Stéphane Lardy, secrétaire confédéral FO en charge de la formation professionnelle, de l'emploi et de l'assurance chômage.

« Le développement des compétences dans le cadre du compte personnel de formation doit être reconnu dans l'emploi » (Stéphane Lardy, FO)

Stéphane Lardy vient de quitter ses fonctions de secrétaire confédéral de Force ouvrière en charge de la formation, pour devenir inspecteur général des affaires sociales. Celui qui a négocié les réformes de 2009 et 2013 revient sur la décennie à un poste-clé, la réforme de la formation professionnelle et les chantiers à venir.

Par - Le 13 avril 2016.

Considérez-vous toujours que la réforme de 2014 est une bonne réforme ?

Oui, les chiffres en attestent. Un des enjeux de la réforme était la mise en place du compte personnel de formation. Sur ces problématiques des garanties collectives et de personnalisation des droits, FO a toujours été dans la continuité. Si nous n'avions pas eu le Dif, nous n'aurions pas eu le CPF. L'accord de 2003 a vu la création du Dif, c'était un début. En 2008-2009 nous avons introduit une forme de portabilité du Dif, incomplète, et comme tout accord constitue un compromis, nous avons avancé petit à petit. Maintenant, il faut améliorer le CPF, notamment sur la portabilité des droits : il faut encore l'accord de l'employeur dans le cadre du temps de travail, ce qui est incompatible avec un vrai droit personnel.

En ce qui concerne l'abandon du 0,9 %, nous avons eu des débats en interne, jusqu'à nous interroger sur les effets de cette contribution. Rappelons qu'elle a été instaurée parce que nous n'avions pas obtenu du patronat la mise en place d'une cotisation lors de la négociation de l'Ani de 1970. L'État est intervenu. Je pense qu'elle a eu un effet levier considérable en termes de financements et de capacité des entreprises à former leurs salariés. Mais cela a mis dix ans. À côté de cela, de nombreuses entreprises se sont cachées derrière le paravent de l'obligation fiscale pour ne pas former.

D'autre part, la 2483 ne reflétait pas tout, beaucoup d'entreprises formant au-delà de 0,9 %. Les entreprises passaient beaucoup de temps dans l'administratif. A présent, elles vont pouvoir se reposer la question de leur stratégie de formation. Ce qui implique une révolution pour les Opca. Si 2009 a vu la réforme des opérateurs, 2014 a été celle des dispositifs. Les Opca doivent désormais rendre de nouveaux services et l'accord de 2013 leur donne davantage d'obligations de mutualisation.

Le rapport parlementaire Gille-Cherpion recommande de fusionner les listes de formations éligibles au CPF. Qu'en pensez-vous ?

Avec le CPF, nous n'étions pas, pour des raisons de conception du compte et pour des questions financières, dans une logique “universaliste", rendant le CPF accessible à tout le monde, quelle que soit l'action de formation. Je rappelle que le Dif a échoué faute de financements. Pour le CPF, nous avons conditionné notre signature à un financement identifié. Il n'est certes pas énorme, avec 0,2 %, soit entre 800 millions et 1 milliard d'euros de collecte, mais cela crée un effet levier.

Considérant que le compte personnel est un objet d'élévation de qualification, nous avons construit des listes, nationale, de branche, territoriales. Oui, c'est compliqué. L'exécutif a survendu le CPF, qui n'est pas le seul objet de la réforme, et le Medef voudrait bien tout financer avec. Nous avons déjà 12 000 certifications répertoriées. De quoi se demander pourquoi avoir fait des listes. Or, choisir, c'est exclure. Peut-être aurions-nous dû en faire un socle de rémédiation accessible aux salariés les plus fragiles, comme tente de le faire le gouvernement avec le plan 500 000 formations d'urgence.


Comment le CPF va-t-il se développer au sein du compte personnel d'activité ?

Un risque de dérive existe. Nous avons signé la position commune, mais nous avions demandé que le CPA soit un objet à part. Il est sorti de nulle part un 31 décembre, on nous a donné deux mois pour négocier avec un patronat récalcitrant sur le C3P (compte personnel de prévention de la pénibilité). Nous ne voulons pas, par exemple, que le bilan de compétences puisse être financé par le CPF. À un moment, vont apparaître d'autres articulations, comme un “CPF-Cif", même s'il est actuellement trop tôt. Potentiellement, cela pourrait être intéressant. Mais il faut d'abord voir ce que donne la montée en charge du compte et ce qu'il produit en termes de certifications.

Où en est-on de la mise en œuvre de la réforme et du déploiement du compte personnel et du conseil en évolution professionnelle ?

Nous nous sommes améliorés sur les questions d'évaluation des dispositifs. À la signature d'un accord, on regarde tout de suite ce qu'il faut suivre et les indicateurs nécessaires. Le Conseil national d'évaluation de la formation professionnelle que nous avons installé avec l'Ani de 2009 commence à trouver sa place. Au Cnefop, chargé de coordonner les politiques d'évaluation en matière de formation professionnelle, notre travail consiste à faire en sorte que les différentes structures publiques, notamment la Dares, le Céreq ou Pôle emploi et l'Apec, qui font de l'évaluation, se parlent. Et cela se déroule plutôt bien. Pour ce qui est du déploiement du CEP, il reste du travail ! Tous les opérateurs ne sont pas au même niveau, ce qui n'est pas étonnant. Certains sont mis à contribution sur d'autres dispositifs et subissent un contexte financier défavorable ne leur permettant pas de professionnaliser leurs conseillers.

L'accord de 2009 est systémique. La question du CEP est très structurante. La formalisation de l'entretien professionnel donne de la perspective au chef d'entreprise et au salarié, et, pour commencer, cela leur donne l'occasion de discuter. Pour cela, il faut des guides, des formations d'accompagnement aux entretiens. D'où l'importance des Opca. Les chefs d'entreprise doivent en comprendre l'importance.

Nous avons aussi mis en place l'abondement correctif, comme une manière d'internaliser la sanction, plutôt que d'aller aux prud'hommes. L'entretien professionnel permet de poser les bonnes questions, aussi bien pour le salarié que pour l'employeur. Ensuite, apparaîtront des débats sur ce qu'est une évolution professionnelle, une augmentation de salaire. Mais déjà nous aurons des entretiens formalisés dans des entreprises qui n'en n'avaient pas. C'est aussi le travail des chambres patronales que d'aider leurs adhérents à le mettre en place. Franchement, c'est gagnant-gagnant !

Il faudra en faire un objet pour les observatoires de branche et les observatoires prospectifs des métiers et des qualifications.

Quels sont les signes qui feront dire que cette réforme a réussi ?

Dans un ou deux ans, il faudra se poser la question de ce qu'est devenu le CPF. Aura-t-il produit les effets escomptés dans l'accord ? Permis à des personnes d'élever leur niveau de qualification ? D'avoir plus de certifications ? C'est ce qui nous intéresse. Nous devrions avoir des informations par les Opca : imaginons qu'il y ait une cinquantaine de certifications dans une branche, mais que l'Opca n'en finance que vingt-cinq, cela donnera des indications.

Finalement, qu'est-ce qui a marqué vos dix ans de mandat ?

Nous avons beaucoup porté, dans la continuité de mon prédécesseur Jean-Claude Quentin, la question des droits personnels. Elle constitue une évolution majeure de notre société – en bien ou pas. Dans ce contexte de révolution énergétique, écologique, de la digitalisation, les jeunes générations n'ont pas la même appréhension des questions salariales et il existe une demande de personnalisation, d'individualisation. Pour autant, nous restons tout de même sous un régime du salariat avec un lien de subordination. Des voies sont à trouver et c'est ce que nous essayons de construire. Historiquement, à FO, nous sommes porteurs des droits personnels des individus.

Il reste encore des enjeux majeurs à régler sur la formation professionnelle, comme celui de la négociation collective dans l'entreprise. Mon prédécesseur estimait que la question de l'adaptation au poste ou de maintien dans l'emploi était du ressort du chef d'entreprise. Je suis quant à moi convaincu que c'est un objet par nature de la négociation en entreprise, tout comme le salaire ou le temps de travail. En définitive, s'il n'y a pas d'accord, c'est la responsabilité du gestionnaire de l'entreprise qui l'emporte.

D'autres batailles à mener ?

Nous avions réussi à inscrire dans l'accord de 2009 que les actions de développement des compétences inscrites au plan de formation (ou suivies dans le cadre du compte personnel de formation avec l'accord de l'employeur) donnent lieu à une reconnaissance dans l'emploi. Cela n'a pas été repris dans la loi, à mon grand dam. C'est un enjeu pour le CPF. Même s'il existe encore peu de cas, nous demandons à nos militants, lors des négociations d'accords d'entreprise sur l'internalisation du 0,2 %, d'accorder la plus grande importance à la reconnaissance dans l'emploi. C'est ce que nous devons encore gagner, alors que nous l'avions obtenu dans l'accord.

Par ailleurs, nous souhaitons une meilleure articulation entre l'instance politique qu'est le Copanef [Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation] et l'instrument financier qu'est le FPSPP [Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels]. Nous avons déjà eu deux réunions de négociation sur cette thématique.

C'est une particularité française, certes liée à l'histoire, du système de gestion paritaire de la formation : une instance politique, le Copanef, anciennement CPNFP [Comité paritaire national pour la formation], coexiste avec un instrument financier, autrefois l'Agefa-Copacif [Association gestionnaire des fonds de l'apprentissage - Comité paritaire du congé individuel de formation], puis le Fup [Fonds unique de péréquation] et maintenant le FPSPP. Cette singularité, par rapport aux autres gestions paritaires comme celles des retraites complémentaires ou de l'assurance chômage, nous fragilise vis-à-vis des exécutifs, quels qu'il soient. Lesquels jouent l'un contre l'autre. Ou l'un sans l'autre. •