Les CCI s'engagent pour le développement de la mobilité européenne des apprentis
66 % des apprentis impliqués dans une action de mobilité européenne connaîtraient une entrée dans l'emploi aussitôt après leur expérience à l'étranger, dont une majorité au titre du CDI (Selon les chiffres du programme Movil'App). Malgré cela, encore trop peu d'apprentis choisissent cette voie pour améliorer leur bagage professionnel et leur employabilité. Méconnaissance des programmes existants, barrières linguistiques ou hétérogénéité des législations sur le travail… les chambres de commerce tenaient séminaire à ce sujet, le 10 octobre dernier.
Par Benjamin d'Alguerre - Le 01 novembre 2012.
Après les étudiants des grandes écoles, puis ceux des Universités, les apprentis européens ont-ils eux aussi droit à leur propre remake de L'Auberge espagnole ? Pour l'instant, cependant, il y a bien peu de spectateurs dans la salle, à en croire les résultats affichés par les programmes de mobilité européenne. Ainsi, en 2010, le programme Leonardo da Vinci avait bénéficié à 600 000 jeunes européens. Un chiffre en apparence très satisfaisant, mais faible, en réalité, si l'on tient compte du fait qu'il s'agit du résultat... total d'un dispositif mis en place voici quinze ans et ne concernant, en réalité, que 4 000 individus par an. Guère plus de succès pour Eures (accessible aux demandeurs d'emploi titulaires d'un diplôme universitaire ou de grande école), qui n'a attiré que 5 000 candidats dans toute l'Europe. Quant à Movil'App, programme porté par les chambres de commerce et d'industrie françaises (qui s'inscrit dans les dispositions de Leonardo da Vinci) depuis 2007, il a, pour l'heure, bénéficié à 2 200 candidats, parmi lesquels 600 apprentis, 200 en situation de post-apprentissage et une centaine de formateurs et de tuteurs [ 1 ]1 800 départs supplémentaires sont en cours ou à venir.. Malgré une nette croissance du nombre de candidats à la mobilité européenne, nous sommes encore loin des 2 millions d'étudiants partis au titre d'Erasmus.
Un système européen pensé pour la formation initiale
Le 5 octobre dernier, à l'occasion du sommet “5 + 5", à La Valette (Malte), José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, avait précisément évoqué cet “enjeu majeur" qu'est la mobilité intra-européenne. Des propos corroborés le 10 du même mois par son compatriote Pedro Almeida Freire, membre du Comité économique et social européen, invité à s'exprimer à l'occasion du séminaire des CCI. “En Europe, la formation – initiale ou continue – ne prépare pas suffisamment à l'accès à un marché du travail de taille européenne. Pourtant, avec une démographie en baisse dans plusieurs pays, comme l'Allemagne ou le Portugal, toutes les conditions idéales devraient être réunies pour favoriser cette mobilité !" La faute, selon lui, à des systèmes d'apprentissage, mais aussi de reconnaissance des diplômes peu et mal harmonisés entre les différents pays de l'Union. Une situation qui tiendrait, plus qu'aux considérations linguistiques ou à l'esprit de clocher, aux restrictions du système européen de transfert et d'accumulation de crédits (plus couramment appelé, en anglais, European credits transfer system, ou ECTS), issu du “processus de Bologne" et intégré dans la réforme LMD des Universités. Un dispositif grâce auquel un étudiant suivant une partie de son cursus universitaire dans un établissement étranger peut accumuler des “points" qu'il pourra par la suite utiliser pour valoriser son diplôme dans son pays d'origine. “Or, un tel dispositif n'existe pas dans le cadre des diplômes professionnels, puisque ceux-ci sont construits avec les branches professionnelles et non par les ministères concernés", explique Jean-Marc Huart, sous-directeur des lycées et de la formation professionnelle au ministère de l'Éducation nationale.
“Pas si cloisonnée et rigide !"
Cependant, depuis 2009 et la recommandation européenne Ecvet (European credit system for vocational education and training, ou système de crédits européens pour la formation professionnelle), la création d'un cadre méthodologique commun visant à définir les certifications en termes d'“unités" auxquelles seraient attribués un certain nombre de points pourrait permettre une meilleure reconnaissance des acquis de l'apprentissage au niveau de l'Union. “La tâche est de taille, reconnaît Jean-Marc Huart, car elle nous incombe de repenser la manière de concevoir les diplômes professionnels." L'Éducation nationale, au travers du projet MEN-Ecvet, y travaille déjà et, selon le sous-directeur des lycées et de la formation professionnelle, 2013 a toutes les chances d'être l'année où ce programme parviendra à maturité. Problème : un tel dispositif, calqué sur un modèle universitaire qui raisonne en termes de semestres et d'années, pourra-t-il s'adapter aux contraintes de l'apprentissage où les rythmes relèvent davantage de deux semaines en cours, suivies de deux autres en entreprise, comme c'est le cas dans les CFA ? Pour Jean-Marc Huart, des solutions impliquant la bonne volonté des entreprises, des CFA et des différents ministères concernés sont possibles. “L'Éducation nationale n'est pas si cloisonnée et rigide qu'on veut le croire, plaisante-t-il. Nous prenons très au sérieux la problématique de la mobilité des jeunes : ainsi, la session du baccalauréat 2013 sera la première où les candidats des sections générales, mais aussi technologiques, passeront leurs épreuves de langues vivantes à l'écrit et à l'oral."
Une logique de mutualisation
Les CFA, justement. Eux peuvent craindre que l'accroissement des compétences des Régions en matière de formation professionnelle ne soit synonyme de réductions de leurs budgets consacrés à la mobilité, particulièrement pour les zones frontalières. Pour Erika Delpech, responsable du Pôle Europe et de la direction de la formation professionnelle en Languedoc-Roussillon (région particulièrement impliquée dans des échanges avec la Catalogne espagnole), cette nouvelle donne pourrait, au contraire, amener les CFA à penser la mobilité selon une logique de mutualisation. “Le Languedoc compte près de 17 000 apprentis et seul 1 % d'entre eux sont concernés par des actions de mobilité. En revanche, tous les centres de formation qui pratiquent une telle politique d'échanges européens appartiennent à des réseaux structurés, soit par les chambres consulaires, soit par les Compagnons du Devoir. On en compte dix sur les cent-quarante-cinq CFA régionaux. Et depuis peu, ceux-ci, avec la Région, ont entamé des partenariats visant à développer la structuration des centres de formation qui ne le sont pas encore". Même son de cloche en Alsace où la Chambre de commerce locale s'est associée de longue date avec son homologue du Bade-Würtemberg (Land allemand comptant 3 % de chômeurs et une démographie en forte baisse) pour favoriser les échanges d'apprentis entre les deux pays, en dépit de difficultés structurelles dues à l'hétérogénéité des législations sur le travail.
“Le développement de la mobilité des apprentis demeure donc l'une des préoccupations de l'ACFCI", a rappelé André Marcon, son président. À ses yeux, toutefois, les compétences accrues des Régions en matière de pilotage des politiques de formation pourraient bien offrir de nouvelles perspectives partenariales pour les chambres de commerce et d'industrie.
La perception des entreprises concernant la mobilité européenne des apprentis se résumerait-elle à voir “leurs" jeunes partir deux ou trois semaines à l'autre bout de l'Europe tout en continuant à les payer ? La question, directe et crue, a été posée. Réponse ? Il existe certes des employeurs hostiles à l'idée de voir leurs apprentis pérégriner, mais ils entrent dans la catégorie des marginaux, ou en voie de l'être. En effet, sans être entrée complètement dans les mœurs entrepreneuriales, la mobilité est perçue comme un atout, y compris au niveau de certaines branches professionnelles, comme la plasturgie.
En témoigne Audrey Noble, chargée de mission Europe au sein de cette dernière. “En 2008, lorsque la branche a fait le choix d'un développement de la mobilité européenne, elle a effectivement été confrontée à des refus nets de la part de certaines entreprises. Il a fallu entamer un long travail pédagogique avant de les y sensibiliser. C'était crucial dans un secteur qui compte des donneurs d'ordre et des sous-traitants à travers toute l'Europe et où les centres de formation spécialisés sont rares." Avec pour résultat, désormais, que les entreprises de cette branche sont massivement demandeuses d'apprentis venus d'autres pays européens.
Accélératrice de carrière pour les apprentis, la mobilité est aussi synonyme, pour les entreprises de “rentrée de cash" comme l'a expliqué Fabrice Carré, retail manager au sein de Quiksilver. “En passant outre la barrière de la langue, les jeunes Français qui partent rejoindre l'une de nos enseignes en Espagne ou en Grande-Bretagne parviennent à dépasser d'autres barrières mentales et à devenir autonomes. L'expérience acquise se ressent sur leurs ventes."
“Intelligence économique"
Si Quiksilver constitue un groupe présent à travers toute l'Europe et dispose donc d'un réseau de magasins franchisés assez important pour accueillir apprentis et stagiaires, des entreprises de taille plus restreinte pourraient se voir pénalisées par le départ d'un de leurs jeunes collaborateurs dans une structure étrangère. Ce n'est pas le cas de Philippe Fournier, chef d'entreprise d'une PME de vingt-quatre collaborateurs spécialisée dans les véhicules industriels. “Je forme des jeunes pour les embaucher !", a-t-il expliqué. Et nanti de cette philosophie, ce patron de PME ne voit pas d'inconvénients à voir ses apprentis aller apprendre le métier quelques semaines par an dans une autre entreprise européenne, d'autant qu'en Île-de-France, seuls deux CFA enseignent les métiers rencontrés dans son entreprise. Mais s'il reconnaît que la mobilité permet aux apprentis de son entreprise d'acquérir une dimension d'autonomie dont ils ne disposaient pas auparavant, Philippe Fournier y voit aussi un autre atout : celui de l'intelligence économique. “Sans aller jusqu'à parler d'espionnage industriel, l'envoi de jeunes dans d'autres entreprises européennes permet d'obtenir un certain nombre d'informations sur ce qui se passe à l'extérieur, voire de récupérer du savoir-faire et des documents techniques." Une stratégie que nombre d'entreprises ont d'ores et déjà adoptée, à l'en croire.
Le taux de reprise d'emploi
Les entreprises et les branches ne sont cependant pas les seules actrices de l'emploi et de la formation à avoir constaté les effets positifs de la mobilité sur l'accès à l'emploi des jeunes. Pôle emploi juge positive la démarche de développement linguistique, mais aussi de reprise de confiance en soi induite par la mobilité européenne. “Le taux de reprise d'emploi dans les trois mois suivant une action de formation à l'étranger oscille entre 55 % et 65 %", a ainsi annoncé Didier Camensuli, conseiller Eures au sein de l'ex-ANPE. “Peu de mesures d'accompagnement nous offrent de tels résultats", a-t-il ajouté. Cependant, la mobilité n'est proposée par les services de Pôle emploi qu'à des demandeurs d'emploi sélectionnés en fonction de leur motivation, qui seront susceptibles de suivre un tel programme, et qui bénéficieront d'un suivi trois mois après leur séjour formateur à l'étranger. À cette occasion, Didier Camensuli a révélé un scoop à l'assistance : le programme Leonardo da Vinci sera, prochainement, intégré dans le catalogue des formations de Pôle emploi.
Notes
1. | ↑ | 1 800 départs supplémentaires sont en cours ou à venir. |