Des entreprises qui se sentent encore “peu concernées"
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 février 2013.
C'est entendu : la France fait partie des mauvais élèves européens en matière de transition professionnelle, loin derrière ces “premiers de la classe" que sont les Britanniques. La transition professionnelle ? “Un concept qui ne fait pas partie du vocabulaire de l'entreprise", estimait Danielle Kaisergruber, le 24 janvier, lors du colloque co-organisé par l'Afpa et le Cnam.
En effet, pour l'actuelle présidente du CNFPTLV et ancienne consultante auprès d'organismes publics et privés, les entreprises raisonnent encore massivement selon le seul prisme de la gestion de l'emploi, préférant externaliser les questions de transition professionnelle lorsqu'elles se posent… c'est-à-dire le plus souvent à l'occasion de restructurations brutales (plan social, PSE, etc.). Quant aux salariés, ils interprètent la thématique de la transition professionnelle sous le même angle, “souvent synonyme de réductions d'effectifs et de mobilité subie", comme l'expliquait Jean-Paul Cadet, chercheur au Céreq et co-auteur, en 2008, (avec Samira Mahlaoui et Michel Rousseau) d'un Bref intitulé “Analyser les métiers en entreprise pour gérer les mobilités".
De la gestion des effectifs à la gestion des parcours
Lui-même a d'ailleurs travaillé à la création d'un poste de “conseiller transition-mobilité" au sein d'un grand groupe, afin d'y faciliter les mobilités ascendantes dans le cadre de la gestion des emplois et des compétences (GPEC). Et de cette expérience, Jean-Paul Cadet a tiré une conclusion : “Dès lors qu'un tel conseiller n'est sollicité qu'en cas de restructuration, il sera accueilli avec réticence – voire avec crainte – par les salariés. En revanche, si ce poste est pérennisé au sein de l'entreprise, il peut constituer une voie, pour les collaborateurs, de réfléchir à leur propre évolution professionnelle, qu'elle soit interne ou externe." Et si Danielle Kaisergruber a invité les employeurs à “passer d'une logique de gestion des effectifs à une logique de gestion des parcours", le syndicaliste CGT Paul Desaigues, administrateur du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), a, pour sa part, présenté ce qui constitue, à ses yeux, les principaux écueils à la gestion des parcours par les entreprises que la présidente du CNFPTLV appelle de ses vœux : “L'évolution des carrières nécessite qu'une information claire quant aux orientations stratégiques de l'entreprise soit diffusée aux salariés. Malheureusement, avec la culture du secret qui règne dans les conseils d'administration, c'est rarement le cas."
Quelques entreprises impliquées, mais…
Autre regret, pour l'administrateur cégétiste : l'échec du Dif et de la période de professionnalisation comme accélérateurs de transitions. Deux outils “conçus dans le but de favoriser les mobilités professionnelles qui, pour des raisons de mauvaise communication, n'auront pas servi cet objectif". N'empêche. Côté entreprises, on a tout de même commencé à s'emparer de cette question. C'est le cas chez Thalès, qui a développé un “entretien professionnel" indépendant du classique entretien annuel, mais aussi au sein du groupe de BTP Spie Batignolles, du fait de sa situation particulière depuis 2008. “La crise a provoqué une réduction drastique de chantiers dans certains secteurs, alors que d'autres ont connu une importante croissance", indiquait ainsi son DRH, Nicolas Flamant. De fait, ce groupe d'environ 8 000 collaborateurs, construit autour d'une logique de pôles autonomes, a fait le choix d'une politique de mobilité en son sein. “Il ne s'agissait pas de « dealer » l'emploi contre la mobilité, mais d'anticiper les évolutions de vie qui conditionnent l'emploi", a ainsi expliqué cet ancien éducateur de rue, devenu DRH.
Mais ces exemples font figure d'exceptions dans un monde entrepreneurial où les grands groupes ne se sentent pas concernés (persistant, donc, à ne parler “transition" qu'à l'occasion de restructurations) et où les salariés des PME de moins de dix personnes continuent à ne pas y avoir accès, faute d'informations et d'infrastructures idoines. “Le premier accompagnateur d'un salarié en transition… c'est lui-même !, a ainsi résumé Jean-Paul Cadet. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose, car cela oblige les individus « en transit » à se faire pleinement acteurs de leur mobilité, mais cette situation peut tout de même décourager. Entre les bilans de compétences, les bilans de compétences approfondis ou les difficultés pour trouver un jury de VAE, un demandeur d'emploi en transition peut ainsi être amené à passer davantage d'entretiens qu'un cadre pour accéder à l'emploi." Bien loin de “l'employabilité de performance" théorisée – et pratiquée ! – en Grande-Bretagne.
L'extension du CSP
Toutefois, la suggestion du récent rapport de la Cour des comptes [ 1 ]L'Inffo n° 827, p. 5. d'étendre le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) à d'autres individus que les seuls licenciés économiques pourrait être de nature à favoriser les transitions, “faisant passer celles-ci de 100 000 personnes concernées à près d'un million et demi", indiquait Frédéric Bruggeman, directeur associé d'Amnyos Mutations économiques. Une proposition de la Cour qui entre en résonance avec la récente entrée en vigueur (mi-janvier 2013) des mesures d'accompagnement adapté au sein de Pôle emploi, ainsi que d'une offre de suivi de l'orientation professionnelle qui sera déployée durant le premier semestre de l'année. Des dispositifs qui impliqueront un vaste plan de formation des conseillers du service public de l'emploi, mais aussi des mille psychologues-orienteurs issus de l'Afpa qui y avaient été transférés en 2009, lors de la fusion.
“L'extension du CSP à tous types de contrats permettrait d'ouvrir de nouvelles perspectives et de nouvelles stratégies en matière de mobilité, car il permet aux bénéficiaires de demeurer maîtres de leur socialisation en maintenant leurs indemnités pendant une durée correcte, tout en leur offrant un accompagnement vers l'emploi", a ainsi estimé Paul Desaigues, qui n'en a pas moins regretté “le cloisonnement des ministères" qui, selon lui, empêche encore trop souvent les agents de la rue de Grenelle d'aller observer les dispositifs existant chez leurs homologues de l'Agriculture ou du Handicap, qui connaissent quelques succès en la matière.
Notes
1. | ↑ | L'Inffo n° 827, p. 5. |