François
Sévérin
Comment relancer le développement d'un pays affaibli par une longue période d'instabilité, une économie peu diversifiée et un taux d'analphabétisme considérable ? François Sévérin en est convaincu : la formation professionnelle est l'une des solutions incontournables.
Par Centre Inffo - Le 29 octobre 2007.
Inffo Flash : Quelles actions avez-vous mises en place pour la reconstruction de votre pays ?
François Sévérin : Notre pays est essentiellement agricole : 61 % des 8 millions d'Haïtiens vivent de l'agriculture. Pour permettre aux paysans d'avoir des revenus leur permettant de participer au développement durable du pays, l'État a décidé d'accélérer le processus de décentralisation. Il s'agit tout simplement de donner aux collectivités territoriales la possibilité de prendre en main leur propre développement : en fixant elles-mêmes les axes prioritaires de leur développement dans toute sa globalité (économie, santé, agriculture, éducation, formation professionnelle, etc.), en initiant elles-mêmes des partenariats avec d'autres collectivités ou communautés pour les accompagner dans la mise en œuvre des programmes de développement envisagés.
Inffo Flash : Quelle place accordez-vous à la formation professionnelle dans cette politique ?
François Sévérin : La formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, nous semble la voie la plus adaptée pour développer notre pays. Fait non négligeable, le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse et des Sports a été transformé en ministère de l'Éducation nationale et de la Formation professionnelle, pour mettre en mouvement cette volonté politique de développer les compétences pratiques et immédiatement utiles à notre économie.
Près de la moitié de la population haïtienne est analphabète. Dans mon ministère, par exemple, la lutte contre l'illettrisme, la formation aux savoirs de base (lire, écrire, compter) et aux savoirs pratiques dans le milieu rural est une de nos priorités. Nous avons initié des programmes de formation qui visent à développer les capacités des agriculteurs à maîtriser leurs produits, à mieux les transformer, aussi bien pour la consommation nationale que pour l'exportation.
Nous avons à Haïti beaucoup d'établissements qui forment un nombre important de professionnels dont ont besoin les différents secteurs de notre économie. Cependant, ceci n'est pas suffisant et nous oblige à faire appel à la coopération avec d'autres pays, aussi bien du Sud que du Nord, pour la formation professionnelle initiale ou continue des acteurs haïtiens. C'est le cas, par exemple de Cuba, qui forme actuellement plus de 1 000 professionnels de la médecine générale, spécialisée et vétérinaire. Nous ne cherchons pas à former que des professionnels de haut niveau, nous formons également des cadres intermédiaires et des agents de base. Tous, chacun à son niveau, ont leur rôle à jouer pour le développement de notre pays.
Une de nos difficultés est que la plupart des professionnels que nous formons partent mettre leurs compétences au service d'autres pays. Nous essayons, par de multiples initiatives, de retenir nos compétences en Haïti et d'encourager celles qui se sont expatriées à y revenir.
Inffo Flash : Mais que faites-vous pour améliorer le marché du travail et réduire le taux de chômage, qui toucherait près de huit personnes sur dix ?
François Sévérin : Un des atouts de la coopération décentralisée est d'impliquer les différents acteurs (paysans, politiques, etc.) sur les territoires, afin de trouver ensemble des pistes réalistes de création d'emploi, de sécurité alimentaire, dans le cadre d'un développement durable. Il faut désormais – et nous y sommes tous engagés –
que les décisions et les projets de développement soient élaborés au plus près des collectivités en tenant compte de leurs besoins. Il s'agit donc de revoir notre approche du développement et de mieux gérer les aides de la communauté internationale.
Vous savez, Haïti est, selon les chiffres, le seul “pays moins avancé" des Amériques : en 2006, le PIB par habitant est estimé à 480 dollars américains, les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté (moins de 2 dollars américains par jour et par personne, 50 % de la population survivant même avec moins de 1 dollar américain par jour) et 1 % de la population détient 50 % de la richesse du pays. Environ 80 % des Haïtiens sont touchés par le sous-emploi.
Inffo Flash : Pouvez-vous nous donner un exemple d'action mise en œuvre par votre ministère dans ce cadre ?
François Sévérin : À Marmelade, dans les montagnes du nord d'Haïti (région de l'Artibonite), une zone de production de café, nous avons, à travers un projet de formation, permis aux agriculteurs de mieux prendre en charge leur développement personnel et collectif, d'augmenter leurs revenus par la diversification et l'intensification de la production agricole et l'amélioration de la productivité des terres. Résultat : la livre de café est passée de 8 gourdes[ 1 ]La gourde haïtienne vaut au cours actuel 0,0079 euro. Huit gourdes équivalent donc à 6 centimes d'euro, 48 gourdes à 37 centimes. en 2000, à 48 gourdes en 2006. Un paysan qui a multiplié par six ses revenus ne peut, à son tour, que créer des emplois. Cette initiative ne se limite pas qu'aux producteurs de café, d'autres filières (fruits, bambous, etc.) sont concernées.
Dans tous les cas, nous essayons de faire en sorte que les jeunes comprennent que les techniques agricoles ont évolué et qu'il nous faut nous y adapter, par les équipements, mais surtout par une mise à niveau, donc par la formation professionnelle. Nous avons besoin pour y parvenir de l'accompagnement de partenaires du Sud et du Nord. L'aide de la France (aussi bien l'État que les collectivités territoriales) nous est précieuse. La Région Aquitaine[ 2 ]Cf. Inffo Flash n° 710, p. 13. est avec nous, dans les communes du littoral nord à travers un programme d'aménagement du territoire, dans le cadre d'un projet de reboisement et de transfert de savoir-faire en matière de gestion forestière et surtout d'appui à l'élaboration d'outils de planification territorial, via la formation professionnelle.
Propos recueillis par Knock Billy
Notes
1. | ↑ | La gourde haïtienne vaut au cours actuel 0,0079 euro. Huit gourdes équivalent donc à 6 centimes d'euro, 48 gourdes à 37 centimes. |
2. | ↑ | Cf. Inffo Flash n° 710, p. 13. |