait, vers quoi il allait et ce qu'il désirait. La dernière étape, conduite avec Kamel Bouali, a été de donner une forme théâtrale à ces fragments d'histoire pour que tout cela existe au travers d'un objet présenté et entendu", explique Yves Adler, comédien et formateur à Act'émot, l'association en charge du projet théâtral.
Et de fait, sur scène, les statistiques du “décrochage" s'incarnent : pêle-mêle, ceux qui se sont fait renvoyer, ceux qui ne font plus rien et ceux qui ont abandonné côtoient ceux qui ne veulent surtout pas transformer en emploi une première qualification acquise en dehors de tout intérêt. Tous en quête d'insertion, ils sont aussi sur scène pour faire part de leurs souhaits : gardien de la paix, animateur radio, en maison de retraite ou pour jeunes enfants, etc. Autant de projets pour lesquels ils sont accompagnés dans le cadre d'Avenir jeunes, le dispositif d'insertion professionnelle de la Région Île-de-France à destination des 16-25 ans sortis du système scolaire sans qualification et/ou sans projet professionnel ou arrivés de l'étranger.
S'ouvrir au monde
Après avoir repris confiance au cours de cette expérience collective, ils vont désormais rentrer dans une phase individuelle d'élaboration de projet professionnel, aux côtés de Laser et d'Astrolabe, deux organismes mandataires du dispositif. “Ils auront notamment des stages en entreprise, qui leur permettront de valider leurs hypothèses. C'est important, car ils ont très peu de représentations du monde du travail et peu d'entre eux connaissent les contenus, voire l'intitulé, du travail exercé par leurs parents", explique Estelle Collet, coordinatrice du pôle de projet professionnel du centre de la Seine-Saint-Denis à Astrolabe.
Principal apport du projet théâtral à ses yeux, “la fierté retrouvée, qui peut permettre de débloquer d'autres choses". Et d'expliquer : “En permettant une mise à distance, le théâtre est l'un des meilleurs outils pour leur faire comprendre qu'ils peuvent conserver leur personnalité tout en s'adaptant au contexte spécifique du monde du travail."
À l'origine du choix de présenter le spectacle dans le cadre de la Cité des métiers, Estelle Collet souligne la dimension “valorisante" d'un tel partenariat : “Ils ne sont pas habitués à bénéficier d'un intérêt d'institutionnel, cela apporte une dynamique au projet."
Relever le défi
Bien sûr, tous les jeunes n'adhèrent pas et seuls huit des quinze participants initiaux étaient au rendez-vous du 2 mai. “Ceux qui sont partis ne voulaient pas faire du théâtre, mais rentrer directement en formation, passer à l'acte", commente Fousseini Coulibaly, jeune de 18 ans hébergé en Foyer de jeunes travailleurs. Lui, qui a abandonné ses études de secrétariat et se rêve maintenant plombier, a trouvé le théâtre “utile pour gagner en confiance en soi et apprendre à placer sa voix, se faire entendre". Même sentiment pour Marina Amrane, 19 ans, qui avoue pourtant avoir “voulu abandonner : je percevais l'atelier théâtre comme un plus pour mon CV et j'en attendais une amélioration de mon expression, mais je ne comprenais pas la pertinence du temps préparatoire, des exercices de respiration… Je voulais aller droit au but !" Pourquoi est-elle restée ? “Une discussion avec le formateur m'a remotivée et, finalement, je suis contente d'avoir établi un gros travail sur moi-même", conclut-elle.
Si, les jeunes sont nombreux à avoir, semble-t-il, rencontré des moments de découragement, tous les professionnels saluent leur performance : “Au bout de vingt ans, cela m'épate toujours qu'ils arrivent à faire ça en bout de parcours, commente Estelle Collet. Il n'y aura peut-être pas de résultats immédiats, mais nous avons au moins mis une petite graine qui leur permet de voir qu'ils peuvent accéder à d'autres choses." La nécessité d'entrer en communication est aussi affirmée par Olivier Las Vergnas : “Je ne suis pas sûr que vous serez entendus aussi bien que vous le voudriez, mais je pense que ce qui est important, c'est que vous ne lâchiez rien. Vous avez le droit de demander à être entendus et il faut continuer de demander à l'être", leur lance-t-il à la fin du spectacle.
Notes
1. | ↑ | Pôle emploi - De quoi j'me mêle ?, Éditions de l'Atelier, 2012. |