Moctar
Ouane
Dans la perspective du sommet Afrique-France qui s'est tenu à Cannes les 15 et 16 février, Moctar Ouane, hôte de la conférence ministérielle préparatoire de Bamako (Inffo Flash n° 696 p. 12), a répondu à nos questions.
Par Centre Inffo - Le 27 février 2007.
Inffo Flash : Voici plus d'un an, en décembre 2005, sous la présidence du Mali, les responsables politiques africains et français ont réaffirmé la nécessité d'adapter les systèmes de formation aux réalités et aux besoins des pays africains. Depuis cette date, quelles actions ont été menées ?
Moctar Ouane : Je vous remercie tout d'abord de l'intérêt que vous accordez au thème de la 23e conférence des chefs d'État et de gouvernement d'Afrique et de France, et de ce rappel de ses résolutions. Le sommet de Bamako a été un sommet historique, pour avoir contribué à remettre dans l'agenda international les problèmes liés à notre jeunesse à travers le thème “La jeunesse africaine : sa vitalité, sa créativité et ses aspirations".
Dans sa déclaration finale, le sommet a mis l'accent sur l'urgente nécessité de redonner espoir et confiance à la jeunesse de notre continent, et de définir des perspectives lui permettant de jouer pleinement le rôle qui lui revient dans le contexte de la mondialisation. À cet égard, la conférence de Bamako a souligné avec force conviction le rôle primordial de l'éducation de base et de la formation professionnelle pour accéder à l'emploi, y compris dans les zones rurales, et la nécessité d'adapter les systèmes éducatifs et de formation aux réalités et besoins de modernisation des pays africains.
L'état des lieux de l'emploi des jeunes fait ressortir la marginalisation d'une grande partie des forces productives, particulièrement celle des jeunes dans l'ensemble des pays africains. Cette situation s'explique, entre autres, par les difficultés de la formation universitaire, professionnelle et technique qui a longtemps souffert de l'absence de vision programmatique. Peu adaptés aux besoins actuels des économies de nos pays, les curriculae de formation proposés sont en inadéquation par rapport à l'offre du marché de l'emploi.
À titre d'illustration, le chômage touche au Mali 9 % de la population active. Paradoxalement, ce chômage touche plus les diplômés et les personnes instruites que les non-diplômés. Selon les statistiques du ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle, le taux de chômage des titulaires du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) et du brevet de technicien (BT) atteint les 18 % ; celui des titulaires de licence, maîtrise et plus, 19,4 %. En revanche, le taux de chômage de personnes sans instruction est seulement de 7,5 %.
Ces dysfonctionnements ont été stigmatisés par les décideurs publics à travers plusieurs forums. Il en est ainsi du dernier sommet Afrique-France de Bamako, des Assises francophones de la formation professionnelle et technique tenues à Bamako en 1998 et en février 2000, du Congrès international pour le développement de l'enseignement technique et professionnelle organisé par l'Unesco à Séoul en avril 1999.
Faisant siennes ces recommandations, le gouvernement du Mali, sous l'impulsion du président Amadou-Toumani Touré, a placé au cœur de ses priorités la question de l'emploi, particulièrement l'emploi des jeunes. Dans cette perspective, mon pays, le Mali, a jeté les bases d'une nouvelle vision des stratégies de développement de l'emploi des jeunes, avec comme axe majeur la compétitivité et le développement de l'initiative privée.
Cette option est clairement mentionnée dans la lettre de cadrage du président de la République et la lettre de mission du Premier ministre adressée au ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle.
Cette volonté s'est concrétisée par la création du Fonds d'appui pour la formation professionnelle et l'apprentissage (Fafpa), de l'Observatoire pour l'emploi et la formation (OEF), par l'érection d'un département ministériel de plein exercice chargé de la formation professionnelle, la restructuration de l'ex-Office national de la main-d'œuvre et de l'emploi. Nous avons aussi créé une Agence pour l'emploi des jeunes (Apej) et une Direction nationale de la formation professionnelle.
Cette dernière a permis de créer des milliers d'emplois au profit des jeunes diplômés au sein des services de l'État. Dans le cadre de la nouvelle loi d'orientation agricole, dont le Mali vient de se doter, un accent particulier est mis sur l'emploi rural qui bénéficie de l'appui de l'Apej à travers l'octroi de fonds d'installation dans les périmètres irrigués et des moyens mécanisés de travail.
Inffo Flash : Comme le fera également, sans doute, le prochain sommet, qui se déroulera le 15 février prochain à Cannes (France), la rencontre ministérielle de Bamako a rappelé vos préoccupations pour le renforcement des capacités de développement et de mobilité des compétences sur le continent. Juste des intentions, ou de vrais engagements ?
Moctar Ouane : Au-delà des bonnes intentions, la question du renforcement et de la mobilité des capacités relève assurément pour nous d'une conviction bien établie, voire d'un devoir de génération. Pour sortir l'Afrique de sa situation actuelle, il n'y a pas d'autre alternative que l'éducation et la formation continue de l'“intelligentsia" aux fins de renforcer et de maximiser constamment ses capacités, seul moyen susceptible d'impulser une dynamique de développement.
Cet idéal passe par la valorisation et le renforcement des ressources humaines. C'est là toute la justification du programme de développement institutionnel (PDI) et son plan opérationnel 2005-2007 dont s'est doté le Mali. Il s'agit, à travers ce programme, d'entreprendre une réforme d'ensemble de l'administration, avec un accent particulier sur le renforcement des capacités pour conforter le cadre institutionnel de la gouvernance dans une perspective de développement durable.
Nos États ne pourront atteindre un haut degré de performance sans le renforcement des capacités des personnels tant du secteur public que privé. À l'heure de la mondialisation et aussi de l'intégration régionale, il est urgent de renforcer la mobilité des compétences pour plus de synergie et de complémentarité.
Inffo Flash : La “fuite des cerveaux" africains vers l'Occident a été un des points forts de votre rencontre. En quoi les initiatives prise par le Mali, notamment le concept de l'Agence pour l'emploi et le développement, pourraient-elles freiner l'exode des compétences et favoriser leur retour au pays ?
Moctar Ouane : La “fuite des cerveaux" et la capacité des États africains à maîtriser ce phénomène est une question très sensible. Le constat réel est que ce phénomène prive le continent de compétences précieuses, même s'il faut reconnaître que les Africains de l'étranger, dans un pays comme le Mali, contribuent de façon substantielle au développement du pays.
Pour autant, nous sommes convaincus que l'édification d'une Afrique prospère ne peut se réaliser si les Africains qualifiés sont hors d'Afrique et s'ils continuent à quitter le continent. C'est pourquoi il nous faut travailler à réunir les conditions permettant de retenir les jeunes et faciliter la réinsertion de ceux qui décident de retourner dans leur pays d'origine. Cela passe par la création de structures adaptées et par une politique de l'emploi incitative.
C'est tout le sens des initiatives intéressantes développées par le Mali à l'image du projet “Tokten" (Transfert of knowledge through expatriate national) consistant à encourager le retour au Mali des chercheurs et universitaires de notre diaspora disséminés aux quatre coins de la planète, et leur remise en réseau avec leurs collègues de l'Université de Bamako pour le développement de programmes communs. La création de l'Apej, destinée à offrir des emplois et des stages de qualification aux jeunes diplômés, participe également de l'objectif de fixer les compétences dans leurs pays d'origine.
Propos recueillis par Knock Billy