Jean-Michel
Besnier
Conformément aux recommandations du rapport Hetzel [Le rapport Hetzel, “De l'Université à l'emploi, octobre 2006", est consultable sur le site du débat Université et emploi" : [www.debat-universite-emploi.education.fr]], nombre d'initiatives de rapprochement entre l'Université et le monde de l'entreprise voient le jour. Jean-Michel Besnier, délégué à la professionnalisation et aux relations avec les entreprises à la Sorbonne Paris-IV, décrit un processus difficile, mais incontournable.
Par Centre Inffo - Le 23 janvier 2007.
Inffo Flash : Professeur agrégé de philosophie, vous venez d'être nommé délégué à la professionnalisation et aux relations avec l'entreprise de la Sorbonne Paris-IV. Le défi n'est-il pas lourd à relever dans un établissement aussi emblématique de la culture des “humanités" ?
Jean-Michel Besnier : Notre Université est de fait sensibilisée au rapprochement entre Universités et entreprises depuis longtemps. Ainsi, Paris-IV m'a approché en tant que professeur de philosophie à l'Université technologique de Compiègne et à Centrale, pour monter alors un DESS “conseil éditorial et gestion des connaissances" destiné aux étudiants en philosophie. Nous sommes partis du principe que ces étudiants sont totalement réceptifs à la culture de l'immatériel, à la société de l'information et de la communication qui fait les emplois qualifiés d'aujourd'hui. Aujourd'hui, 70 % des étudiants en philosophie ont accès à un emploi en CDI, avec des embauches de plus en plus rapides. à Paris-IV, on ne “démonise" pas l'entreprise. C'est une démarche décisive pour que nos étudiants ne restent pas sur le carreau...
Inffo Flash : Comment comptez-vous rapprocher les milieux universitaires et professionnels ? Pensez-vous que la professionnalisation des cursus soit pour demain ?
Jean-Michel Besnier : L'Université a ouvert ses portes voici une trentaine d'années aux professeurs associés temporaires qui viennent des milieux professionnels. Ils y apportent forcément leur culture. Par ailleurs, on compte de plus en plus de chefs d'entreprise dans les instances dirigeantes des Universités comme les conseils d'administration ou les conseils scientifiques. Pour ce qui est de la professionnalisation des cursus, le processus est complexe. Le système LMD (licence, master, doctorat) est ouvert par sa transdisciplinarité et la collaboration inter universitaire, mais lorsqu'un cursus est bouclé, c'est pour quatre ans. On ne peut y toucher. Il nous faut donc amorcer le mouvement en proposant des activités optionnelles. Ainsi, nous projetons à Paris-IV la création d'un club de chefs d'entreprise qui animeront des tables rondes dont les thèmes seront directement liés à la vie professionnelle. Prochainement, une antenne de l'APCE [ 1 ]Agence pour la création d'entreprise. va s'ouvrir dans des locaux de la Sorbonne avec du personnel détaché pour informer les étudiants désirant créer leur propre activité. Nous allons par ailleurs recruter un ingénieur d'études pour lancer et accompagner des initiatives de rapprochement avec l'entreprise.
Inffo Flash : Le monde économique et de l'entreprise a-t-il déjà pris contact avec vous pour monter des projets communs ?
Jean-Michel Besnier : Je dirais que nous sommes même assaillis de demandes. Pricewaterhouse-Coopers, le cabinet de conseil international, s'est adressé à nous dans le cadre de la professionnalisation de nos étudiants de troisième année. Nous sommes en pourparlers sur la forme que celle-ci pourrait prendre, formation de six semaines en interne ou contrat de professionnalisation. La CGPME nous a également contactés.
Inffo Flash : Qu'est-ce qui motive ces entreprises multinationales à recruter des philosophes ?
Jean-Michel Besnier : De fait, ces entreprises recrutent volontiers des diplômés d'écoles de commerce et de gestion. Ceux-ci répondent parfaitement aux problèmes de gestion courante, mais leur formation ne leur a pas procuré assez de cette souplesse intellectuelle qui permet la vraie créativité. Or, nous sommes dans une période où la survie des entreprises passe précisément par l'innovation. Par ailleurs, le management des connaissances devient crucial aussi pour réagir à la concurrence. General Electric n'hésite pas à recruter des philosophes pour les fonctions de veille informationnelle.
Inffo Flash : Paris-IV figure parmi les Universités qui vont accueillir en février prochain les élèves de terminale souhaitant s'y inscrire. Ce processus de pré-orientation revêt-il un caractère sélectif ?
Jean-Michel Besnier : Les données que nous recueillons depuis 2003 grâce à la mise en place de l'Observatoire de l'insertion professionnelle de nos étudiants vont constituer des éléments tangibles à rapprocher des souhaits et des dossiers scolaires qui nous serons présentés. Cette procédure ne constitue en aucun cas une sélection à l'entrée. Elle vise cependant à éviter les abandons précoces et à orienter quand cela s'avère nécessaire vers des filières plus courtes, de type BTS.
Inffo Flash : Faire évoluer les moyens des Universités en fonction de leur performance en matière d'insertion professionnelle, démarche suggérée par ce même rapport, vous semble-t-il une mesure équitable ?
Jean-Michel Besnier : Faire évoluer les moyens des Universités en fonction du taux d'insertion professionnelle de leurs étudiants constituerait à mes yeux une injustice. Avec une telle logique, les universités lyonnaises ancrées dans un bassin d'emploi extrêmement riche et varié seraient très favorisées par rapport à celle de Saint-Étienne... Il faudrait trouver des éléments de pondération à une telle logique de financement, pour qu'elle n'entraîne pas d'injustice. De même, je pense qu'il faut sortir de la logique simpliste du financement des Universités en fonction du seul nombre de leurs étudiants.
Propos recueillis par Renée David-Aeschlimann
Notes
1. | ↑ | Agence pour la création d'entreprise. |