Échanges sur la formation des jeunes à l'Université d'été du Medef
Par François Boltz - Le 28 août 2015.
“Formidable jeunesse", tel était le thème de l'Université d'été du Medef, qui s'est tenue les 26 et 27 août derniers au campus HEC, à Jouy-en-Josas (Yvelines). L'occasion de passer en revue les grands défis mondiaux à relever, comme la démographie, la “digitalisation" de l'économie ou le changement climatique. Et, bien sûr, d'insister sur les réformes que l'organisation patronale appelle de ses vœux dans le domaine de l'éducation et du marché du travail. Le 27 août, une plénière était précisément consacrée à l'emploi des jeunes, autour d'une question : “Comment faire sauter les verrous ? Et notamment ceux des mentalités ?"
Parmi les intervenants, Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne, a stigmatisé les handicaps français, parmi lesquels un “mauvais système d'enseignement primaire", système qui à ses yeux “n'est rattrapé ni par l'apprentissage ni par la formation professionnelle continue". Évoquant les chiffres de chômage, il a indiqué qu'“aucune réforme de l'enseignement ou de la formation n'a inversé ces mauvaises tendances". Concédant un peu plus tard : “L'apprentissage fonctionne dans le supérieur, mais enfin, ce n'est pas là que c'est le plus difficile, ni le plus utile."
Alors, quels “tabous" lever ? Il ne faut “plus accepter la préférence pour les emplois aidés dans le secteur non marchand", a demandé Laurent Bigorgne, ajoutant : “Si on ne touche pas à la question du salaire minimum pour les emplois non qualifiés, la France n'atteindra jamais les performances des États voisins."
Le modèle suisse
Le choix d'inviter des représentants de la Suisse et de l'Allemagne donnait une indication sur le propos. En Suisse, notamment, le taux de chômage des jeunes n'est que de 7 %. Or, a observé Mauro Dell'Ambrogio, secrétaire d'État suisse à la Formation, à la Recherche et à l'Innovation, “le peuple vient [par référendum] de refuser le principe du salaire minimum, et notre temps de travail se situe aux alentours de 45 heures. À l'âge de 15 ans, les deux tiers des jeunes vont en apprentissage."
Un apprentissage qui dure quatre ans. “Cela ouvre toutes les carrières", a poursuivi le secrétaire d'État, soulignant la “perméabilité" du système. Surtout, l'apprentissage a “un grand prestige social, c'est une profonde différence culturelle avec la France. Les entreprises sont créées par des personnes qui viennent de la formation professionnelle, pas des grandes écoles".
Seulement 20 % des jeunes Suisses vont au lycée. En filière générale, car il n'existe pas de lycée professionnel : c'est inutile, puisqu'il y a l'apprentissage.
Et Mauro Dell'Ambrogio d'asséner : “La clé, ce n'est pas le meccano technique. D'ailleurs, nous n'avons pas de ministère de l'Éducation nationale" (applaudissements nourris de l'assistance). “Le monde de l'entreprise sait de quelles qualifications il a besoin. C'est un système très ancien, celui des corporations. Il fonctionne très bien. Et n'est pas du tout aidé par l'État."
“Agissez ! Identifiez les talents"
Peter Hartz, ancien président de la commission de modernisation du marché du travail en Allemagne, sous le gouvernement Schröder, était attendu : il fait figure d'icône de la dérégulation du marché du travail. Aujourd'hui à la tête de la fondation SHS (Saarländer helfen Saarländern, les Sarrois aident les Sarrois), il n'a pas présenté le système allemand, mais a encouragé au volontarisme : “Vous n'avez pas besoin de conseils, les diagnostics sont à la disposition de tous. Ce qu'il faut, c'est agir. Le gouvernement peut le faire. Pas besoin de milliards d'euros. Et vous pouvez le faire : les jeunes cherchent des stages. Certains sont des décrocheurs. Identifiez leurs talents !"
C'est Laurent Bigorgne qui a eu la formule : “Il y a trois fois plus de subventions publiques en France qu'en Allemagne, et il y a trois fois plus d'apprentis en Allemagne qu'en France."
La question du salaire minimum des jeunes sans qualification
Le président du Sénat Gérard Larcher, était ministre délégué chargé de l'Emploi de 2005 à 2007, et, tout comme Inffo formation dans son édition du 1er août (n° 882), il s'est souvenu qu'alors, le plan de cohésion sociale avait fixé pour objectif les 500 000 apprentis à l'horizon 2009. Et aujourd'hui, nous en sommes à 265 000, avec même une baisse de 3 % l'an dernier.
“Sans croissance, pas de créations d'emplois. Quand j'étais ministre, le chômage baissait, mais c'était parce qu'il y avait de la croissance !", a reconnu Gérard Larcher. Et d'ajouter : “Même la Dares [direction des statistiques du ministère du Travail], qui n'est pas suspecte d'être une organisation ultralibérale, indique que les emplois aidés ne fonctionnent pas."
Le directeur de l'Institut Montaigne, qui est lui, un think tank libéral, a mis le doigt sur la question du salaire minimum des jeunes sans qualification, et Gérard Larcher s'est souvenu du CIP (contrat d'insertion professionnelle), surnommé le Smic jeunes, qui avait échoué en 1995, suite à de grandes manifestations. “Il faut se poser la question de la rémunération de l'entrée des jeunes sur le marché du travail. Le RSA sans contrepartie, c'est ce qui nous conduira aux mêmes chiffres." Défavorables.
“Un état d'esprit"
Chez les jeunes issus de l'immigration, ces mauvais chiffres sont doublés. Ils n'obtiennent pas de stages, et pas d'emplois. Et pourtant, “je ne pense pas qu'il y ait un désamour de l'entreprise pour les jeunes", a assuré Najoua Arduini-Elatfani, jeune présidente du Club du XXIe siècle. “Rompre les clichés passe par l'intégration dans l'entreprise. Dans les quartiers, il y a beaucoup d'entrepreneurs, et beaucoup de talents. Il faut de l'audace, du courage, savoir prendre des risques."
La prise de risque, c'est un domaine connu d'un structure qui emploie 250 000 personnes, très majoritairement des jeunes, et qui en embauche 22 000 chaque année : l'armée française. Le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées, a répondu à l'invitation du Medef et a rapporté le témoignage de jeunes engagés. Ces derniers “veulent être jugés pour ce qu'ils sont. Ils cherchent une dimension humaine forte, et des valeurs. Ils viennent chercher des compétences et un emploi, ils aspirent à de la considération, ils recherchent de la confiance, et des responsabilités. Des perspectives. Et de la justice, à travers nos grades". Et de se féliciter : “J'ai nommé un général qui était entré militaire du rang !"
Et bien, l'entreprise aussi, “c'est un état d'esprit", a repris le chef d'état-major, salué par de particulièrement longs applaudissements. “La jeunesse a le goût de l'effort. Mais à condition de lui donner des perspectives."
Combattre le “sentiment d'insécurité acquis"
Peter Hartz a d'ailleurs mis l'accent sur le “sentiment d'insécurité acquis" des chômeurs. C'est ce sentiment, démobilisateur, qu'il faut combattre.
Or, “notre société sacrifie nos enfants au profit des moins jeunes", a indiqué Guillaume Sarkozy, délégué général de Malakoff-Médéric. “La jeunesse n'est pas dupe. 45 % des jeunes pensent que leur vie sera pire que celle de leurs parents, et la vie de leurs propres enfants pire encore. Et pourtant ! Une étude de Malakoff-Médéric montre que 79 % des jeunes sont satisfaits de leur travail."
“Pendant trop longtemps, a déclaré pour conclure le président du Sénat Gérard Larcher, les débats électoraux ne se sont pas faits dans la vérité. Quand vous promettez et que vous ne tenez jamais, comment instaurer la confiance ? Nous ne pouvons plus, nous, les politiques, toujours botter en touche vers les partenaires sociaux. Nous devons faire des choix."