Olivier

Liaroutzos

Dans le cadre de ses 10 ans, l'Observatoire régional des métiers (ORM) a organisé le 1er avril un séminaire régional, pour réfléchir sur la “logique adéquationniste" entre formation et emploi.

Par - Le 15 avril 2008.

Inffo Flash - En quoi les pratiques mises en œuvre dans le cadre de la décentralisation contribuent-elles à la construction d'alternatives à l'adéquation entre la formation et l'emploi ?

Olivier Liaroutzos - L'histoire de l'Obser-vatoire régional des métiers (ORM), de l'ensemble des Observatoires régionaux emploi-formation (Oref) et des Carif,
l'histoire de la décentralisation et de la déconcentration, et celle des politiques publiques en matière d'emploi et de formation, toutes sont étroitement liées. Vingt-cinq années de décentralisation ont conduit progressivement les Régions à partager avec l'État des compétences sur l'éducation et la formation. Les logiques adéquationnistes qui avaient prévalu jusqu'au VIIe plan (fin des années 1970) ont été remises en cause dans un contexte où le marché du travail commençait à connaître de sérieuses
difficultés, en particulier pour les plus jeunes. Au début des années 1980, ont débuté les processus de décentralisation et de déconcentration, non achevés à ce jour, qui mettent de nouveaux acteurs en relation au niveau régional. Émergeaient alors des initiatives visant à doter l'échelon régional d'outil d'aide à la décision. C'est dans ce contexte que l'ORM a fait ses premiers pas.

Le mode de pensée “mécaniste", qui veut que, pour répondre à des besoins de main-d'œuvre dans des secteurs spécifiques, il suffit de former des publics de niveau de qualifications correspondant à ces besoins, a été critiqué. Cette approche mécaniste ne tient pas compte de la logique individuelle, de la mobilité des salariés, de leur propension à se positionner sur des métiers attrayants ou pas.

En effet, dès les premières lois de décentralisation de 1982 et 1983, l'État a transféré aux Régions des compétences en matière d'éducation et de formation. Du côté des politiques de l'emploi, il s'est agi de “déconcentration", de “globalisation" et de “territorialisation". Ces processus, fonctionnant étape par étape, sont encore inachevés – ainsi, la commande publique de l'Afpa ne sera transférée qu'en 2009. Des vagues successives de mesures ont ainsi versé aux Régions différents programmes de l'État : le crédit formation individualisé (CFI) pour les adultes, pour les jeunes. Plus récemment, les formations initiales dans le secteur sanitaire et social. La Région, au travers du PRDFPJ, puis du plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), s'est trouvée confortée dans son rôle de coordination et de mise en cohérence des dispositifs. Une agitation institutionnelle propice à la recherche de nouvelles grilles d'analyses et de nouvelles
pratiques. C'est du moins l'hypothèse de notre séminaire du 1er avril dernier. La décentralisation génère donc des modes de partenariat entre l'ensemble des acteurs (institutionnels, partenaires sociaux, monde du travail, services
déconcentrés de l'État, Conseil régionaux). Car plus nous sommes dans des démarches locales et de proximité, plus nous intégrons les pratiques des personnes et essayons de les comprendre afin de leur faciliter l'accès à la formation et à l'emploi. C'est en cela que la décentralisation participe à la construction d'alternatives aux logiques d'adéquation. Nous réfléchissons de plus en plus, dans nos études et diagnostics, à l'intégration d'indicateurs prenant en compte le cadre de vie des personnes.

IF - Quelle place occupent l'individu et son parcours professionnel dans la construction de ces alternatives ?

O. L. - Dans sa mission d'aide à la décision et à l'élaboration de schémas directeurs, l'observation régionale est de plus en plus amenée à prendre en compte les logiques individuelles à travers, en effet, la diversité des publics et des parcours professionnels. On parle de formation tout au long de la vie ! Ce qui signifie pour nous, et à titre d'exemple, la mise en place de dispositions méthodologiques, notamment les enquêtes “longitudinales" de suivi de personnes dans la durée (enquêtes d'insertion des jeunes à la sortie du système éducatif, etc.).
Le contrat de plan entre l'État et la Région 2000-2006 a façonné l'ORM d'aujourd'hui, introduisant de nouveaux outils, dans le domaine de l'insertion, en particulier. L'actuel contrat de projets met en avant les questions de mobilités professionnelles et de mutations économiques. Il nous permet également d'explorer le domaine de l'orientation professionnelle. Il s'agit de savoir la place qu'occupent les individus et la “variabilité" des parcours professionnels des individus, afin de mettre en place de nouveaux modes d'enquêtes, plus longs et plus coûteux, dont les résultats sont transmis aux professionnels
intervenant auprès des individus
(Carif Espace compétences, Missions locales, ANPE, etc.). En retour, ceux-ci nous témoignent des caractéristiques des publics qu'ils conseillent, orientent et accompagnent, afin de nous
permettre d'affiner nos analyses et de
bien faire le lien entre les logiques
individuelles.

Les politiques publiques de maintien dans l'emploi des seniors, des personnes handicapées, des jeunes, etc., remettent l'individu au centre des préoccupations. N'est-ce pas aussi l'ambition de la
décentralisation que de rapprocher les politiques publiques du citoyen ?

IF - Après dix ans, comment vous situez-vous dans cette évolution ?

O. L. - Nous avons des indices nous permettant de croire que nous évoluons dans ce sens. Au cours de ces dix années d'existence, l'ORM a montré sa capacité de résistance et d'adaptation. Même dans les moments les plus tendus entre les acteurs, il a su maintenir le cap et s'adapter aux éléments de contexte.
À la lecture des événements passés, les questionnements sont permanents, la remise en cause des méthodes et des outils n'est pas, en tout cas chez-nous,
un sujet tabou.

De plus en plus, nous sommes dans
l'accompagnement des résultats de nos études et dans l'animation, à travers des interventions auprès d'acteurs de la formation, de l'orientation, de l'insertion, etc. En 2007, nous en avons effectué plus de 80, dans plusieurs secteurs d'activités.

Fêter les dix ans de l'ORM sous sa forme statutaire actuelle, est aussi l'occasion d'échanger et de capitaliser sur les méthodes déployées, de voir comment les métiers d'expertise de l'observation de la formation-emploi se sont adaptés aux différentes étapes de la décentralisation, et de se projeter par rapport aux
prochaines réformes.

IF - Cette problématique, qui suscite interrogations et réflexions en région, se pose-t-elle au niveau national ?

O. L. - Oui, mais avec un temps de retard. Il existe un décalage entre le niveau national et régional. C'est normal, que nous soyons, au niveau régional, mieux placés pour voir directement les conséquences de la décentralisation, alors qu'au niveau national, nous sommes encore sur une culture centralisée. Nous remarquons que l'appareil statistique n'a pas suivi le rythme de la décentralisation. À titre d'exemple, nous n'avons pas d'appareil d'enquêtes qui nous donne des informations au niveau régional sur la pratique des employeurs en matière de la formation profes-
sionnelle continue de leurs salariés. L'enquête nationale pilotée par le Céreq ne peut, à notre sens, être exploitée au niveau des régions. L'idéal serait, à l'heure de la promotion de la formation professionnelle tout au long de la vie, d'avoir une enquête régulièrement actualisée sur l'usage des droits à la formation dans les entreprises...

IF - Alors, comment s'articulent les deux niveaux ?

O. L. - Heureusement que l'échelon national et l'échelon régional sont sans cesse en train de se croiser. Le réseau des Carif-Oref fait un travail considérable avec ses interlocuteurs nationaux, notamment les ministères. Par ailleurs, les Oref sont actuellement aidés par le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), qui réunit régulièrement les Oref pour réfléchir sur ces évolutions.

Propos recueillis par Knock Billy