Co-construite par ATD Quart monde et le Gréta 93 en 2020, la formation OSEE a accueilli 78 personnes en deux promotions. Depuis 2024, le projet est entré dans sa phase d’essaimage en Bretagne et dans les Hauts-de-France.
La formation au service des savoirs expérientiels des personnes précaires
Comment transformer l'expérience de l'exclusion en compétences professionnelles ? Le projet OSEE explore cette voie en formant des personnes précaires aux métiers du social. Éclairage avec les chercheuses ayant accompagné cette expérimentation.
Par Karine Sautereau - Le 26 septembre 2025.
Valoriser les compétences acquises grâce au vécu, pour des personnes ayant connu l'exclusion et la précarité et étant engagées dans des mouvements associatifs pour, ensuite, envisager un projet professionnel vers les métiers de l'intervention sociale, tel a été l'objectif du projet expérimental OSEE (Osons les savoirs de l'expérience de l'exclusion). Il a été financé par le ministère du Travail dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (Pic) 100 % inclusion.
Pour cette valorisation, il a été proposé à 78 adultes d'intégrer une formation pré-qualifiante aux métiers du social. L'objectif était double : “Permettre à des personnes qui ont une expérience de la pauvreté, une expérience de l'engagement, d'être reconnus et d'accéder à des formations du travail social et de l'animation, auxquelles ils ont envie d'accéder. Mais aussi transformer, un peu, les représentations et les pratiques de ce champ-là", précise Charlotte Gregoreski, chercheuse associée au sein du laboratoire d'anthropologie politique de l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales), ayant participé à l'évaluation de ce programme.
“Passer d'une expérience de vie à sa transformation en compétences"
Ce projet a été porté par ATD Quart monde et également été accompagné, tout au long de l'expérimentation, par des chercheuses de l'Université catholique de Lille. Cet accompagnement a consisté en un travail d'évaluation chemin faisant, qui a permis à ATD Quart monde de bénéficier d'un regard extérieur et de pouvoir ajuster l'expérimentation au fur et à mesure. Ce qui a également livré un premier éclairage sur les conditions de mise en œuvre ainsi que sur les atouts et les limites d'une formation pré-qualifiante expérimentale.
Cadre sécurisant
La première condition pour la transformation des savoirs expérientiels de l'exclusion en compétences professionnelles a été la mise en place d'un cadre de formation sécurisant, c'est-à-dire un environnement capacitant[ 1 ]La notion d'apprentissage transformateur est tirée des travaux de recherche de Chiara Biasin, chercheuse italienne en pédagogie.. C'est en ce sens que le choix d'une temporalité longue a été fait. Les quinze mois de formation permettent aux stagiaires, d'une part, “de rétablir une relation de confiance avec leurs capacités respectives d'apprendre dans un cadre formel de formation", et, d'autre part, “de donner une place importante dans le programme pédagogique à la valorisation des savoirs d'expérience", explicitent les chercheuses.
Après la temporalité, il a été nécessaire de penser aux conditions matérielles minimales, et plus particulièrement aux ressources financières. Pour cela, le versement d'une bourse sociale a été mis en place, avec la possibilité de bénéficier de la RFPE (rémunération des formations de Pôle emploi), ainsi que des aides financières exceptionnelles versées par ATD Quart monde. Enfin, il a été proposé aux stagiaires de bénéficier d'un accompagnement global, individualisé et dans le temps, en parallèle des temps d'apprentissage collectif.
Mise en mots
La mise en mots de l'expérience biographique des stagiaires est une étape importante dans ce projet, car il aide ces derniers à valoriser leurs savoirs expérientiels. Pour Charlotte Gregoreski, un fait ressortant de cette expérience est la place des émotions dans l'apprentissage. De fait, le travail de valorisation a suscité de nombreuses émotions, parfois déstabilisantes tant pour les apprenants que pour les différents acteurs du projet, précisent les chercheuses. Ainsi, l'expression des émotions est essentielle, mais il faut savoir l'accompagner “et l'intégrer à un cadre de formation professionnelle comme un levier pour un apprentissage transformateur", souligne Charlotte Gregoreski.
Réalisation de stages
La réalisation de stages a permis aux apprenants de rendre plus concret le travail de valorisation de leurs savoirs expérientiels, mais également de les mettre en pratique et de les consolider. Cependant, lors de la recherche de stage, le projet OSEE n'a pas été présenté par de nombreux stagiaires en raison de la présence du terme “exclusion" dans l'intitulé de la formation. Pour les chercheuses, “cette stratégie de présentation de soi, ayant pour objectif d'éviter les effets de stigmatisation et de discrimination [...], souligne les limites d'un cadre de formation, même capacitant, face aux historiques rapports de domination (de classe, de genre, de race, etc.) en jeu dans le travail social."
Souplesse
Dans le projet OSEE, afin de passer d'une expérience de vie à sa transformation en compétences, les stagiaires vivent un processus d'apprentissage transformateur[ 2 ]Le concept de capabilité est une approche développée en 2001 par Amartya Sen, économiste et philosophe indien.. Pour ce processus, les 10 étapes de Mezirow[ 3 ]Jack Mezirow (1923-2014) est un sociologue américain reconnu comme le fondateur dans les années 1970 du concept d'apprentissage transformationnel. Un travail empirique lui a permis de mettre en évidence 10 étapes constitutives du processus de transformation de perspective de sens. ont servi de cadre à cette recherche. Cependant, dans ce cas précis, bien que cette recherche ait tenté d'identifier une méthodologie type, cette dernière reste pour l'heure en friche et nécessiterait d'autres recherches de même nature, précise Charlotte Gregoreski.
Pour cette anthropologue, cela pose la question de la possibilité de systématiser ce genre de transformation, autrement dit de le décliner en étapes distinctes. De fait, “c'est quelque chose qui vient toucher à du sensible, à des émotions, à de l'humain et ainsi, il est important aussi d'avoir un cadre souple et adaptable."
Autrement dit, ne serait-il pas intéressant de proposer un cadre qui permette aux accompagnateurs de suivre les participants au lieu de leur demander de les suivre sur un chemin tout tracé ?
Pour aller plus loin… Gregoreski, C., Teodorescu, C., Liénard, L., Desailly, S., Duvivier, É. et Darnaud, C. (2025). Transformer des savoirs expérientiels de l'exclusion et de l'engagement en compétences professionnelles dans le champ du travail social. Enjeux, atouts et limites d'une formation pré-qualifiante expérimentale. Spirale - Revue de recherches en éducation, nº 75(1), 109-119 : spirale-edu-revue.fr/Charlotte-GREGORESKI-Cristina-TEODORESCU-Laure-LIENARD-Sylvie-DESAILLY-Emilie-1669 |
Publication initiale dans le n° 1101 d'Inffo Formation, daté 1er au 31 juillet 2025
Notes
1. | ↑ | La notion d'apprentissage transformateur est tirée des travaux de recherche de Chiara Biasin, chercheuse italienne en pédagogie. |
2. | ↑ | Le concept de capabilité est une approche développée en 2001 par Amartya Sen, économiste et philosophe indien. |
3. | ↑ | Jack Mezirow (1923-2014) est un sociologue américain reconnu comme le fondateur dans les années 1970 du concept d'apprentissage transformationnel. Un travail empirique lui a permis de mettre en évidence 10 étapes constitutives du processus de transformation de perspective de sens. |