L'accord sur les contrats de génération inaugure le “renouveau du dialogue social"
Le 19 octobre, au sortir de la dernière rencontre entre syndicats et patronat relative au contrat de génération, toutes les centrales s'engageaient à le parapher, sauf la CGT, qui donnait alors “un avis réservé", mais cependant “pas négatif". La route est ouverte pour que le ministre du Travail Michel Sapin puisse présenter le 12 décembre en conseil des ministres l'architecture d'un projet de loi déclinant cet accord-cadre.
Par Monique Chatard - Le 01 novembre 2012.
Pour Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, qui menait là l'une de ses dernières négociations avant de succéder à François Chérèque, “le fait d'avoir réussi à négocier, en peu de temps, un tel texte, doté de sens et de contenu, prouve à ceux qui en douteraient que le dialogue social n'est pas synonyme de lenteur". Et si le futur secrétaire général de la centrale cédétiste a donné son avis favorable à l'accord, c'est parce que le texte a subi une réécriture à
laquelle tenait particulièrement sa confédération. En effet, dans sa version finale, il y est désormais stipulé que l'âge minimum pour définir un senior est fixé à 55 ans (dès lors que l'entreprise embauche d'autres seniors dans le cadre de sa politique de recrutement), au lieu des 57 ans initialement prévus. “La CFDT était un peu seule pour défendre cette mention, mais elle figure désormais noir sur blanc dans le document final !", s'est félicité Laurent Berger.
En revanche, la CFDT était loin d'être la seule organisation syndicale à vouloir voir la transmission des compétences renforcée, puisque cette mesure faisait la quasi-unanimité au sein des délégations, dont celle de Force ouvrière, conduite par Stéphane Lardy : “Les accords d'entreprise ou de branche qui seront établis dans le cadre du contrat de génération devront tenir compte de la charge de travail que représente, pour un salarié senior, l'accompagnement ou le tutorat d'un junior, particulièrement au sein des PME et TPE." Une revendication finalement notifiée aux termes de l'article 7.
Transmission des savoirs, mais transmissions des entreprises, également, particulièrement dans les entreprises de petite taille. Le sujet était resté flou dans l'ancienne mouture du texte, alors que l'UPA, côté patronal, et la CFTC, pour les salariés, souhaitaient l'inscrire dans le marbre. “L'accord prévoit désormais que dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le senior signataire d'une convention de génération1 puisse être le chef d'entreprise lui-même, ce qui peut faciliter la transmission intergénérationnelle des TPE", a annoncé Pierre Burban, secrétaire générale de l'union artisanale.
Des “incitations financières" pour les moins de 300 salariés…
Les partenaires sociaux avaient également à cœur d'inscrire la validation des plans seniors par l'administration du Travail dans cet accord. “Un élément indispensable pour la sécurisation de ces accords, faute de quoi les plans seniors risqueraient de n'avoir que peu de contenu, estime Stéphane Lardy. Et, après tout, ces contrats de génération engagent de l'argent public en faveur des entreprises signataires. Dans ces conditions, il est normal et raisonnable que les services de l'État puissent disposer d'un contrôle sur l'efficacité de l'utilisation de ces fonds. Ce ne sera pas un retour à l'Union soviétique pour autant", sourit-il.
D'autant moins qu'à la conclusion de cette journée, l'idée initiale d'imposer des sanctions aux entreprises de 50 à 300 salariés ne signant ni accord d'entreprise intergénérationnel ni accord de branche a été abandonnée, ces dernières n'étant plus qu'incitées financièrement à établir de tels dispositifs. “Il existe des branches professionnelles qui seront peu concernées par les contrats de génération, soit que la proportion de seniors en leur sein soit très faible, soit qu'elles s'inscrivent dans des traditions spécifiques de transmission des savoirs et d'accueil de l'apprentissage". Sans compter qu'avec l'impact qu'aura le PLF 2013 sur la réduction d'agents au sein des Direccte, les contrôles risquent de se voir raréfiés. Ainsi, l'an passé, seules 250 entreprises (sur les 1,2 million que compte le tissu français) ont été sanctionnées pour n'avoir pas déployé un plan seniors en leur sein. “Il en va des contrôles de l'État comme du dopage dans le cyclisme : seuls les crétins se font prendre ! Mais cette difficulté des services de l'administration du Travail à assurer sa mission de contrôle ne doit pas pour autant entrer dans les éléments de la négociation", résume le secrétaire confédéral de FO.
… des sanctions pour celles de plus grande taille
Pas de sanctions non plus, mais des incitations financières, pour les entreprises de moins de cinquante collaborateurs qui signent en leur sein des conventions de génération. L'accord, en revanche, se veut davantage sévère pour celles de plus de 300 salariés refusant d'intégrer de tels dispositifs en leur sein, puisqu'outre une amende égale à 1 % de leur masse salariale, ces dernières pourraient se voir privées des exonérations Fillon. Une position que le patronat, dans son ensemble, juge “raisonnable et équilibrée".
La CGT, en revanche, a estimé “normal" que les entreprises signant des contrats de génération tout en licenciant par ailleurs soient privées de toute forme d'aide publique. “Nous serons extrêmement attentifs à l'application des pénalités sur ces entreprises", a averti Irène Huard, chef de file lors de cette négociation. Et si la délégation CGT ne transmettra aucune recommandation de vote à ses comités centraux lors du scrutin sur l'accord (d'ici début novembre), elle n'en a pas moins souligné que “l'ambition contenue dans ce texte est bonne, même si nous espérions davantage".
Déçue aussi, la CFTC, qui n'aura pas vu inscrite dans l'acte final sa demande de remboursement, par les entreprises, des subsides de l'État en cas de départ d'un jeune ou d'un senior avant terme. “Attention aux effets d'aubaine induites par cette absence de remboursement", a prévenu Olivier Gourlé, secrétaire confédéral en charge de la formation.
Côté Medef, on souhaitait surtout que le texte distingue le “senior" maintenu dans l'emploi du “référent" chargé d'accompagner le junior au sein de l'entreprise et pouvant donc être une tierce personne, ce qui est désormais chose faite. Aux yeux de Bruno Roger-
Vasselin, chef de file des négociateurs patronaux, “il était nécessaire de distinguer le maintien dans l'emploi d'un senior de l'accompagnement d'un jeune, car nous constatons que cette fonction est surtout exercée, au sein des entreprises, par des quadragénaires". Demeure toutefois une incertitude quant au devenir de l'apprentissage qui, par effet de vases communicants, pourrait se voir pénalisé par des entreprises préférant intégrer des jeunes en leur sein au titre du contrat de génération. Pour Stéphane Lardy, le risque existe, mais “ne sera mesurable que dans un an".
Finalement, “nous sommes parvenus à l'élaboration d'un accord-cadre qui constitue presque un guide pratique à disposition de nos équipes syndicales sur le terrain. Nous serons particulièrement attentifs à son application dans les entreprises", a conclut Stéphane Lardy. Pour l'heure, la balle est dans le camp gouvernemental et parlementaire, en vue d'une première application concrète des contrats de génération fixée au mois de mars 2013.
Benjamin d'Alguerre
Il convient désormais de distinguer le “contrat de génération" (qui décrit le dispositif dans son ensemble), de la “convention de génération" (document tripartite signé entre l'entreprise, le senior maintenu dans l'emploi et le collaborateur junior).
_ “La formation, le défi de demain"
Quel bilan tirez-vous de l'action gouvernementale, près de six mois après son installation ?
Pour commencer, j'ai constaté une écoute nouvelle. Jusqu'ici, on nous sommait de négocier, avec des objectifs et des délais difficiles à tenir. Maintenant, nous avons beaucoup de contacts, nous travaillons en profondeur. Ensuite, il y a les objectifs que nous nous sommes fixés lors de la grande conférence sociale de juillet et qui concernent la formation, mais aussi l'orientation. Pour une fois, nous allons travailler l'éducation, la formation professionnelle, l'orientation et l'emploi : c'est une démarche qui nous est chère, car nous essayons de travailler en cohérence.
L'accord sur le contrat de génération en est une illustration ?
Avant tout, ce contrat constitue une décision politique, l'un des axes de campagne du candidat Hollande, et il est bon qu'un président respecte ses engagements. Si le gouvernement a voulu faire précéder le texte de loi par une négociation, conformément à l'article 1 du Code du travail, ce sera d'ailleurs à lui de faire en sorte que la mesure s'applique, en limitant les effets d'aubaine. Le texte comprend des points positifs, mais aussi une difficulté majeure : le gouvernement va-t-il autoriser des entreprises qui licencient, comme PSA et Alcatel par exemple, et qui touchent des aides pour licencier, d'en toucher d'autres pour mettre en place le contrat de génération ? Un autre risque : que les entreprises recrutent plutôt des jeunes très qualifiés à des postes qui le sont beaucoup moins. Les moins qualifiés vont pâtir de cette situation, ils risquent de voir “passer le train". Ce sont des questions que le gouvernement doit régler. Pour les emplois d'avenir, là aussi leur succès dépendra du cadre qui sera fixé et des missions de contrôle qui seront engagées par le gouvernement.
Vous êtes en charge de la formation professionnelle à la CGT depuis 2008, quel regard portez-vous sur cette période ?
Je me suis rendu compte que les besoins en formation sont énormes. Pour commencer, j'ai beaucoup travaillé sur l'illettrisme, et on peut dire que le pays ne s'en sortira pas avec 13 % de personnes, dont la moitié sont en emploi, qui ne savent ni lire ni écrire. Ensuite, alors que des entreprises comme EDF ou GDF verront 60 % de leur personnel partir en retraite dans les huit ans, cela représente des ruptures de compétences, il faut former les salariés. Et puis, nous vivons dans un monde de plus en plus complexe : si nous ne donnons pas les clés aux salariés, bon nombre d'entre eux risquent de décrocher. En même temps, je me rends compte qu'il faut réformer les questions de financement et que les entreprises considèrent la formation non pas comme un coût, mais comme un investissement. Heureusement, d'ailleurs, qu'il existe une cotisation obligatoire. Mais les financements sont établis sur les salaires, qui n'augmentent pas, et avec l'emploi qui régresse, les besoins de formation, eux, augmentent.
Sur ces années, je dirai que la négociation de 2008-2009 n'a pas été facile, avec un gouvernement qui fixait la feuille de route et la ligne de conduite, ce qui n'était pas respectueux des partenaires sociaux, et je l'ai mal vécu. Toutefois, nous avons réussi à éviter la fusion du Cif et du Dif, alors que l'un est un congé et l'autre un droit. Nous sommes très attachés au droit des salariés à décider d'eux mêmes de leur formation. Nous avons créé le FPSPP qui nous permet, pour la première fois, de mutualiser des sommes et non pas d'affecter des excédents, comme c'était le cas avec le Fup (Fonds unique de péréquation). Ceci étant, les 13 % [ 1 ]Pourcentage de la contribution formation versée par les entreprises à leurs Opca, fixé annuellement entre 5 % et 13 %. ne suffiront pas, et nous aurons encore une crise de financement.
Propos recueillis par Béatrice Delamer
Notes
1. | ↑ | Pourcentage de la contribution formation versée par les entreprises à leurs Opca, fixé annuellement entre 5 % et 13 %. |