Quelle sortie de crise pour les OF ?

Par - Le 01 septembre 2013.

Et pourtant, ils souffrent ! Que la crise ait, pour eux, débuté dès 2008 ou quelques années plus tard, les organismes de formations l'ont subie. Parfois violemment. Entre changements de stratégie, dépôts de bilans, rebondissements économiques ou ajustements drastiques des coûts, les “OF" ont dû eux aussi bûcher leur “manuel de survie en temps de crise". Tour d'horizon.

Paradoxe apparent. À en croire les derniers chiffres publiés par l'observatoire économique de la Fédération de la formation professionnelle, le produit de l'activité de l'offre privée en France s'élevait en 2011 à près d'1,42 milliard d'euros. À titre de comparaison, en 2007, année pré-crise, ce résultat était estimé à 1,2 milliard. Les organismes de formation (“OF") auraient-ils été épargnés par la tourmente économique ? “Il est vrai que les événements de 2008 et des années suivantes ont peu impacté l'offre de formation privée et 2010 a même constitué une bonne année pour nos adhérents, reconnaît Jean Wemaëre, président de la FFP et PDG du groupe Demos, en revanche, c'est à partir de la mi-2011 et surtout au cours de l'année 2012 que nous avons subi la crise de plein fouet".

“Les acheteurs discutent les prix"

Une crise qui s'est traduite par la diminution des budgets formation des entreprises, lesquelles ont naturellement fait le choix de mettre la pression sur les OF pour faire baisser à la fois les coûts et les durées de formation. “Depuis la crise, les acheteurs discutent surtout des prix et non plus de la qualité de la prestation", témoigne ainsi Bernard Bruche, directeur de l'organisme éponyme1, qui constate – depuis 2008, pour sa part – une “baisse indéniable" des commandes de formation, particulièrement interentreprises.

Baisse que l'examen en détail du bilan de la FFP permet de constater, car si le produit général de la formation a effectivement augmenté, le chiffre d'affaires médian, lui, a connu une diminution, passant de 1,04 million d'euros par organisme en 2007 à 973 450 euros trois ans plus tard. Et si les prospectives de l'observatoire économique prévoyaient une croissance générale de 0,29 % pour l'ensemble des organismes en 2012 – croissance ayant essentiellement profité aux organismes aux résultats financiers inférieurs à 750 000 euros annuels ou supérieurs à 10 millions –, ce sont les OF de taille intermédiaire qui, avec 4 % de récession, ont subi l'effet boomerang de la crise. Tel, à titre d'exemple, cet organisme spécialisé dans la formation aux métiers du BTP, secteur particulièrement touché par la crise, dont le chiffre d'affaires est passé de 6 millions d'euros en 2008 à… 600 000 euros en 2012.

Double impact

“Les OF ont dû faire face à une double baisse, celle de l'activité économique et celle des prix, générant une perte de chiffres d'affaires depuis 2011 pouvant aller de 5 à 10 % sur les différents types de marchés ou de formations, publics ou privés", analyse Jean Wemaëre, dont la propre entreprise, bien que leader sur le marché français, a dû se recapitaliser à hauteur de 15 millions d'euros l'an passé pour faire face à la tempête et amortir les chocs économiques rencontrés par ses filiales dans les pays les plus impactés par la crise (Portugal, Espagne) ou par des bouleversements politiques (Tunisie).

Bernard Bruche, pour sa part, n'hésite pas à mentionner des pertes financières de l'ordre de 20 à 30 % sur certains secteurs sinistrés. “Entre organismes de formations, c'est parfois la foire d'empoigne pour conserver – ou conquérir – ces marchés", souligne-t-il.

Les sous-traitants, variables d'ajustement

Et cette concurrence s'exprime essentiellement au travers de tarifs revus à la baisse de façon drastique, quitte à y perdre en qualité au passage. “Malheureusement, il existe des cabinets prêts à brader leurs prestations pour garder leurs clients, au point, parfois, d'en être réduits à facturer une action de formation 400 ou 450 euros la journée… et cela ne concerne pas uniquement le secteur privé. On voit ainsi fleurir des appels d'offres émanant d'administrations ou de collectivités à la recherche de prestataires pour animer des sessions de formations de quelques heures pour moins de 500 euros par jour. À part des gens en bout de course, qui peut accepter de travailler pour ces tarifs ?"

Difficile, cependant, d'évaluer la proportion d'organismes acceptant de se positionner sur ces marchés discounts ou leur durée de survie, car si le nombre d'OF présents sur le marché français demeure stable (entre 55 000 et 58 000), les prestataires, eux, vont, viennent, font faillite, disparaissent et cèdent la place à de nouveaux entrants, même si les premiers à y laisser des plumes ont été les salariés permanents des OF licenciés pour raisons économiques, ainsi que les indépendants et autres sous-traitants qui constituent souvent les variables d'ajustement de leurs donneurs d'ordres. “Nombre d'organismes ont effectivement été contraints d'adapter leur masse salariale à la situation de crise sans pour autant que le monde de la formation, en France, n'ait connu de PSE de grande envergure", explique Jean Wemaëre. Pour sa part, Bernard Bruche admet également avoir dû faire peser la baisse d'activité de son cabinet sur ses salariés. “Avant la crise, 80 % de nos formations étaient réalisées par des permanents. Désormais, ce ratio est de 50 %… et pour le reste, nous recourons à davantage de prestataires extérieurs" confesse-t-il.

L'externalisation, entre succès et fiasco

Côté acheteurs, les entreprises n'ont pas attendu la crise pour externaliser leurs plans de formation, faisant appel en cela à des cabinets d'outsourcing spécialisés, chargés de prendre en main la partie administrative et financière des stratégies formation de leurs clients. Mais la récession économique s'est accompagnée d'un effet catalyseur qui s'est traduit par la multiplication de prestataires d'externalisation à prix réduits, fonctionnant sur un modèle low-cost. “Des gens sortis de nulle part qui sont apparus sur le marché, parfois pour en disparaître tout aussi rapidement", résume Bernard Bruche, qui reproche à ces “cabinets-champignons" d'écorner la crédibilité des spécialistes de la formation auprès des clients potentiels, dont certains ont été échaudés par une mauvaise expérience.

En revanche, au sein des outsourcers tirant leur légitimité de leur longévité – c'est le cas de Cimes, qui existe depuis bientôt quinze ans – on ne s'inquiète pas vraiment de l'apparition de ces concurrents turbulents. “La garantie d'une externalisation réussie, c'est le maintient d'un bon rapport qualité-prix", énonce Bertrand Milas, directeur commercial de Cimes, “les clients sont conscients qu'un prix trop bas est synonyme de prestation au rabais. Un business-model qui ne tient que sur le low-cost n'est pas pérenne", affirme celui qui, depuis deux ans, a vu un certain nombre de ces cabinets mettre la clé sous la porte alors que le sien annonce une croissance en hausse de 11 % depuis 2008.

La reconnaissance des compétences pour compenser la baisse du marché

Pour autant, les OF ne se cachent pas pour mourir et si le marché se réajuste, les organismes s'adaptent à un écosystème en évolution au sein duquel les prestataires se positionnant sur des formations diplômantes ou qualifiantes souffrent moins que les autres. C'est le cas, par exemple, de l'IFG-Cnof, institut spécialisé dans le management et proposant quatorze parcours diplômants (conçus en partenariats avec différentes Universités) et une trentaine de formations certifiantes. “En situation de crise, les acheteurs salariés ont besoin de pouvoir faire reconnaître et valider les compétences acquises", indique Emmanuel Clément-Mondoloni, directeur général de l'IFG. Et à cette fin, son organisme est progressivement passé, depuis 2006, d'une ingénierie de stage à une ingénierie d'itinéraire en particulier diplômant pour accompagner les personnes dans leur évolution et leur trajectoire professionnelle à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise. Cette stratégie a permis à l'OF de traverser la crise. Mais en plaçant l'ingénierie au centre des enjeux, elle a conduit à une évolution des compétences des formateurs, qui ont dû renforcer la place de l'ingénierie dans leur prestation. “Cela nous a conduit à nous séparer de 25 % d'entre eux qui n'ont pas pu ou pas cherché à s'adapter…". Parallèlement à cette évolution IFG a intégré du e-learning dans l'ensemble de ses programmes, ce qui permet de répondre aux besoins des apprenants tout en respectant les contraintes de coûts des entreprises. “La dématérialisation et le recours à la FOAD constituent des tendances de fond, mais indépendantes de la crise", confirme Jean Wemaëre.

“Inter" ou “intra" : à chacun son modèle

Et ce besoin de massification de la formation se traduit également par une montée en puissance de l'organisation de sessions intraentreprises visant à optimiser l'efficacité par rapport aux coûts. “Pour un cabinet tel que le nôtre, développer le plus possible la formation intra [ 1 ]Intra : formation réservée à un groupe de salariés d'une unique entreprise. Inter : formation regroupant des collaborateurs de plusieurs sociétés. représente un challenge, expose ainsi Bertrand Milas, le tout est de parvenir à convaincre nos clients qu'ils y font des gains intelligents sans perte de qualité pour autant." Une logique “intra" également développée au sein de l'IFG-Cnof, pour qui cette stratégie correspond à ses objectifs de certification et de déploiement de parcours pédagogiques sanctionnés par un diplôme.
Le sujet, en revanche, fait débat pour Bernard Bruche, pour qui “l'intra rapporte moins que l'inter". Les TPE et PME ont tout à gagner à envoyer leurs collaborateurs se former dans des sessions inter-entreprises. “L'intra présente l'avantage de répondre aux besoins spécifiques des entreprises, alors que l'inter a le mérite de mêler les publics et de leur permettre de s'enrichir de leurs expériences mutuelles. Sans oublier que cette formule permet aux petites entreprises d'envoyer leurs salariés se former sans pour autant dégarnir leurs effectifs", synthétise le président de la FFP.

Les “touche-à-tout" nuisent à la crédibilité

Mais quelque soit le degré d'adaptation des OF, chacun n'en guette pas moins la sortie de crise, tout en étant conscient qu'un certain nombre de cartes seront alors rebattues dans le business-model de la formation. Pour Jean Wemaëre, l'année 2014 pourrait voir le ciel économique s'éclaircir. Un sentiment que le prochain bilan de l'observatoire économique de la FFP – qui devrait paraître en octobre ou novembre prochain – pourrait confirmer. Plus pessimiste, Bernard Bruche craint que la grande braderie des prix et de la qualité du service induits par la crise ne nuise pour longtemps à la crédibilité des organismes de formation dans l'esprit des acheteurs. Une crédibilité que les OF retrouveront “le jour où tous ceux qui vivotent de la formation sortiront des registres", annonce froidement celui qui prophétise l'émergence d'un marché qui se reconstruira autour de prestataires plus spécialisés et moins touche-à-tout “pour regagner la confiance des acheteurs".

Notes   [ + ]

1. Intra : formation réservée à un groupe de salariés d'une unique entreprise. Inter : formation regroupant des collaborateurs de plusieurs sociétés.