Le tutorat, dispositif incontournable pour conserver les savoir-faire au sein du groupe Total

Par - Le 01 mars 2012.

“Vous ne deviendrez pas tuteur chez nous par hasard." Ce slogan, Jean-Christophe Grivot et Emmanuel Perez auraient pu l'utiliser le 16 février, à l'occasion du Jeudi de l'Afref consacré à la thématique du tutorat et de la transmission des savoirs en entreprise. Pas de hasard, donc, mais une nécessité reconnue tant par la direction de l'entreprise que par les élus du personnel dont ils sont, chacun, représentants. Ainsi, si le premier assure la fonction de directeur des relations sociales de la branche du marketing raffinage du groupe (après en avoir été le directeur formation), le second siège au sein des institutions représentatives du personnel (IRP) du groupe, en tant que délégué syndical central CFDT.

Car ce développement du tutorat au sein du géant pétrolier est la conséquence du rachat d'Elf par Total et, selon les termes de Jean-Christophe Grivot, “de l'hémorragie de compétences techniques" qui en a résulté. “Nous n'avions pas le choix", a confirmé Emmanuel Perez. Pas de consensus entre syndicats et direction, mais une “obligation de se mettre d'accord", donc, d'autant que ce manque de compétences avait entraîné une conséquence perverse, évoquée par l'élu CFDT : “Certains de nos sous-traitants, qui maîtrisaient des savoirs que nous ne possédions plus, étaient, de fait, devenus donneurs d'ordres, ce qui avait entraîné une explosion du coût de l'externalisation, de l'ordre de 25 à 30 % !"

“Sans transmission des compétences, on ferme !"

“Nos métiers relèvent d'une haute technicité, ne s'apprennent pas à l'école et il n'existe aucune main-d'œuvre qualifiée sur le marché du travail", a souligné le directeur des relations sociales, ajoutant que le “compagnonnage" à l'occasion du passage d'un poste à un autre était une nécessité pour dispenser les connaissances et les savoir-faire dans des environnements à risques. Et d'ajouter : “Sans transmission des compétences, on ferme l'usine !" S'il existe des institutions vigilantes sur ce dernier point, ce sont bien les organisations syndicales, “qui ont constitué une véritable force de frappe lorsqu'il s'est agi de sensibiliser nos collaborateurs au thème du tutorat comme accélérateur de formation professionnelle". Une notion de formation “à laquelle la CFDT s'est toujours montrée attachée", a poursuivi Emmanuel Perez.

“Titrer les tuteurs les rendrait prisonniers de cette mission"

Ces tuteurs, où les dénicher ? Chez les seniors, bien entendu, mais avec des difficultés qui perdurent, liées qu'elles sont au volontariat accompagnant la démarche. Faut-il lier cette mission à un système de primes ? Pour Jean-Christophe Grivot, c'est non. “Cela aurait entraîné un effet d'aubaine. Il est certains que des salariés se seraient inscrits dans cette démarche mus uniquement par l'idée de cette rétribution supplémentaire, en négligeant les aspects pédagogiques." Quant à l'idée d'offrir un titre professionnel aux tuteurs, elle n'a pas non plus suscité l'adhésion. “L'entrée dans le tutorat est volontaire… tout comme peut l'être sa sortie, a expliqué le directeur des relations sociales. Titrer les tuteurs revient à les définir définitivement comme tels, ce qui les rend prisonniers de cette mission." Et si le recours à la VAE a été envisagé comme solution de professionnalisation des tuteurs, les résultats obtenus ont été jugés “moyens".

Au final, c'est la réorganisation des équipes ou l'augmentation de leurs effectifs afin de compenser la perte de temps représentée par l'accompagnement d'un jeune qui se sera révélée la plus efficace pour mobiliser les seniors. Mais tant la direction que les élus du personnel demeurent vigilants concernant d'éventuels détournements des bonnes volontés : “Un manager comptant un bon tuteur parmi ses collaborateurs pourrait avoir la tentation de le garder à tout prix dans son équipe et, donc, de freiner son évolution, a averti Jean-Christophe
Grivot. Cela entraînerait un effet pervers : le tuteur, bloqué dans son ascension dans l'entreprise pourrait être ramené à sa condition de senior, donc de « vieux », persuadé que le tutorat est l'antichambre du mouroir !"